Les populations des villages de Gobazra et Bognonzra se regardent en chien de faïence depuis 30 ans. Et la moindre étincelle allume le foyer des tensions. Reportage.
Gobazra et Bognonzra sont deux gros villages du département de Bonon, chef-lieu de région de la Marahoué situé à 268 km d’Abidjan. Les populations de ces villages sont en proie à un conflit foncier qui dure depuis 1992. Au cœur de ce conflit, une parcelle de terre litigieuse de 156,6 hectares.
Jeudi 15 septembre 2022, il est 10h15min. Les populations du village de Gobazra ont repris les travaux quotidiens, mais ils vivent encore la douleur et la souffrance des malheureux incidents survenus, le 4 mars 2022, avec le village voisin Bognonzra. Certains villageois sont assis devant leur maison, tandis que d’autres ont déjà pris le chemin des champs. Ce 15 septembre est aussi le jour où nous avons rendez-vous avec une partie de cette communauté villageoise sous l’arbre à palabre du chef du village de Gobazra.
Les faits qui ont attristé les familles trouvent leurs origines dans une histoire de terre. Ces deux communautés villageoises sont constamment en conflit foncier, depuis des années. Malgré les conciliabules et concessions, mais les palabres refassent surface. Hubert Kouamé Bi Goli, le porte-parole du village Gobazra, nous explique sa part des faits du 4 mars 2022.
Le 24 avril 1992, la Cour d’appel de Bouaké tranche cette affaire en notre faveur, c’est-à-dire Gobazra avec une grosse. 30 ans après, on nous dit que Bognonzra a gagné…
« À l’origine, c’est un problème de terre qui nous oppose au village de Bognonzra. Il s’agit de la terre de nos ancêtres. Depuis 5 générations, cette terre appartient à nos parents de Gobazra. En 2019, les habitants de Bognonzra viennent nous brandir une grosse de la Cour de cassation d’Abidjan au prétexte que cette terre leur appartient. Alors que déjà, en 1983, le problème de terre a été déclenché et l’affaire est partie en justice. Le 24 avril 1992, la Cour d’appel de Bouaké tranche cette affaire en notre faveur, c’est-à-dire Gobazra avec une grosse. 30 ans après, on nous dit que Bognonzra a gagné une grosse de la Cour de cassation d’Abidjan », explique Hubert Kouamé Bi Goli. Puis de s’étonner « par quel miracle cette grosse de cassation a été obtenue par Bognonzra ? ».
Selon Hubert Kouamé, cette histoire à laquelle vivent malheureusement les villageois de Gobazra est l’expression du mépris et de la méchanceté des gens à qui ils ont cédé la terre, par le passé. Les infrastructures scolaires, habitations etc. installées à Bognonzra depuis les temps anciens ont eu toujours l’accord des propriétaires terriens de Gobazra, en l’occurrence Lopoua Bi Tibé, chef de terre et chargé de libation des infrastructures que regorge, aujourd’hui, Bognonzra.
« Ils ne sont pas au-dessus de la loi. Ils doivent se plier ou se conformer à la loi. Je pense qu’il n’y a plus de règlement à l’amiable. La phase administrative a été faite, et nous sommes en plein lotissement. Gobazra ayant perdu le conflit à la Cour suprême n’étant pas satisfait. C’est ainsi qu’ils sont venus nous attaquer », témoigne Georges Goli-Bi, président de la jeunesse de Bognonzra.
« Ils ont leur fils qui était maire, afin que nous payions ces terres entre leurs mains, à qui nous avons demandé de venir lotir les terres de Bognonzra. Celui-ci a dit niet. Il a fait un plan et il a appelé ces deux villages Gobazra. Quand ils géraient cette terre, ils n’ont jamais accepté que ce village porte le nom de Bognonzra », raconte-t-il. Pour le président des jeunes de Bognonzra, leur souhait est de faire « de Bognonzra un village vassal, alors que celui-ci est plus peuplé que Gobazra, avec ces petits villages environnants ».
(…) Cette terre a été maudite par un neveu de Madiéta, en y mettant un rameau dessus…
Rencontré, le chef du village de Bognonzra, Oué Goré Bi Lucien, rejette du revers de la main la propriété de ce village de Gobazra. Pour lui, à l’époque, il a demandé le regroupement de ces deux gros villages en un. Le chef de Gobazra a prétexté estimant que nous sommes sur sa terre. « Cette terre a été maudite par un neveu de Madiéta, en y mettant un rameau dessus. Un homme de là-bas a dit que je te confie la terre maudite. Lorsqu’on me demandera pardon, alors je leur donnerai. Sinon, ce n’est pas la terre de Gobazra », se remémore le chef du village de Bognonzra.
