Parti en Libye en 2017, Coulibaly Ibrahim, ce jeune natif de Korhogo (nord de la Côte d’Ivoire) après avoir franchi les obstacles qui se sont dressés sur son chemin, a réussi tant bien que mal à se faire une place dans ce pays de titans. Goûter à l’Eldorado était devenu son rêve. Un rêve qui sera brisé par un revers de la vie qui le frappe, en 2019. Enlevé, Coulibaly Ibrahim qui a tenté d’échapper à ses ravisseurs va être poignardé entre l’anus et ses organes génitaux. Retourné au pays en 2021, ce jeune homme continue d’affronter la vie tout en espérant bénéficier de l’aide des autorités et de bienfaiteurs.
« Je me nomme Coulibaly Ibrahim. Depuis 2017, je suis parti en aventure mais ça n’a pas marché pour moi et je suis revenu malade. Je suis revenu malade parce que j’ai été poignardé dans l’anus en Libye depuis 2019. Depuis cet accident, j’ai subi trois opérations qui n’ont pas été un succès. Je suis retourné au pays le 25 octobre 2021 grâce au soutien de l’Organisation Internationale des Migrants (OIM). Actuellement je vis difficilement. J’urine grâce à une sonde. J’ai des problèmes de santé et je ne travaille pas, alors que je dois payer le loyer, me nourrir, me soigner. Donc je voulais lancer un appel au Premier ministre Patrick Achi, à M. Hamed Sylla et aux personnes de bonnes volontés de me venir en aide. Je souffre ».
C’est le cri de cœur de l’infortuné Coulibaly Ibrahim, un jeune parti en aventure et revenu handicapé. Un handicap qu’il supporte avec courage et tente vaille que vaille de travailler pour subvenir aux besoins de sa petite famille et prendre soin de sa mère qui a tant souffert pour lui.
Mais comment cet incident est-il arrivé ?
En raison de la maltraitance qu’il subissait de la part de sa marâtre à la suite de la séparation de ses parents en 2003, le jeune Coulibaly Ibrahim qui aidait son père dans les travaux champêtres à Mankono, en 2017, dérobe et vend une partie de la production d’anacarde de son géniteur pour aller en aventure. Ainsi parti de la Côte d’Ivoire, en avril 2017, c’est dans le mois juin de la même année que le jeune korhogolais ainsi que de nombreux autres migrants africains arrivent en Libye. Après un mois à Agadez (Niger), ils ont mis deux mois pour traverser le désert dans des conditions souvent déplorables en compagnie du responsable de leur équipage.
« Arrivés en Libye, on était content. On a cru que notre souffrance était finie. Or, c’est maintenant notre calvaire commençait », souligne-t-il. « Le chauffeur qui nous a envoyés, nous a mis dans un endroit clôturé. Il nous a laissés là et il est parti. C’est le troisième jour qu’il est revenu en compagnie d‘un arabe. Nous avons vu l’arabe lui remettre de l’argent (…) et nous (25 personnes) avons été embarqués dans un véhicule », raconte-t-il.
Ces immigrés, sans le savoir venaient d’être ainsi vendus à un groupe d’arabes dont le chef se nomme Ibrahim
Ces immigrés, sans le savoir venaient d’être ainsi vendus à un groupe d’arabes dont le chef se nomme Ibrahim. Ils ont donc été conduits dans une prison située au cœur du désert de la ville de Saba. Pour sortir de cette prison, il fallait payer une rançon de 800. 000 f Cfa. Ceux dont les parents avaient les moyens leur envoyer de l’argent pour qu’ils soient libérés.
Les autres y restaient jusqu’à ce que mort s’en suive, « car ceux qui entrent dans cette prison ne sortent pas vivants s’ils ne payent pas la rançon», explique le jeune aventurier. « Pendant mon séjour dans cette prison, trois personnes (1 ivoirien, 1 camerounais et 1 malien) sont mortes devant moi. Dans cette geôle, c’était l’enfer sur terre. Nous étions battus de 8 h à 18 h par les arabes avec les cross des fusils, avec de gros bâtons, etc. et on mangeait une fois chaque deux jours ». Moi, poursuit-il, « après un séjour de six mois dans ce cachot, je suis tombé gravement malade. On m’a fait sortir de ma cellule pour me traiter. Quand j’ai commencé à récupérer, les arabes ne m’ont plus remis en cellule. On me laissait dans la cour et je lavais leurs vêtements et je faisais la vaisselle. La nuit, ils ont permis que je parte dormir sur la dalle ».
