Accueil A la une Père Charles Olidjo : « Les prisons en Côte d’Ivoire sont en...

Père Charles Olidjo : « Les prisons en Côte d’Ivoire sont en alerte maximale»

PARTAGER
Père Charles Olidjo, SEN de la Commission justice et paix et en charge des prisons s'inquiète de la surpopulation carcérale/Ph Credochristi

Depuis le jubilé de la Miséricorde célébré par le Pape, en 2015, les Evêques catholiques de Côte d’Ivoire ont institué une Journée nationale des prisons, qui a lieu le 2è dimanche après Pâques. Père Charles Olidjo Siwa, Secrétaire exécutif national de la Commission justice et paix et en charge des prisons, fait le point des difficultés rencontrées par les 16.000 détenus des 34 prisons, les conditions carcérales impliquant des maladies et leur conversion au Seigneur.

Quel est aujourd’hui l’état des lieux des prisons en Côte d’Ivoire ?

Les maisons d’arrêts et de correction de nos prisons ne sont pas en bon état. Nous sommes dans une position d’alerte maximale. Le premier problème de nos prisons est la surpopulation carcérale. A ce  titre, nous sommes en train de monter un projet sur l’hygiène en milieu carcéral. Ce qu’il faut savoir la promiscuité, le surpeuplement des prisonniers entraînent d’inconfort de maladies et des situations sanitaires déplorables dans toutes les prisons. Les cas les plus connus sont la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), qui devait accueillir 1 500 détenus reçoit aujourd’hui 7 000 pensionnaires. La prison de Man conçue pour 300 accueille 1200 détenus, pareil pour les villes de Daloa, Sassandra, le camp pénal de Bouaké. Le surplus de la population carcérale est exagéré et cela ne crée pas les conditions de la dignité humaine. L’Etat ivoirien fait des efforts que nous saluons. Nous avons à cet effet une très bonne collaboration avec l’administration pénitentiaire.

A lire: Côte d’Ivoire, un prêtre du diocèse de Grand-Bassam se suicide pour une affaire de pédophilie

Justement que fait la Commission à ce niveau pour que la dignité des détenus soit restaurée dans ces prisons ?

Notre prière est que l’Etat puisse les décongestionner. Parce qu’il y a dans chaque prison un tiers de la population carcérale en détention préventive. Il y a également trop de détentions abusives qui vont au-delà de la loi prescrite.

L’Etat ne peut tout faire à la fois. En tant que structure sociale de l’Eglise, et sensible aux préoccupations des détenus. Quelles actions concrètes avez-vous entamé pour que la situation soit moins catastrophique ?

Mon prédécesseur père Djata a commencé des actions. Mon équipe et moi continuions sur cette lancée. Les chrétiens catholiques, par exemple, nous soutiennent à chaque journée- instituée le deuxième dimanche de Paques de -détenus pour collecter des donc en vivres, produits sanitaires, d’hygiènes, etc que nous apportons aux maisons d’arrêts. Le décret N°69-189 du 15 mai 1969 qui a été repris le 11 décembre 2002 et modifié le 16 avril 2014 établit la portion alimentaire. Lequel stipule que chaque jour, le détenu doit consommer une telle portion, c’est à dire 400 g de riz par repas et bénéficié de trois repas par jour. Les chrétiens catholiques sont extraordinaires. Nous travaillons à cet effet sur les questions d’urgence. Nous ne pouvons pas remplacer l’Etat, car il a les moyens et le devoir de s’occuper de toutes les structures de la société. Nous sommes une structure de l’Eglise et face à certaines défaillances, nous intervenons pour l’urgence alimentaire et sanitaire. Nous avons lancé une opération : un kilo de riz pour un prisonnier. Nous avons dans toutes les prisons en Côte d’Ivoire 16.000 détenus pour 34 prisons. Si l’Etat donne à la Maca 3 tonnes de riz, à l’issue de cette journée, et d’autres institutions emboîtaient le pas, on aura aidé des vies humaines. Je dis souvent au gens un kilo de riz, un bidon d’huile, etc offert, c’est vraiment important pour le prisonnier. Nous disons aux chrétiens qui ont les moyens, même s’ils n’ont pas de parent en prison, peuvent faire parler leur cœur.

Est-ce que ce n’est pas le cas dans les prisons ?

Non. Nous sommes à l’état d’alerte. Nous avons lancé un appel. Concernant la Maca, pour nourrir en une journée les détenus, il faut 3 tonnes de riz en raison de 400 g par détenu/jour. Si on doit prévoir un budget pour la Maca, c’est au moins 3 milliards de FCfa pour que les normes soient respectées. Malheureusement, il n’a pas le tiers de ce budget pour couvrir les dépenses des prisons.

Les paroisses collectent des dons en vivres et non vivres. Comment se fait la répartition des dons dans les différentes prisons ?

Dans tous les diocèses, il y a un secrétariat diocésain chargé des prisons. Nous travaillons en coordination et le Secrétariat national gère la journée des détenus et des dons organisés à cet effet. A Abidjan, il y a la Mama et la Maca, par exemple. Des dons ont été convoyés à San Pedro (mercredi 25 avril), qui est le lieu de la célébration officielle de la Journée. Les autres dons reviennent aux secrétaires diocésains sous le regard du bureau diocésain. Si le diocèse de Yopougon a deux grandes prisons, la Maca, la plus importante de Côte d’Ivoire et la prison de Dabou, auront plus de dons. Au cas où il y a un surplus, nous prenons une partie pour appuyer d’autres diocèses comme Gagnoa, Korhogo, Grand-Bassam, etc. Après cette journée, nous collectons les dons jusqu’à fin mai. Nous les remettons à la direction de la prison, qui par la suite sont réceptionnés par l’assistance sociale en présence des chrétiens. Les chrétiens ont la moitié des dons collectés et l’autre aux autres détenus musulmans, animistes, etc. Nous intervenons pour aider tous les détenus dans l’ensemble.

