Le lac aux caïmans situé en face de l’imposante résidence du président Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro (centre du pays) était, il y a des années, une véritable attraction touristique. 28 ans après la mort du président Houphouët-Boigny, ce lac n’attire plus comme par le passé. Abandonné, fissuré, délaissé, insalubre… immergé sous les salades d’eau douce et les plantes aquatiques, les caïmans, la curiosité des touristes, y vivent selon eux.
« Lorsque vous venez visiter le lac aux caïmans, prière venir avec un poulet ou des poulets pour les offrir aux caïmans. Ils en ont besoin énormément, ne venez pas les voir, les bras ballants… ». Cette préoccupation de l’un des agents de police en service à la résidence du président Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro. Enfants, jeunes et adultes visitent ce lac aux caïmans situé en face de la résidence du premier président de la République de Côte d’Ivoire. De part et d’autre, ces visiteurs de cet après-midi du 6 juillet 2021, sont là, auprès du lac. Attentionnés, enthousiastes, émus et échangeant les uns avec les autres sur la nature des caïmans, leur mode de vie… qui ne sont plus nourris comme par le passé et dont le lac presque tout entier est envahi par des végétations aquatiques (la jacinthe d’eau ou camalote ; laitue d’eau etc).
Les caïmans de ce lac artificiel crée, en 1950, par le premier président de la République de Côte d’Ivoire suscite curiosité, émoi et distraction pour les visiteurs. Tout le long du lac, c’est l’affluence des visiteurs : femmes comme hommes regardent avec joie et se déplacent d’un autre bout pour contempler ce lac aux caïmans. Il y a des années, ce lac aux caïmans qui attirait de nombreux visiteurs par jour ne l’est plus. Au tour de ce lac, il y a des grilles métalliques installées, fissurées par endroits, pour protéger des personnes contre ces animaux dangereux. Dans ce lac, des murs et grilles métalliques tombent l’un après l’autre en lambeau.
Sous le président Houphouët-Boigny et après sa mort, en octobre 1993, le lac était toujours bien entretenu et ces animaux se nourrissaient de volailles et de bœufs. Il avait pour maître dompteur, qui a été malheureusement dévorés, par les caïmans, en 2012, lors d’une séance photos. Ce lac avait fière allure et constituait le fleuron touristique de cette capitale politique qu’est Yamoussoukro voire de toute l’Afrique. Depuis quelques années, ce lac aux caïmans ne fait plus envie. Dans ce lac, il y a désormais, des salades d’eau douce et des laitues d’eau qui ont pignon sur rue.
Devant ce lac, lorsqu’on y vient par la grande voie, on constate qu’il y a aussi d’autres plantes aquatiques qui y sont et une eau jaunâtre couvrant une partie de l’eau. Toujours à cet endroit, la clôture de la grille métallique a cédé…une partie dans cette eau du lac n’est plus une sécurité pour les visiteurs. Autant affirmer qu’un caïman peut sortir de l’eau et faire des victimes. Selon des personnes interrogées, la présence des salades d’eau douce et autres dans ce lac permet d’avoir des poissons en grande quantité. Avec la rareté de la viande de bœufs donnée ou poulets aux caïmans, ils se nourrissent des poissons provenant des salades d’eau douce.
Delmas Konan est là, cet après-midi, pour voir encore ces caïmans. Habitant à proximité du quartier Thérèse Houphouët-Boigny, c’est un habitué du lieu. « Je suis heureux de les voir sortir de l’eau pendant quelques moments. Je veux savoir combien de temps disposent ils en sortant de l’eau leur tête ? », s’interroge Konan, encore heureux de constater quelques gros caïmans sortir de l’eau à des endroits. Des européens sont venus visiter le lac. Ceux-ci ont fait le tour du périmètre du lac, dans le but de voir quelques caïmans et prendre des photos. « Habituellement, ils sortent nombreux. Aujourd’hui, ils ne sortent pas de l’eau. Nous avons été indiqués par un autre jeune qu’on peut les voir de l’autre côté du lac », racontent-ils. Plus loin, ils observent ces animaux et prennent quelques images de leur téléphone, tout souriant.
Plus de 300 caïmans y vivent
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Le président Houphouët-Boigny avait fait venir 52 petits caïmans pour les élever dans ce lac crée artificiellement devant sa résidence de Yamoussoukro. Pendant de longues années, ils ont été bien nourris et le président Houphouët-Boigny avait mis à leur service, maître d’origine malienne, Dicko Toké. Ce lac regorge, aujourd’hui, plus de 300 caïmans selon un agent de police rencontré sur les lieux. Les males sont noirs et les femelles ont une couleur un peu jaunâtre. Le drame de ces animaux, ils ne sont plus nourris depuis la mort de leur maitre Dicko Toké et du premier président de Côte d’Ivoire. « La semaine dernière, des personnes sont venues voir les caïmans. Ces dernières avaient donné des poulets à ces caïmans. A la vue des poulets, ils sont sortis nombreux, qui pour manger, qui pour avoir un morceau de cette chaire de volaille. Ce fut là un spectacle de danses aux caïmans que nous avons assisté, avec enthousiasme, environ 5mn », témoigne Koffi André.
Ces caïmans au nombre de 300 ne sont plus nourris. Certaines femelles pondent des sauriens, qui pendant la saison des pluies, sont transportés par le courant d’eau du lac vers d’autres lacs ou bassins de la capitale. Un petit caïman de quelques mètres a été aperçu dans le gazon, non loin de la résidence présidentielle, en train de se bronzer sous le soleil. « Ces petits caïmans, qui sont souvent exposés sous le soleil et dans le gazon, sont vite récupérés par les sapeurs-pompiers militaires. Ils les prennent et remettent dans l’eau où se trouvent leur parent ou après, ils retournent eux-mêmes dans cette eau », explique l’agent de police. Depuis la mort du président Houphouët-Boigny, ces caïmans sont livrés à eux-mêmes. Personne ne les nourrit et ne s’en occupe. Il n’y a que quelques visiteurs du jour, qui par charité, apportent des poulets ou la viande de bœuf lors de la visite.