Lors de cette petite liberté qu’il a eue Coulibaly Ibrahim s’est familiarisé aux différents chiens qui étaient dans ladite cour. C’est ainsi qu’une nuit, pendant que les éléments qui montaient la garde étaient préoccupés à violer les filles qui venaient d’être livrées à la prison, Coulibaly Ibrahim a réussi à escalader sous l’œil complice des chiens, les deux grandes murailles du bâtiment pour prendre la poudre d’escampette. Revenu à Saba, il est conduit par des bienfaiteurs dans un foyer des ivoiriens. Après un bref séjour dans cette ville, Coulibaly Ibrahim quitte Saba pour Tripoli.
Le malheur
Ayant déposé ses valises dans la capitale libyenne, Coulibaly Ibrahim va partager un dortoir avec dix (10) autres ivoiriens dans cette ville. Courageux, habitué à affronter les défis de la vie, il n’a pas eu de difficultés à s’accommoder au style de vie des africains habitants cette ville. Le matin, à l’instar de ces autres amis, il part offrir ses services dans différents endroits où l’on a besoin d’une main-d’œuvre pour effectuer un travail. « Le matin, on sort. Il y a un endroit où on va s’asseoir, quand les arabes ont besoin de quelqu’un pour faire un travail, ils viennent, si tu peux faire le travail, vous discutez du prix et si vous êtes d’accord, tu pars le faire », explique l’ex-aventurier. Ainsi, après quelques mois de durs labeurs, Coulibaly Ibrahim ayant économisé une petite somme tente de réaliser son rêve, se rendre en Italie.
Mais en 2018, il tentera sans succès à deux reprises, la traversée de l’Atlantique. « Pour la troisième fois, notre embarcation a été interceptée en mer par des bandits. Ils sont partis nous enfermer dans une prison et ont demandé une rançon de 300 000 F Cfa avant de sortir ». N’ayant pas d’argent, le jeune Coulibaly a sollicité l’aide d’un ami resté à Tripoli afin de sortir du carcan de ces bandits. Après cette épreuve, ce natif de Korhogo a renoncé à son rêve et a décidé de rester à Tripoli et travailler pour nourrir sa famille. C’est ce à quoi il va s’atteler de fin 2018 jusqu’en 2019. « Lorsqu’on part chercher du travail, on fait très attention parce que souvent des bandits se font passer pour des chefs d’entreprises et lorsque vous les suivez, ils partent vous enfermez dans leurs cachots pour vous exiger une rançon. Ce qui fait que, quand ce sont des jeunes qui nous sollicitent on ne va pas. Quand ce sont des personnes adultes, là on traite avec eux et nous allons faire leur travail », a fait remarquer le jeune homme.
La prudence était la vertu qui le caractérisait, mais, le jour du malheur,
La prudence était la vertu qui le caractérisait, mais, le jour du malheur, il a été trompé par un fait. « Un jour, des personnes à bord d’un véhicule à la recherche de main-d’œuvre nous ont sollicités pour un travail. C’était des jeunes, mais comme à bord du véhicule, il y avait une personne âgée et une femme, alors nous nous sommes dit que c’était des personnes de bonnes moralités », explique tristement Coulibaly Ibrahim, qui a indiqué que ce jour, il était avec un autre compagnon. Ayant embarqués à bord du véhicule, Coulibaly Ibrahim et son ami sont conduits dans la cour d’une maison inachevée. C’est lorsqu’ils sont arrivés à destination que les deux compagnons ont réalisé qu’ils viennent d’être victimes d’un enlèvement. « Lorsque nous sommes arrivés, les jeunes arabes ont condamné les portières de la voiture et sont entrés dans une pièce de la maison inachevée. Ayant constaté le danger, nous avons forcé et réussi à déverrouiller les portières et avons pris la fuite. C’est en courant que mon pied a heurté un bois et je suis tombé. C’est à ce moment que l’un des jeunes qui nous poursuivait et qui était armé d’un couteau m’a poignardé entre l’anus et mes testicules ». Si Coulibaly, lui a survécu de ses blessures, tel ne fut pas le cas pour son compagnon. Poignardé au bas ventre, il est mort sur le champ, raconte avec amertume le jeune homme.
