1 an après le conflit meurtrier entre Bheté et Baoulé à Dougroupalégnoa, les deux communautés ivoiriennes s’unissent pour une réconciliation durable, posant les bases de la paix et du développement local. Notre dossier sur une crise intercommunautaire brutale, il y a un an.
La sous-préfecture de Dougroupalégnoa, à seulement 15 km de Gagnoa, a été le théâtre d’une crise intercommunautaire brutale, le 26 octobre 2023. Ce jour-là, une altercation entre les communautés Bheté et Baoulé a pris une tournure tragique, provoquant un décès, de nombreux blessés, et des dégâts matériels considérables.
Les tensions entre autochtones et allogènes, qui vivent côte à côte depuis des décennies, se sont intensifiées à cause d’un simple vol de matériel de construction, déclenchant un affrontement destructeur. Aujourd’hui, 1 an plus tard, les deux communautés se tournent vers la paix et la réconciliation.
Les tensions entre autochtones et allogènes, qui vivent côte à côte depuis des décennies, se sont intensifiées à cause d’un simple vol de matériel de construction…
Les origines d’un conflit meurtrier
La communauté Baoulé réside à Dougroupalégnoa depuis 1978, cohabitant jusque-là pacifiquement avec les Bheté, les hôtes de ce village rural. La tragédie prend racine dans le vol de matériaux destinés à la construction d’une église de la communauté Baoulé, impliquant un jeune Bheté nommé Abraham Guiglo. Ce vol, suivi de tentatives de règlement qui échouent, envenime les relations jusqu’à une confrontation.
Roger Gnahiri Koudou, président des jeunes de Dougroupalégnoa, a rappelé que malgré les aveux d’Abraham, le climat de suspicion et de méfiance s’est intensifié, surtout après que l’accusé a impliqué le maître du chantier, sans preuve solide. L’intervention du président des jeunes pour apaiser les tensions n’a pas empêché une escalade dramatique.
Un affrontement violent et une perte humaine
Alors qu’une réunion était en cours pour apaiser la situation, un jeune Baoulé portant une machette a provoqué un sursaut de violence. Les tentatives de désarmer le jeune homme se sont vite transformées en conflit généralisé, où pierres, bâtons et mêmes armes à feu ont été utilisées.
La situation s’est envenimée, conduisant à la mort tragique de Kevin Kouamé N’Guessan, un jeune Baoulé de 21 ans. Interné dans un camp de prière pour soigner une épilepsie, il se trouvait par hasard au cœur du tumulte. Pris dans une embuscade, il fut froidement exécuté.
La situation s’est envenimée, conduisant à la mort tragique de Kevin Kouamé N’Guessan, un jeune Baoulé de 21 ans
Le décès de Kevin a provoqué une onde de choc parmi les Baoulé, et des représailles ont éclaté, conduisant à l’incendie de plusieurs habitations, notamment celles appartenant aux Bheté, aggravant les tensions entre les deux camps. Ces événements ont marqué la population de Dougroupalégnoa et laissé des blessures psychologiques et matérielles profondes.
Des dégâts considérables et des habitants démunis
Les violentes émeutes ont provoqué des pertes matérielles importantes. Plus de dix maisons Bheté ont été détruites, réduites à des ruines. Des familles entières se sont retrouvées sans abri ni ressources. Les récits des habitants illustrent l’ampleur de la catastrophe : Rosine, une résidente Bheté, décrit la désolation de sa maison calcinée où tout a été perdu. Anne Danielle Dougou raconte avoir vu sa demeure partir en fumée avec des effets personnels, des biens scolaires et des documents importants, tous anéantis dans le chaos.
Les sinistrés comme Alexis Zabo, Kéhiakéhi Franck, Hilaire Krasso, Mme Dah Gougnon, Alexis Koudou, Vincent Rabé, Paulin Gballet… témoignent de la perte de leurs maisons et de leurs biens, des traces indélébiles de ce « jeudi noir » qui a profondément marqué la mémoire collective de Dougroupalégnoa. Nombreux sont ceux qui, comme Dougou, ont dû se réfugier dans des villages voisins, espérant un jour revenir et reconstruire leur vie.
La route vers la réconciliation : vers une paix durable
Aujourd’hui, 1 an après ce sombre épisode, les deux communautés s’efforcent de rétablir la paix. De nombreuses personnalités locales, dont la ministre Belmonde Myss Dogo, fille de la région, ont œuvré pour promouvoir la réconciliation et encourager un retour à une cohabitation pacifique.
Ibrahima Tiohozon Coulibaly, directeur général de l’Observatoire de la solidarité et de la Cohésion sociale, présent l’an dernier, et interrogé à cette occasion, a dit lancé un message de paix aux deux communautés de Dougroupalégnoa. « Renoncer au recours systématique de la violence, en cas de divergences entre les deux communautés, mais plutôt de choisir des modes de solutions pacifiques du conflit », a déclaré Coulibaly.
Par ailleurs, la ministre Belmonde Dogo a demandé aux chefs d’être des garants de la paix, d’utiliser des modes alternatifs de conflits. En définitive, selon lui, « la paix est possible, aujourd’hui, entre ces deux communautés ». Des personnalités administratives et politiques y étaient, lors de ces évènements. Hélas, le préfet de Gagnoa, Lancina Fofana, et le député Maurice Kakou Guikahué (impossible de le joindre) n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet.