« Ici, c’est le regroupement de 3 villages : Gobazra, Bognonzra et Zito. Comme Bognonzra était plus peuplé que les deux autres villages, c’est pourquoi on l’a appelé Bognonzra en 1916 et Gobazra en 1950 », dixit encore le chef Oué Goré Bi Lucien.
Les 156,6 ha qui les divisent…
Gobazra et Bognonzra, deux gros villages Gouro qui se sont opposés, le vendredi 4 mars 2022, après un lotissement qui a eu lieu dans le village de Bognonzra. Au cours de cet affrontement, les deux villages ont enregistré des blessés graves, une maison totalement incendiée et de nombreux magasins partis en fumée, sans oublier d’importants dégâts matériels à déplorer. Heureusement que des détachements des forces de l’ordre de Bouaflé et Daloa sont venus en renfort pour sécuriser et appeler les deux communautés au calme. Le conflit foncier qui oppose les deux villages s’étend sur une parcelle de terre de 156,6 hectares. Ces parcelles de terre sont de part et d’autre des deux villages. Mais, déjà, sur ces parcelles litigieuses, il y a des habitations et plantations.
Selon les habitants, Gobazra regrouperait 300 ha tandis que Bognonzra est à plus de 56 ha. « S’ils acceptent le nom de Bognonzra, on sera ensemble mais ils ne veulent pas. À leur tour, ils ne veulent rien attendre de Gobazra », confie Georges Goli Bi, président de la jeunesse de Bognonzra.
Pendant les affrontements sanglants dans ces deux villages, on enregistre 5 blessés (2 à Gobazra et 3 à Bognonzra). Bénié Bi Yougoué de Bognonzra, 56 ans, l’une des victimes a eu une fracture au bras gauche, lors des affrontements du vendredi 4 mars. « Nous étions à Bognonzra pour le lotissement des parcelles de terre. Des gens sont descendus du mini-car (Gbaka) et se sont dirigés vers nous. Les voyant venir vers nous, j’ai pris l’appareil du géomètre et j’ai couru. C’est ainsi qu’un monsieur m’a poursuivi et m’a fauché. C’est comme ça je suis tombé sur mon bras gauche », relate Bénié Bi Yougoué, malade depuis un mois.
Une autre victime des évènements articule difficilement les faits qui se sont passés ce jour-là. La tête presque hochée, avec quelques douleurs, la démarche à pas mesurée et lente relate ce drame. « Etant à l’école primaire ce jour, où les évènements se sont passés, je ne savais pas ce qui se déroulait dans le village. Quelques minutes après, 5 jeunes s’approchent de moi et me saisissent. Ils m’ont conduit chez eux à Bognonzra pour me tabasser et attacher mes bras dans une maison », raconte Ziafié Bi Goba, 35 ans. Cette victime, aujourd’hui, souffre de plusieurs maux : la mâchoire défoncée, des migraines etc
Jean Fréderic Gohi Bi Guessan est devenu depuis l’éclatement des évènements un sans abri dans le village. Sa maison construite en terre battue située à Bognonzra est l’ombre d’elle-même. Tout a été calciné par la furie des jeunes surexcités. Aujourd’hui, il fréquente les différentes habitations du village pour dormir la nuit, avec sa famille. « Je suis heureux d’être ici (Gobazra). Je suis dans ma famille maternelle », clame Gohi Bi Guessan.
30 ans après…le conflit couve
Ces palabres de parcelle de terre durent, il y a aujourd’hui 30 ans. Les différentes parties au conflit foncier ont déjà réglé ce problème à la justice de Bouaké. Des actes judicaires ont été donnés par cette partie, en dépit des preuves et actes brandit par ces personnes. Mais l’autre partie refuse d’entendre raison, au prétexte que la justice doit dire le droit en fonction de la tradition. C’est-à-dire Gobazra, aujourd’hui, propriétaire de cet espace litigieux se voit déposséder de ces terres, pourtant, c’est elle qui a (remis) une partie de ses terres à ses frères et sœurs de Bognonzra. Une enquête agricole a été faite, au cours de laquelle, ils ont été à nouveau dépossédés de ce droit, mais ils n’ont pas fait appel.
