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De Bagdad à Tunis : l’aventure ambiguë des migrants ivoiriens

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Une migrante ivoirienne raconte son calvaire dans ce pays/Ph Credo

Croyant mener une vie meilleure que celle menée en Côte d’Ivoire, de nombreux Ivoiriens se sont jetés pour la plupart sur les côtes maghrébines, en vue de braver l’océan et atteindre l’Eldorado. Mais l’espérance qui les anime au départ ne tarde pas à se transformer en désillusion lorsqu’ils affrontent la réalité. Voyage sur le chemin d’un espoir qui se mue en désespoir.

Mardi 8 juin 2021, il est 18 heures. Notre équipe de reportage met le cap à Adjouffou (Port-Bouët) banlieue de la ville d’Abidjan, au domicile de Koffi Hamilton. Notre équipe est accueillie par le couple et leurs trois enfants. Des enfants tous heureux, réunis autour de leurs parents en train de regarder paisiblement la télévision. Mais cet encadrement paternel, ces enfants n’en ont pas toujours bénéficié. Simplement parce qu’à un moment, chacun de ces deux parents a laissé les siens pour aller en aventure.

C’est Mme Koffi Ariane qui fut la première à aller en aventure. Répondant à une proposition d’emploi, elle a quitté la Côte d’Ivoire, le 26 février 2016, pour Herbin, une ville située non loin de Bagdad (Irak). Dans cette ville, dame Koffi travaillait chez une veuve irakienne qui a perdu son mari et ses enfants dans la guerre d’Irak. La jeune dame était bien traitée par sa patronne, témoignage-t-elle.  »Ma patronne était très gentille et me traitait très bien ».

Malgré le bon accueil à lui accordé, après un mois d’activité, Mme Koffi manifeste le désir de retourner en Côte d’Ivoire, en raison des problèmes de santé. En effet, un mois avant de s’envoler pour Herbin, elle avait donné naissance à un nouveau-né par césarienne. Ce sont les plaies dues à la césarienne qui lui causaient de sérieux ennuis.

L’idée de retourner en Côte d’Ivoire était maintenant un lointain souvenir. Sa patronne avait mis les moyens pour qu’elle reçoive des soins appropriés. Ayant séjourné dans ce pays, sa morale et son éducation ne lui permettaient pas de voir ses sœurs subir de violences et maltraitances de la part de ces personnes. Finalement, elle met fin à son travail et envisage partir dans son pays, la Côte d’Ivoire.

Venue retirer son passeport pour le voyage en Côte d’Ivoire, Mme Koffi verra que ses sœurs ivoiriennes subissent de la maltraitance. Ces responsables d’agence de placement restent sourds aux préoccupations de ces dernières malgré un anglais approximatif exprimé.

Mlle Christelle est ivoirienne et travaille en tant que fille de ménage à Herbin. Mme Koffi Ariane a fait sa connaissance à l’agence de placement des jeunes filles. Dans cette ville, tous les migrants qui viennent et qui désirent du travail s’inscrivent dans cette agence de placement de main-d’œuvre.  Après leur inscription, les migrants déposent leurs passeports à l’agence de placement. Ils ne pourront les retirer que lorsqu’ils manifesteront le désir de quitter la ville ou le pays. Venue retirer son passeport pour le voyage en Côte d’Ivoire, Mme Koffi verra que ses sœurs ivoiriennes subissent de la maltraitance. Ces responsables d’agence de placement restent sourds aux préoccupations de ces dernières malgré un anglais approximatif exprimé.

En définitive, la plainte de Mlle Christelle a eu un écho favorable auprès du personnel de l’agence. Et ce, grâce à l’intervention de Mme Koffi Ariane qui, dans un anglais soutenu a clairement rapporté les mésaventures de la jeune fille aux responsables de l’agence. En effet, dans son lieu de travail, celle-ci est l’objet d’humiliation. Ses patrons ont installé une caméra dans sa douche et filment sa nudité. Le soir, lorsque ceux-ci se rassemblent, ils regardent le CD avec plaisir et raillerie. 