Les dirigeants des deux groupes, Drissa Ali, secrétaire du chef Baoulé et Francis Kouadio Amani, chef des Baoulé, ont déclaré leur engagement envers la paix. Drissa Ali a expliqué que, malgré les souffrances endurées, la communauté Baoulé a choisi de pardonner, consciente que le pardon est nécessaire pour une coexistence harmonieuse. « Nous avons décidé de tourner la page et de vivre ensemble dans le respect mutuel », déclare M. Ali.
Drissa Ali a expliqué que, malgré les souffrances endurées, la communauté Baoulé a choisi de pardonner…
Le chef résident Bheté, Alexis Zabo, partage cet espoir de paix et affirme que malgré les rancœurs, un consensus de vivre ensemble est possible. « Pour le peuple Bheté, cette histoire appartient désormais au passé », affirme Zabo, rappelant l’importance de la paix pour le développement de Dougroupalégnoa. Ce processus de pardon, bien que difficile, apparaît aujourd’hui comme la voie pour surmonter les divisions et renforcer la solidarité entre les communautés.
Dougroupalégnoa, symbole de résilience et de réconciliation
À Dougroupalégnoa, la réconciliation devient ainsi une priorité. Les sages du village, comme Benoît Bably, soulignent l’importance de dépasser la violence du passé pour bâtir un avenir de paix et de prospérité commune. Avec l’appui des autorités et des associations locales, des efforts sont en cours pour réparer les dégâts matériels et aider les habitants à se reconstruire.
Si le souvenir de Kevin Kouamé reste douloureux, sa mort a servi de catalyseur pour éveiller les consciences et rappeler aux communautés l’importance de la paix. Le sacrifice de ce jeune homme invite les deux groupes à préserver la paix et à collaborer pour un avenir meilleur.
1 an après les affrontements, Dougroupalégnoa devient un symbole de résilience et de pardon, où la volonté de dépasser les conflits se transforme en modèle de réconciliation. En surmontant les divisions, les communautés Bheté et Baoulé montrent qu’au-delà de la tragédie, une paix durable est possible.
Magloire Madjessou, envoyé spécial à Gagnoa
Encadré 1 :
La provocation de trop ?
La mort. Le jeune Kevin Kouamé Kouadio a trouvé la mort alors qu’il revenait du centre de prière où il résidait depuis quelques mois. Ses parents et amis ne s’attendaient pas à son retour prématuré de ce camp. Malheureusement, il est tombé dans une embuscade, entouré de jeunes en furie.
La violence était leur seule arme ce jeudi. Kevin a été lâchement égorgé par des jeunes Bheté. Il est évident que cette tragédie a déclenché une vague de méchanceté inhumaine dans un village où, jusqu’alors, la coexistence pacifique était la règle. Ce drame n’a fait qu’exacerber la douleur au sein de la communauté, unie dans l’angoisse et la tristesse.
En temps normal, la perte d’un membre est un moment de deuil collectif, où les familles se rassemblent pour pleurer un être cher. Mais dans le cas de Kevin Kouamé, la brutalité de sa mort a semé le trouble et l’angoisse parmi les jeunes Baoulé, incapables de tolérer cette disparition soudaine et injuste. Alors qu’il se trouvait sous soins et prières pour guérir, sa vie a été écourtée avec une cruauté inacceptable.
Magloire M.
Encadré 2 :
Des témoignages contradictoires…
Après les témoignages des communautés Baoulé et Bheté, les versions sur les circonstances de l’assassinat sont divergentes. Selon Roger Gnahiri, président des jeunes Bheté, un jeune Baoulé, armé d’une machette après avoir creusé la tombe d’un proche, aurait refusé d’obtempérer lorsqu’on tenta de le raisonner. Cela aurait poussé les jeunes Bheté à intervenir pour le désarmer.
En revanche, selon les proches de Kevin Kouamé, 21 ans, il avait quitté un camp de prière pour se faire couper les cheveux, sans attendre l’affrontement dans lequel il se retrouva. Dans cette violence, Kevin a été froidement égorgé devant tous, un acte effroyable que les Bheté n’auraient pas pu relaté avec précision. Cette scène a fait basculer la situation, attisant la colère des Baoulé qui ont incendié les demeures de ceux jugés responsables.
Madjessou
Encadré 3 :
Retour à la paix et au pardon
Un an après cette parenthèse douloureuse, l’heure est venue de renouer avec la paix. Les deux communautés, autrefois animées par une méfiance réciproque, aspirent désormais à la réconciliation. Dans leurs discours, les chefs de communauté ont insisté sur l’importance du pardon, marquant cette résolution lors d’une cérémonie rituelle. Une autre cérémonie de réconciliation, organisée par le chef du village, invitera toutes les communautés (Baoulé, Agni, Koulango, Burkinabè, Malinké, Gouro, etc.) à cohabiter pacifiquement.
Pendant ces événements, des personnalités influentes, dont des cadres, préfets, ministres et forces de l’ordre, se sont rassemblées pour délivrer un message de paix.
Pour marquer cette transition, un couvre-feu a été instauré pendant deux jours, symbolisant la gravité de la situation et le besoin de calme. À Dougroupalégnoa, un village de 6 000 âmes, paix et pardon sont devenus les mots d’ordre, un héritage précieux à protéger pour les générations à venir.
M.M