Une situation à laquelle est confrontée tous ceux qui viennent visiter ces animaux, si chers au président Félix Houphouët-Boigny. Il les a amenés là pour les avoir près de sa résidence, contemplé leur geste, mouvement, vibration dans cette eau paisible…dansante de tout leur long de plus de 2 mètres. Ces caïmans sacrés de Yamoussoukro, comme dirait le Gouverneur-ministre de la ville, ont sans doute, une histoire avec le peuple Baoulé…
La polémique
Il y a quelques années, les autorités de la ville de Yamoussoukro avaient décidé de trouver une solution à la problématique des caïmans qui dévorent et errent dans la capitale politique. Parce que des grilles métalliques avaient cédé, des caïmans étaient aperçus et constituaient un véritable danger pour le citoyen de cette ville. Le Gouverneur-ministre du District autonome de Yamoussoukro, Augustin Thiam, avait souhaité, selon certaines sources que les plus vieux caïmans de cette eau soient abattus et laissés les plus jeunes. Cette proposition du Gouverneur ministre avait suscité une vive polémique entre les autorités administratives et coutumières.
Finalement, l’idée d’abattre ces vieux caïmans a été rangée aux calendes grecques. Depuis lors, le lac aux caïmans est laissé pour compte et abandonné. Selon une pensée répandue et attestés par les chefs coutumiers de cette ville, ces caïmans de Yamoussoukro sont mystiques. « Ces animaux qui vivent dans ce lac depuis des années ont un sens mystique. On ne peut pas les abattre du jour au lendemain. Ils préviennent la ville de Yamoussoukro des malheurs qui pourraient s’abattre sur elle…C’est pourquoi, on ne doit les abattre comme des animaux vulgaires », explique le policier. « Leur présence en ce lieu est purement mystique. Le père fondateur de ce pays en a témoigné à plusieurs reprises de son vivant… »
Mairie et District autonome. Qui s’occupe ?
Les populations de Yamoussoukro se posent une seule et unique question. Laquelle des entités institutionnelles (Mairie et District autonome de la ville) est-elle habilitée à s’occuper de la gestion du lac aux caïmans ? Des années après le décès du président Houphouët-Boigny, ce lac n’a plus fière allure mais suscite autant d’interrogations le fait de voir ces animaux manqués cruellement de nourriture. A chaque fois que des visiteurs sont sur les lieux, ces sempiternelles questions sont posées ou reposées. Mais pas de réponses. Ou encore s’il y a réponses, elles ne sont pas évidentes.
La mairie de Yamoussoukro joint au téléphone dit ne plus s’en occuper depuis quelques années mais plutôt la gestion est confiée au District autonome de Yamoussoukro. Joint au téléphone, William Diatty, Directeur de communication dudit District, a expliqué ce que son département compte faire en termes de travaux pour le lac. « Tous les lacs de Yamoussoukro vont être débarrassés des plantes aquatiques et ceux-ci serviront à produire de l’engrais liquide et aussi de l’électricité », a déclaré Diatty. Ces caïmans, au dire de Diatty, reçoivent tous les samedis, après-midi, de la nourriture. Sa gestion et sa responsabilité, cela fait débat entre la mairie et le District autonome de Yamoussoukro.
Pour l’heure, difficile de dire que la responsabilité et la gestion du lac aux caïmans est confiée à telle structure de la ville de Yamoussoukro. Cependant, étant dans le District de Yamoussoukro, un budget a été voté pour les travaux d’entretiens des lacs de la capitale politique mais surtout débarrasser définitivement de celui des caïmans des plantes aquatiques polluantes.
Magloire Madjessou, envoyé spécial à Yamoussoukro
Encadré
Un milliard pour réhabiliter le lac aux caïmans
L’abandon total et la présence de végétations aquatiques dans le lac aux caïmans est une préoccupation urgente du District autonome de Yamoussoukro. Cette institution étatique a inscrit ce programme ou projet dans son prochain budget pour la gestion, l’entretien du lac aux caïmans de la ville. Ce « projet Bio Yam » va concerner tous les lacs de la ville ainsi que celui de Kossou. A en croire Assoumou Jean Pierre, Directeur de l’agriculture et du développement rural du district de Yamoussoukro, ce projet va valoriser le plan aquatique et lacs de la ville et de Kossou. Il va renforcer ces végétaux et les transformer en bio. Il prend en compte la réalisation, l’entretien du compostage, de jardins et les ordures ménagères pour ces lacs cités. Ce projet institué par le District de Yamoussoukro est estimé à 1 milliard 618 millions de Fcfa selon Jean Pierre Assoumou.
Ce projet prendra forme, dit-il, dans quelques mois pour le bien-être de la population et surtout pour ces caïmans, qui de plus en plus, constituent un réel danger pour les citoyens de la capitale politique. Avec cette réhabilitation des différents lacs de la région, Yamoussoukro deviendra ou retrouvera son lustre d’antan, avec plus encore un pôle touristique le plus séduisant et merveilleux de l’Afrique, où ces caïmans seront moins inoffensifs, vivront dans une eau non polluante, débarrassé de toute sorte de végétation aquatique et respiront la pleine forme…Sans que les visiteurs du jour ne viennent forcement avec un poulet ou autre pour les offrir. Parce qu’il y a désormais un budget qui s’en occupe et bien !
Magloire M.