Choqués par cette attitude et grâce au soutien de Mme Koffi, l’agence de placement va aider Christelle a regagné son pays, la Côte d’Ivoire, en mai 2016. Après elle, raconte Mme Koffi, depuis Abidjan,  »j’ai pu coordonner le retour au pays d’une seconde migrante dont j’ai oublié le nom. C’est une fille Bhété dont à force d’être battue par sa patronne portait des traces sur tout son corps. Elle a regagné la Côte d’Ivoire, en juin 2016. Mais elle est partie maintenant en Europe », précise-t-elle.

La souffrance du couple Koffi

En 2019, soit trois (3) ans après son épouse, c’est Koffi Hamilton qui va prendre le chemin de l’aventure malgré l’opposition de sa femme. Le 9 mars 2019, Koffi Hamilton qui était responsable boutique dans une station-service à Abidjan et dont le salaire avoisinait 100 000 FCFA abandonne son emploi pour la Tunisie. Dans le but d’exercer la même activité et être rémunéré à 300 ou 400 000 F Cfa, selon la promesse à lui faite. Mais à son arrivée à Tunis, Koffi Hamilton va se rendre compte de l’évidence de ce pays.

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A son arrivée, raconte-t-il,  »mon ami qui m’a convaincu de venir n’est pas venu m’accueillir. Il a plutôt envoyé une autre personne pour m’accueillir. Celui-ci m’a conduit dans la ville d’Ariana au quartier Nour Jafar, puis m’a abandonné devant le portail d’une cité ». Hamilton est resté devant le portail jusqu’au soir, lorsqu’une ivoirienne a eu pitié de lui et l’a hébergé.

Berné à maintes fois, Hamilton va multiplier les boulots, dans le seul but d’avoir une manne financière suffisante : fast-food, aide-maçon voire ouvrier. Des boulots, qui apparemment ne donnent pas à l’homme de bien s’occuper de lui et de sa famille. Une souffrance en cascade en travaillant dans ce pays.

Tous ses différents emplois pouvaient lui permettre d’envoyer de l’argent à sa famille si les étrangers étaient bien rémunérés dans ce pays. Il explique qu’en Tunisie, le travail le bien rémunéré est celui d’aide-maçon.  L’ouvrier doit percevoir 5000 f par jour. Cette somme, elle est payée intégralement aux nationaux.  »Nous les étrangers, c’est à des montants dérisoires qu’on était payé », indique Koffi.

Après son départ, sa femme qui était nourrice et caissière dans une station mobile a perdu son emploi car elle n’arrivait plus à allier le travail et la gestion du ménage. Pour pouvoir nourrir sa famille, cette ex-caissière s’est transformée en commerçante ambulante. La vente de jus du dèguê, des yaourts et des beignets appelés  »Boson » fait désormais partie de son quotidien. Elle a ajouté à son activité la vente d’attieké, un met beaucoup prisé en Côte d’Ivoire.

Malgré tous ces efforts, Mme Koffi Ariane est devenue la risée du quartier parce qu’incapable de solder le loyer mensuel et répondre aux charges de la maison. « J’étais de plus en plus découragée de mon époux qui ne m’a pas écouté, est parti en aventure et nous a mis dans cette situation », regrette Mme Koffi.

L’intégration dans la société

A Ariana, pris d’illusion et de désespoir, Koffi Hamilton nourrit désormais l’envie de retourner au pays. C’est dans ce cadre qu’un mois après son arrivée à Ariana, il saisit l’Office International de Migration (OIM) par le biais d’une religieuse, afin de l’aider à atteindre ce but. Grâce à l’appui de Sœur Specio, responsable de la Caritas à Tunis, Koffi Hamilton va regagner Abidjan, le 3 septembre 2019. Soit après six mois de calvaire passés à Ariana.

A mon retour,  »j’ai trouvé ma famille malade. Ma femme était amaigrie. Le peu d’argent que j’avais, j’ai pris pour m’occuper des miens », indique Koffi Hamilton. Qui aujourd’hui est heureux de mener une vie heureuse avec sa famille et ne songe même plus repartir en aventure. Si le couple est heureux d’être revenu en Côte d’Ivoire, tel n’est pas le cas pour ces dames. Revenues dans leur pays, elles connaissent dénigrement, souffrances, humiliations, injures…

Des familles…pas de solidarité

Elle va élire domicile chez son petit frère à Yopougon Abidjan, quartier Millionnaire. Mais l’ambiance dans cette famille Etché n’est pas au beau fixe.