Du désespoir… au pays
Conduit à l’hôpital par des personnes de bonne moralité, l’infortuné va recevoir des soins appropriés. Après avoir subi une opération chirurgicale, Coulibaly Ibrahim qui n’arrivait plus à uriner par la voie normale va bénéficier d’une sonde pour réaliser ce besoin naturel. Mais de 2019 à 2020, ça n’a pas été facile, raconte-t-il. Il fait remarquer qu’en raison de la pandémie à Corona qui sévissait, il n’y avait pas de vols. Donc, impossible de retourner au pays. Et aussi, à l’hôpital, les médecins utilisant la maladie à corona comme argument, refusaient parfois de le recevoir, de changer sa sonde, de faire ses pansements. Toutes choses qui provoquaient l’infection des blessures et accentuaient la douleur de l’accidenté. Tenaillé par la douleur et devenu invalide, le jeune Coulibaly Ibrahim priait Dieu de lui donner une occasion pour quitter la Libye. Exaspéré, n’ayant pas de soutiens, « j’ai décidé de quitter la Libye par tous les moyens », dit-il.
C’est ainsi que malgré son handicap, il a décidé à nouveau d’aller traverser l’Océan, à l’instar de nombreux africains qui, préfèrent aller affronter la mort pour ne point crever de faim sur le continent. Comme les fois précédentes, en fin 2019 et fin 2020, Coulibaly Ibrahim tente sans succès la traversée de la méditerranée. Malgré ces échecs, il ne se décourage pas. L’homme qui se fait de la bile pour son avenir se jette à nouveau en 2021, dans une nouvelle embarcation de fortune à destination d’Italie. Mais manque de pot, cette embarcation sera interceptée en pleine méditerranée par des bandits appartenant à la bande du « chef Ossam Azahiba », précise-t-il. Les passagers sont conduits dans une prison. 300 000 F Cfa, c’est la somme qu’il faut verser aux rançonneurs avant de sortir, indique Coulibaly.
S’étant aperçus qu’il était souffrant, les ravisseurs ne lui ont pas fait subir de maltraitance, ni enfermé dans une cellule. Mais sachant qu’il n’avait rien, Coulibaly Ibrahim ne pouvait qu’implorer la clémence des ravisseurs afin de bénéficier de leur grâce. Pour cela, raconte-t-il, « lorsque nous sommes arrivés dans leur prison, j’ai commencé à pleurer. Le premier jour, j’ai pleuré jusqu’à ce que j’attire l’attention du petit-frère du chef ». Le deuxième jour, raconte-t-il, « ma plaie a commencé à s’infecter, il fallait changer la sonde ». Etant dans ce camp, les espoirs pour Coulibaly de recevoir des soins s’amenuisaient. La seule solution est de partir de cette prison.
« lorsque nous sommes arrivés dans leur prison, j’ai commencé à pleurer…
C’est la raison pour laquelle, au lendemain de leur arrivée dans cette prison, Coulibaly Ibrahim s’est mis à nouveau à pleurer de plus bel. « J’ai pleuré de 8 h à 18 h jusqu’à l’arrivée de leur chef Ossam Azahiba. A son arrivée, il m’a vu, il a eu pitié et ils m’ont libéré. Ce sont eux- mêmes qui ont payé mon transport pour que je me rende à Tripoli ». Deux jours après son retour à la maison, Coulibay Ibrahim qui s’était inscrit à l’Organisation internationale des migrations (OIM) à Tripoli reçoit un coup de fil de l’ambassade de son pays dans cette ville, lui informant que l’OIM organise un voyage de retour au pays pour ceux qui le désirent. Le jeune infortuné ne se fait pas prier pour prendre part au voyage.
Le sens de l’appel de Coulibaly
C’est ainsi que le 25 octobre 2021, lui, sa femme et sa fille de deux ans regagnent la Côte d’Ivoire. Ayant élu domicile à Korhogo, sa ville natale, le jeune aventurier bénéficiera du soutien de l’OIM pour se réaliser. 830 000 F Cfa, c’est la somme remise à Coulibaly par l’OIM pour qu’il réalise une activité lucrative. Son projet, c’était de vendre les boubous Sénoufo.
« J’ai débuté l’activité à Korhogo avec l’argent que j’ai reçu. Mais quand j’ai été agressé en Libye, pour ma première opération, pour mes soins, ma mère s’est endettée pour me venir en aide. Donc quand je suis arrivé et que ces créanciers ont su que j’étais là, ils ont commencé à l’encaisser. J’étais donc obligé d’y faire face. J’ai remis une partie du montant qui m’a été donnée à ma mère pour payer la dette qu’elle a contracté. C’est cette même somme que j’utilisais pour faire face aux charges familiales et aux soucis de santé », explique-t-il. Ainsi, la somme à lui allouée pour son commerce ayant pris d’autres directions, c’est inéluctable que son activité prenne du plomb dans l’aile.
