Accueil A la une Côte d’Ivoire, les déguerpis de Boribana se réfugient dans des mosquées et...

Côte d’Ivoire, les déguerpis de Boribana se réfugient dans des mosquées et magasins

PARTAGER
La démolition du sous quartier Boribana d'Attecoubé, afin de construire le 4e pont de Yopougon/Ph DR

Le pauvre n’a pas faim seulement de pain, il a aussi terriblement faim de dignité humaine. En le disant, Mère Teresa était sûrement loin de s’imaginer qu’elle mettait le doigt sur l’extrême indigence à laquelle est confronté un pan de la société. Elle décrivait, par cette maxime, la misère que vivent, depuis le samedi 30 novembre 2019, des personnes impactées par les travaux de construction du 4e pont, du coté de Boribana, un sous quartier de la commune d’Attecoubé.

Vivant déjà dans une situation précaire, des habitants de Boribana ont vu leur indigence s’accentuer, avec la démolition de leurs habitations, le samedi 30 novembre 2019. Maferima Touré, une mère de famille, portant une grossesse presqu’à terme, assise à même le sol, au milieu de ses affaires personnelles, rangées à la va-vite, coule des larmes. Elle éclate en sanglots à la vue de ses connaissances. L’une d’entre elles ne manque pas de pleurer avec elle.

Mieux, elle l’enlace tout en murmurant dans ses oreilles que son attitude est nocive pour l’être qu’elle porte en son sein. Mais les conseils ne font aucun effet sur la parturiente. Au contraire, ses larmes coulent à flots. Le spectacle est insoutenable et ne laisse personne indifférent. Même les reporters n’arrivent pas à cacher, pour longtemps, leurs émotions.

Le périmètre se transforme en quelques minutes, en un espace consacré aux pleureuses traditionnelles. Après l’émotion, la mère de famille raconte que depuis samedi, elle dort à la belle étoile avec tous ses enfants. Son mari, en déplacement, elle est seule à faire face à la situation. Toute chose qui ne lui a pas permis de sauver toutes leurs affaires personnelles. Une partie a été soutirée par des personnes qui lui ont proposé leurs services.

Le petit trousseau qu’elle a obtenu en consentant mille sacrifices, a été volé. A cela, il faut ajouter quelques pagnes qu’elle avait achetés pour attendre l’arrivée du nouveau né. Les yeux embués de larmes, Maferima Touré dit préférer, à l’instant, la mort à la vie. « Mes enfants et moi dormons depuis samedi à la belle étoile. Nous ne savons pas où aller. Je n’ai personne à Abidjan. Je n’ai pas d’argent pour me prendre une maison. Je ne peux pas le faire. Car, je n’ai pas été indemnisée. On nous a demandé d’attendre. C’est dans l’attente qu’ils sont venus casser nos maisons », a raconté la mère de famille en détresse.

Pour ne pas passer pour une menteuse, elle nous tend le reçu de recensement qui doit lui permettre de bénéficier des 230.000 Fcfa devant servir au paiement de la caution d’une maison. C’est très en rogne qu’elle nous explique que contrairement à ce qui se raconte, de nombreuses personnes n’ont pas été dédommagées. Celles-ci ne savent pas, pour la plupart, où aller. C’est le cas de Traoré Issa, un chauffeur à la retraite.

Depuis le samedi, l’enceinte de la mosquée ‘’Samôgôsony’’ est devenue, la nuit tombée, un dortoir pour sa famille et lui. « Ce lundi matin, mes quatre enfants n’ont pas pu aller à l’école à cause du déguerpissement. Deux ont perdu leurs fournitures scolaires lors de la démolition de la maison », a expliqué le vieux chauffeur.

1400 personnes délogées

Si rien n’est fait, a-t-il insisté, les enfants risquent de perdre leur année scolaire. Ce déguerpi dit aussi ne pas disposer de moyens financiers pour se louer une maison. « Nous sommes nombreux à ne pas être indemnisés pour le moment. Nous avons reçu des tickets, mais on a demandé d’attendre avant de passer à la caisse. Nous en étions là quand,le jeudi 28 novembre 2019, on nous a demandé de quitter le site avant le samedi », a relaté Traoré Issa.

Elles sont une cinquantenaire de personnes à squatter la mosquée de ‘’Samôgôsony’’, une fois la nuit tombée. Ce lieu de culte situé en bordure de route a été également transformé en un magasin de stockage de bagages des  déguerpis. De loin, et à travers la grille de la clôture de cette mosquée, on aperçoit des valises, des cantines, des malles, des marmites attachées ou en vrac entreposés un peu partout. Selon l’un des adjoints de l’imam, ils étaient obligés de mettre cet endroit consacré à la prière, à la disposition de ceux qui ne savent pas où aller, après la démolition de leur maison. « La journée, ils sont moins nombreux. Mais la nuit, la mosquée devient exiguë », a souligné l’adjoint de l’imam.

Des magasins implantés en bordure de la voie ont été aussi sollicités par les déguerpis, le temps de s’organiser pour trouver un logis dans l’un des quartiers d’Attecoubé où des autres communes du district autonome d’Abidjan. C’est le cas de la famille de Serémé Moussa. Ce couturier, qui a passé 20 ans de sa vie à Boribana, est contraint, depuis quelques jours, de passer, avec sa famille la nuit dans un magasin de stockage d’oignons.

« Je suis un propriétaire résident. Le gouvernement a promis de nous donner une maison à Songon mais à la dernière minute, le gouvernement est allé nous montrer un site dans un quartier d’Anyama. Le site est inhabitable. Il est situé dans un bas-fond. Quand nous avons refusé, ils ont promis de remblayer le site et de nous installer. Mais rien n’a été fait jusqu’à ce qu’on vienne nous déloger », a expliqué le couturier. Touré Seydou, propriétaire résident a abondé dans le même sens que Serémé Moussa. Il a avancé que les sites présentés étaient plutôt des zones marécageuses et impraticables.

Les propriétaires, a-t-il signifié, se sont donc opposés, en exhortant le gouvernement à respecter ses engagements. 1400, c’est le nombre de personnes qui ont été déguerpies pour le moment à Boribana sur les 8000 prévues sur ce site. Si certains ne savent pas à quel saint se vouer, d’autres, par contre, se sont orientés vers les communes dortoirs telles qu’Anyama, Abobo, Adjamé et Yopougon.

Selon Touré Seydou, le plus gros lot s’est dirigé à Yopougon et à Abobo. C’est dans ces deux (2) grandes communes que ceux qui ont eu la chance d’être dédommagés, ont pu louer des maisons avec les 230.000 F Cfa qui ont été donnés comme indemnité de logement. A Boribana, c’est l’amertume depuis le samedi 30 novembre 2019.

La plupart des déguerpis rencontrés ruminent une colère noire. « Nous ne sommes pas contre la réalisation du 4epont. Nous ne disons pas aussi que nous ne voulons pas partir. Mais nous dénonçons la procédure d’indemnisation qui a été mise en place. Nous croyons qu’elle a été mal ficelée. Sinon, comment on peut dédommager des gens qui ne sont pas concernés immédiatement par le déguerpissement au détriment de ceux qui devraient partir de façon imminente », a dénoncé Belemou Moussa, photographe professionnel à la retraite.

Titre est de la rédaction

Source : Linfodrome

PARTAGER