Après un séjour de  deux années (2018-2020) en Tunisie, Mlle Etché Tanoa Évelyne (rencontrée à Yopougon), qui a tenté en vain à plusieurs reprises de se rendre en Italie, a dû renoncer à son projet de retour en Côte d’Ivoire. Devenue mère de deux enfants et n’ayant pas d’argent, elle a sollicité l’aide de son petit-frère pour l’achat de son billet d’avion. Ayant obtenu ce titre de transport, elle quitte la Tunisie pour retourner en Côte d’Ivoire le 28 septembre 2020.

Elle va élire domicile chez son petit frère à Yopougon Abidjan, quartier Millionnaire. Mais l’ambiance dans cette famille Etché n’est pas au beau fixe. «Mon petit-frère ne me considère pas. Ne parlons pas des autres frères et des autres membres de la famille. Depuis mon arrivée personne n’est venue me voir. Tous m’ignorent », constate la jeune mère, qui a exprimé son regret d’être revenue au pays.  »Si je savais qu’en Tunisie, l’OIM pouvait m’aider à obtenir un emploi, je n’allais pas venir vivre dans cette situation. Et puis, si je n’avais pas d’enfants, je serais répartie encore peut-être cette fois-ci, en Europe ».

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Mlle Etché Tanoa Évelyne n’est pas la seule dans cette situation. Nombreux sont les migrants revenus au pays et qui sont rejetés par leur famille. C’est aussi le cas de Mlle Assomou Véronique, qui vivait à Koumassi et ayant fait deux ans (2017 – septembre 2019) à Sfax (Tunisie).  »Quand j’étais là-bas, tous les parents m’appelaient pour que je leur envoie de l’argent. Mais depuis que je suis revenue à part ma mère, personne ne m’appelle. Même quand j’étais malade, personne ne s’est rendue à l’hôpital de Koumassi, où j’étais hospitalisée.» Elle aussi regrette d’être revenue au pays pour subir un tel traitement de la part de sa famille.

Ahoussi Aka

 

Encadré

Le calvaire des migrants à leur arrivée

800 000 F Cfa. C’est la somme minimum exigée à tout migrant désirant se rendre en Tunisie. Ce montant comprend les frais de transports et l’argent de poche. Mais une fois arrivée à destination, cette somme va être soutirée au  migrant  par  celui ou celle qui l’a motivé à partir là-bas.  Ce dernier use de ruse ou parfois de violence pour déposséder au nouveau venu son passeport et tout son argent. Certains résistent et refusent de se soumettre à ce principe. Mais ceux-ci sont immédiatement abandonnés à leurs risques et périls. Ceux qui se soumettent (les plus nombreux) sont désormais privés de toutes pièces administratives et obligés de jouer à cache-cache avec la police de ce pays.

Si certains réussissent à avoir de l’argent pour le voyage en Europe, pour d’autres, se n’est pas évident. Certains rebroussent chemin. Aussi, de nombreux migrants meurent-ils de cette mésaventure en Tunisie comme l’ont témoigné les nombreux migrants.

Grâce aux actions de l’Office international des migrants (OIM), les migrants qui le désirent regagne leur famille. Ces actions de l’OIM sont aussi appuyées par la Caritas de ladite ville. Généralement, la Caritas plaide pour que les dossiers des migrants qui les sollicitent soient rapidement pris en compte par l’OIM. 

Une fois que ces dossiers sont validés, la Caritas nationale de la Tunisie informe la Caritas nationale de la Côte d’Ivoire. La Caritas ivoirienne par le biais du chargé des urgences migratoires prépare donc le retour au pays du migrant. La famille du concerné est contacté en vue de faciliter son insertion dans la famille et dans la société. La Caritas se charge également d’apporter une assistance aux migrants revenus en famille. C’est dans ce cadre que la famille Koffi, ainsi que Mlles Etché Tanoa Évelyne et Assoumou Véronique ont tous bénéficié de biens matériels et financiers de la part de cette structure caritative pour refaire leur vie.

A. Ahoussi

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