Rencontré le 2 août 2022 à Abidjan, Coulibaly Ibrahim, venu honorer un rendez-vous médical, s’est montré très anxieux. Le jeune qui attendait les résultats de ses examens médicaux ne savait pas s’il allait subir encore une autre intervention chirurgicale. La quatrième du genre. Les trois premières n’ont donné les résultats escomptés. Aussi, son anxiété se justifie-t-il par le fait que l’OIM qui le soutient veut se désengager de toutes assistances à son égard. Selon lui, les responsables de l’OIM estiment qu’ils lui ont déjà apporté une assistance financière capable de lui permettre de se prendre en charge. Donc, maintenant, il est susceptible de voler de ses propres ailes, pas besoin que l’Institution l’assiste éternellement.
A part l’OIM, Coulibaly Ibrahim qui n’a plus personne pour l’aider à se soigner et à subvenir à ses besoins, ne peut que se tourner vers les autorités de son pays et les personnes de bonne volonté pour l’aider. C’est ce qui justifie le sens de son appel lancé plus haut à toutes les forces vives de la nation.
Ahoussi Aka
ENCADRE
De 2017 à 2021, 9 000 Ivoiriens assistés par l’OIM
A l’instar d’Ibrahim Coulibaly, nombreux sont les ivoiriens et des populations d’autres pays africains qui arpentent les rues du désert pour se rendre dans les pays magrébins, notamment au Maroc, en Tunisie ou en Libye, avant d’affronter la méditerranée et atteindre l’Europe. Il faut dire que les ivoiriens sont rentrés dans la danse de la migration clandestine dans les années 2000, lors de la crise post-électorale de 2002, 2010 et 2011. Fuyant les violences électorales dans leur pays, de milliers d’ivoiriens se sont réfugiés dans les pays limitrophes. En 2020, soit neuf (9) ans après cette crise, selon l’OIM, ce sont 8 000 Ivoiriens qui vivaient encore dans les pays comme le Liberia, le Ghana et le Togo. En 2016, ce sont 13 000 Ivoiriens partis à la recherche de meilleures perspectives d’emplois et de vie qui ont été dénombrés sur les côtes italiennes, représentant une augmentation de 230 % par rapport à l’année 2015.
Ayant pris gout au phénomène de la migration clandestine, les Ivoiriens ont commencé à s’adonner de plus en plus à ce voyage risqué via le désert, en à croire l’OIM. Cette organisation internationale révèle que pour la période janvier-avril 2019, les Ivoiriens étaient parmi les dix nationalités les plus représentés parmi les migrants arrivés en Europe. Fuir la guerre, la famine qui dévore le continent, chercher de meilleures conditions de vie afin de mieux s’occuper de leurs familles restées au pays, en leur envoyant de l’argent, tels sont généralement les objectifs de ces aventuriers. Mais souvent, ce rêve se transforme en une vie cauchemardesque pour ces aventuriers, dont les plus sages décident simplement de retourner au pays.
Mais désormais, faisant figure de parents pauvres, ces migrants ne peuvent que compter sur l’OIM, cette structure qui s’est donnée pour vocation de venir en aide aux migrants dans le monde entier. Elle œuvre dans des situations d’urgence, en développant la résilience de toutes les personnes en situation de déplacement, et en particulier, celles en situation de vulnérabilité. C’est à ce titre qu’elle apporte une assistance aux migrants qui, en situation difficile tentent de retourner au pays. Ainsi de février 2017 à avril 2021, l’organisation a assisté 9 000 ivoiriens dans leur retour volontaire en Côte d’Ivoire.
Parmi ces ex-migrants retournés volontairement au pays, plus de 7 000 ont bénéficié d’une assistance pour une réintégration durable, avec un appui au développement de projets professionnels qui incluent des membres de la communauté. Outre l’OIM, d’autres structures comme la Caritas ou autres organisations engagées dans la lutte contre la migration clandestine, ainsi que les autorités étatiques apportent leurs soutiens aux migrants retournés en Côte d’Ivoire en vue de faciliter leur réinsertion dans la société.
Aussi, le combat des autorités de ce pays demeure-t-il la sensibilisation de la jeunesse afin qu’elle n’emprunte pas le chemin de l’immigration clandestine pour ne pas s’offrir à la mort sur les côtes occidentales. Mais pour que la jeunesse ivoirienne, voire africaine puisse rester au pays, il revient aux gouvernants de créer des conditions de sécurité, de justice, du développement du secteur industriel, qui sont des leviers garantissant l’employabilité, susceptibles donc de favoriser le maintien de la main-d’œuvre ouvrière sur le continent africain. C’est à ce prix que, dans l’égalité, la jeunesse ivoirienne, voire africaine accèdera à la richesse et se détournera à jamais de l’Eldorado, dont elle rêve tant.
AA