Selon Georges Goli Bi, nous avons plusieurs fois tenté de nous réconcilier, mais ils ne veulent pas du tout. Ce conflit foncier a commencé depuis 1986.
« Lorsque le chef du village de Gobazra est décédé, et son neveu, ex-maire de Bonon, ont jeté du revers de la main la décision qu’avait prise l’ancien chef du village. Aujourd’hui, ce village à un fils qui est commandant des forces spéciales qui est en train de nous gêner. Ce dernier, depuis Abidjan, met des jeunes dans des cars et viennent nous attaquer violemment dans le village », explique Georges Goli Bi. Cette affaire judiciaire à caractère de jeu interminable a connu véritablement des revers. Tantôt Bognonzra remporte le procès avec une grosse, tantôt c’est Gobazra qui l’emporte. Une difficulté à laquelle la justice de Bouaké et d’Abidjan n’arrive vraiment pas à donner une suite définitive à cette affaire de conflit foncier. Qui dure depuis des années. Sans réponses définitives ?
Le préfet de département de Bonon, interrogé, au téléphone, pour comprendre cette affaire, qui dure depuis 30 ans, a dit ne plus rien avoir dans une affaire de justice
« Après avoir gagné ce procès c’est-à-dire la grosse, ceux de Gobazra sont étonnés que nous fassions encore appel et que nous gagnions encore cet autre procès en justice. Le préfet est venu dans les villages pour informer que c’est Bognonzra qui a gagné la grosse. Par contre, Gobzra a commencé a brandi sa grosse de 1992. Ainsi, il a demandé aux populations de Gobazra de demander pardon afin de vivre ensemble. Ces derniers ont aussitôt refusé cet acte », dit-il.
Le préfet de département de Bonon, interrogé, au téléphone, pour comprendre cette affaire, qui dure depuis 30 ans, a dit ne plus rien avoir dans une affaire de justice. « Un arrêté de cassation a été pris en faveur d’une communauté et nous ne faisons que respecter cette décision. Notre mission prend fin à partir du moment, où cette Cour de cassation a pris cet arrêt. Je ne suis qu’un exécutant, un administrateur. Donc je ne peux rien y faire », a déclaré le préfet Yapi Claude Ogou.
La possible paix…mais à condition ?
Avec la problématique du foncier qui a pignon sur rue en Côte d’Ivoire depuis des décennies, aucun village ou ville n’y échappe. En dépit des décisions ou arrêtés pris par le ministère, ce problème persiste et laisse des familles dans le désarroi. Or, cette histoire est loin d’embraser la paix tant que les protagonistes ne s’entendent pas sur l’essentiel. Pour le cas des deux villages, chacun de son côté prône le vivre ensemble et le développement harmonieux malgré ce qui les divise.
Afin que la symbolique paix atteigne les cœurs meurtris, quelques conditions ou préalables sont brandis par les deux gros villages en conflit foncier, avant d’entamer cette paix ou accalmie. « C’est de laisser Bognonzra faire son lotissement mais, s’ils se montrent féroces comme ils le font là, on ne fera jamais la paix », estime-t-il. Disposant d’une grosse de la Cour d’appel de Bouaké, Bognonzra peut librement commencer son lotissement, mais elle est toujours bloquée dans son élan par l’autre voisin qu’est Gobazra. Concluant que leurs voisins ne sont pas au-dessus de la loi. Selon lui, ils doivent se plier…à cette décision prise par la Cour de Bouaké, dans cette affaire les opposants à Gobazra et Bognonzra.
À en croire le porte-parole du village Gobazra, Hubert Kouamé, à propos de la paix entre les deux communautés villageoises, « la paix est possible à condition qu’on reconnaisse la vérité dans cette affaire. Par contre, s’il y a de la magouille et autres dans cette affaire de terre, on ne peut avoir cette paix. Si cette vérité que nous recherchons tous à triompher, il aura la paix entre nous les communautés. Il suffit de dire simplement que c’est votre terre, nous reconnaissons. En ce moment, nous pouvons leur céder des parcelles de terre. »
En dépit du passage des forces de l’ordre et des recommandations du commandant supérieur de la gendarmerie, le Général Apolo Touré et du préfet, certains villageois continuent d’entretenir encore le suspens. Malgré la relative paix, le feu couve toujours dans ces deux villages, et les regards restent fixés sur le lotissement, qui de loin, mettra encore le feu aux poudres.