Comment les chrétiens expérimentent-ils Dieu dans les prisons ?

A la Maca, nous avons une très bonne équipe de chrétiens. Lorsque j’ai commencé la pastorale des prisons, j’ai été converti. Des hauts cadres de l’administration et aux autres délinquants qui se retrouvent dans un endroit réduit, difficile vivent leur foi dans cette prison. Au sein de cette prison, il y a des Communautés ecclésiales de base (Ceb), une grotte mariale, une chorale et le mouvement la Légion de Marie. Ils participent à la célébration eucharistique etc. Aujourd’hui, nous sommes en train d’installer dans chaque prison une équipe d’accompagnement spirituel, psychologique, humanitaire, social et voir juridique, afin que celle-ci comme le dit le Saint-Père permette le développement intégral de l’homme. C’est pourquoi, il importe que nous soyons présents parce que c’est un lieu de fragilité.

L’an dernier, le 8 avril, Mgr Antoine Koné, président de la Commission épiscopale de la Pastorale sociale, avait fait un plaidoyer pour la libération des prisonniers de droit commun. Où en est-on aujourd’hui avec ce plaidoyer?

A lire: Côte d’Ivoire, les évêques se félicitent de l’ordonnance d’amnistie du président Ouattara

Mgr Koné a même dit un peu plus que pour des questions politiques, il fallait une amnistie. Celle-ci a été faite. L’Eglise continue toujours de plaider pour que les prisonniers de droit commun, ceux qui ont purgé leur peine, qui sont assez disciplinés, etc peuvent être libérés à partir d’une grâce présidentielle. Ceux qui sont en détention préventive sans avoir eu recours à un  juge d’instruction sont nombreux, je crois qu’il faut les libérer. Ils ont déjà purgé deux ans, ce qui n’est pas normal. Il faut donc les libérer. Ces libérations vont permettre d’une part de créer une justice sociale mais aussi de décongestionner les centres pénitentiaires. L’Eglise continue le plaidoyer heureusement que les pouvoirs publics sont réceptifs et nous continuons de prier.

Il y a des personnes qui sont détenues pour des erreurs judiciaires ou en détention préventive depuis des années. Quelle démarche l’Eglise catholique a–t-elle entreprise auprès des autorités compétentes pour ce type de problèmes ?  

L’Eglise a une posture religieuse et non politique. L’Eglise dispose des avocats conseils dans la Commission justice et paix nous travaillons à la mise en place d’un conseil juridique. Tout ceci demande du travail et des moyens. La Commission justice et paix se met progressivement en place afin de jouer son rôle dans la pastorale sociale de l’Eglise. A vrai dire, l’Eglise ne fait rien dans ce sens mais s’emploie à régler tout ce qui est question d’urgence et vitale. Concernant les erreurs judiciaires et tout ce qui est lié aux questions politiques, certes, ce sont des priorités mais l’Eglise s’attaque aux priorités d’urgence. On préfère nous battre dans un premier temps pour assainir le milieu carcéral, les problèmes d’hygiène, alimentaire et réduire la population carcérale, avec la libération des personnes de droit commun, victimes d’erreurs judiciaires, etc. Mais ce sont des questions qui nous dépassent. L’Etat est celui qui gère le pouvoir judiciaire, par contre l’Eglise n’est qu’une structure spirituelle de conseils et d’accompagnements.

En dépit de l’amnistie, en août 2018, il y a encore dans les prisons les militaires et autres de la crise postélectorale…

L’Eglise utilise la voie de la diplomatie et du plaidoyer. Nous présentons à nos supérieurs hiérarchiques que sont les évêques, l’état des lieux. Par exemple, à l’issue de cette Journée  nationale des prisons, nous allons établir un rapport adressé à l’évêque président Mgr Antoine Koné et à la Conférence des évêques catholiques de Côte d’Ivoire. Lorsque l’état des lieux sera fait, les évêques interviendront selon les mécanismes propres à eux.

A lire: Côte d’Ivoire, Ouattara annonce une amnistie pour Simone Gbagbo, Assoa Adou, Lida Kouassi

Votre structure soutient constamment les prisonniers en Côte d’Ivoire. Quel retour avez-vous d’eux ?

Notre arrivée dans les prisons est toujours considérée comme des moments de joie. Ce ne sont pas seulement les catholiques mais tous les autres pensionnaires. Les gens sont heureux de nous voir lorsque nous leur rendons visites. Parce que l’Eglise est perçue comme une mère par les prisonniers qui sont abandonnés par leur famille. Voyez-vous toute la psychologie qui entoure les prisons dans nos cultures africaines, c’est considéré comme un lieu de bannissement. Tout cela fait qu’il y a beaucoup de souffrances en milieu carcéral ; des gens qui ne voient plus leurs parents. Les échos sont bien et nous n’attendons pas grande chose lorsqu’ils sont libérés pour nous dire merci. Il y a d’autres qui se convertissent et à leur libération continuent la vie chrétienne. L’Eglise joue son rôle de mère pour accompagner toute la guérison intérieure et aussi spirituelle de ceux qui sont en souffrance. Elle prie et suscite des générosités pour apporter des éléments qui manquent au bien-être de leur séjour

Réalisée par Magloire Madjessou

PARTAGER