Magloire Madjessou
Encadré 1
Régler par la voie coutumière
Bognonzra, ce village à palabre est véritablement englué dans les histoires à n’en point finir. De part et d’autres, on raconte des vérités et contrevérités sur cette parcelle de terre qui est aujourd’hui litigieuse depuis des années. À entendre les sachant du village, l’histoire de Bognonzra est liée à celle de Gobazra.
Autrement dit, le village de Gobazra serait celui qui a donné des parcelles de terre à ses frères et sœurs de Bognonzra. Dans ce village devenu moderne aujourd’hui, avec ces infrastructures modernes et énormes : écoles, collège, terrain de football, château d’eau etc. ont eu l’assentissent et la libation des chefs de Gobazra suivis de sacrifices. Aujourd’hui, des questions se posent et peut être n’ont pas de réponses maintenant.
Pourtant, des origines de ce conflit foncier existent et se racontent par des anciens, des mémoires encore vivantes. Plusieurs fois, des tentatives de solutions ont été abordées, mais elles n’ont jamais trouvé de réponses. Parce que le village de Gobazra estime que ces « voisins » d’hier doivent reconnaitre ipso facto qu’ils ne sont pas propriétaires de cet espace sur lequel ils sont, et par ricochet, doivent faire la demande.
Le fait de lotir cette parcelle de terre, alors qu’ils ne sont des propriétaires terriens crée des désordres et désaccords entre eux. Même avec une décision de justice, les deux villages ne s’entendront jamais. Il faut régler ce différend par la voie coutumière…Ainsi, l’histoire de ce village ne peut se conter sans les ancêtres que sont Koué Bi Kouai, Lokoua Bi Ohou, Ohou Zran etc. C’est ceux-là qui ont donné cette parcelle de terre, dit-on, à Bognonzra.
M.Madjessou
Encadré 2
Sa vraie histoire
À l’époque, un neveu du village a été mal reçu par ses parents maternels de Gobazra. En quittant le village de Gobazra, il a déposé un rameau sur les lieux exprimant son mécontentement, en allant dans son village à Madieta. Ce dernier a confié cette parcelle à son ami de Gobazra. C’est ce qui expliquerait que cette terre de Bognonzra se trouve avec eux et se disant propriétaires à ce jour. Des années après, cette partie de la terre a été confiée à Bognonzra pour en faire leur village. Mais avec les multiples différends rencontrés, ils estiment (populations de Gobazra) qu’ils n’ont pas droit de lotir cette parcelle de terre, d’autant que ce n’est pas à eux.
Un conflit foncier qui trouve son origine dans cette histoire qui date depuis des années, et qui à chaque conflit, engendre des morts, des blessés et d’importants dégâts matériels de part et d’autres. Plus tard, les villageois de Gobazra ne veulent plus entendre parler d’eux. Même pour les questions de développement des deux villages, Gobazra ne veut pas associer l’autre village. Alors qu’il y a des années, ces deux villages parlaient presque le même langage.
Avec le développement qui se profile à l’horizon, Gobazra souhaite à lui seul avoir le développement et tout le confort qui y va. Chemin faisant, les parents de Madieta, qui avaient posé ce rameau ont été appelés et procédé à des sacrifices de libations pour obtenir la terre. Malgré cette cérémonie, les populations de Gobazra ont nié tout en bloc et ne souhaitent pas donner acte à cette cérémonie. Le développement de ces deux villages ne peut venir qu’à condition que les deux y mettent balle à terre, et pensent ensemble à leur développement économique, social, culturel etc.
M.M
Encadré
Heureusement…
Le conflit foncier qui a apposé les deux villages de 14h à 18h a été jugulé grâce à la présence des forces de l’ordre déployée rapidement sur les lieux du conflit. Celles-là sont venues de Bouaflé et de Daloa. Pendant des heures, ils se sont bagarrés, insultés et blessés gravement. Informées de ce conflit, elles se sont dépêchées sur les lieux pour calmer les ardeurs. Mais après leur départ de ce village, les responsables de la gendarmerie, policiers et préfet sont venus entretenir les populations sur le sens de la paix.
Ces populations devant les responsables de la gendarmerie et préfet ont promis ne plus en venir aux mains quel que soit le problème. Après l’éclatement de ce conflit foncier, les gendarmes et policiers ont élu domicile dans ce village, où ils ont dormi durant 3 jours, afin que les représailles ne reprennent à nouveau entre eux. Depuis leur départ de ce village, tout a repris de plus belle. Ces villageois bien qu’ayant connu un conflit foncier ensanglanté, et avec la présence des responsables venus leur prôner la paix, ils se méfient entre eux…
M.M