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Quartier Phare de Port-Bouët : le retour de la mer fait abandonner les maisons et les églises

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Phare Port-Bouët, un quartier de la commune de Port-Bouët ravagé par l'érosion côtière/Ph Credo

À Port-Bouët, l’érosion côtière détruit maisons, écoles et lieux de culte. Tous les deux ans, les habitants du quartier Phare assistent impuissants à l’avancée dramatique de la mer et à l’abandon progressif du rivage.

Tous les deux ans, le quartier Phare de la commune de Port-Bouët, dans le district autonome d’Abidjan, est confronté à un phénomène aussi particulier qu’alarmant : l’impact grandissant du changement climatique. En cette année 2024, l’érosion côtière a durement frappé les habitants de cette zone : destructions de maisons, d’églises, d’écoles, pans de clôtures effondrés… Tel est aujourd’hui le tableau affligeant de ce quartier jadis animé par la joie de vivre et les festivités.

Autrefois éloignée d’environ 500 mètres des habitations, la mer a, au fil des décennies, rattrapé les populations et leurs biens. Aujourd’hui, certaines maisons se trouvent à moins de 10 mètres de la mer. Chaque matin et soir, les habitants sont réveillés ou troublés par le fracas assourdissant des vagues frappant leurs portes, nourrissant ainsi peurs et angoisses.

selon les populations, dans l’extraction abusive de sable marin par les entreprises et particuliers, ainsi que dans les pluies diluviennes qui accentuent la montée des eaux

Cette avancée incontrôlée de la mer effraie aussi bien les riverains que les visiteurs venus constater l’ampleur des dégâts. Devenu un phénomène cyclique et incontrôlable par l’action humaine, ce désastre trouve ses origines, selon les populations, dans l’extraction abusive de sable marin par les entreprises et particuliers, ainsi que dans les pluies diluviennes qui accentuent la montée des eaux. En dépit des discours officiels, ce lieu en constante destruction est devenu, aux yeux de beaucoup, un véritable cimetière à ciel ouvert.

Un sorte de digues construites par les riverains/Ph Credo

Pourtant, les autorités locales se rendent sur place, constatent les dégâts et prennent, sur le moment, certaines mesures visant à apaiser les esprits. « Je pense qu’il y a quelques années, nous ne connaissions pas un tel phénomène. Mais une chose est certaine : d’année en année, la mer progresse à une vitesse alarmante, détruisant maisons, écoles, églises et bâtiments administratifs tels que le mur du Phare. Ce que nous vivons ici dépasse de loin la simple définition du changement climatique », confie Claude Gué, un habitant du quartier.

Un phénomène qui revient tous les deux ans

Sur la plage du quartier Phare, derrière le mur des religieuses Claretaines, un homme contemple silencieusement les vagues. Que peuvent faire les autorités face à cette avancée marine qui prend, tous les deux ans, une ampleur dramatique ? Rien, semble-t-il. Chaque année, les habitants sont confrontés à la menace directe des vagues qui semblent annoncer leur futur déguerpissement.

Selon Claude-François Bogui, président du Comité de gestion du quartier Phare, entre juillet et août 2024, l’avancée de la mer a détruit au moins 87 habitations. « La mairie nous a apporté des vivres et des produits de première nécessité. Heureusement, aucune perte humaine n’a été enregistrée. Le maire, Dr Sylvestre Emmou, a promis de reloger les personnes affectées à travers une liste préétablie, mais à ce jour, je ne sais pas si ce relogement a effectivement eu lieu », affirme-t-il.

Des débris jonchent le littoral : déchets, morceaux de maisons, chaussures… La plage est aujourd’hui méconnaissable

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François Bogui, président du Comité de gestion du quartier Phare Port-Bouët/Ph Credo

Pour Moussa Koné, un autre riverain, il y a encore un an, la côte était bordée de maquis et de lieux de détente, désormais entièrement rasés par la mer. Des débris jonchent le littoral : déchets, morceaux de maisons, chaussures… La plage est aujourd’hui méconnaissable.

 « J’estime que l’État ivoirien devrait intervenir plus fermement pour protéger les habitants de ce quartier. Dans d’autres pays, comme au Ghana, des digues ont été construites pour endiguer l’avancée de la mer. Certes, cela représente un investissement colossal, mais il en va de la survie des populations », plaide-t-il.

Entre désespoir et résilience

Sur une étendue de plus de 10 km, maisons, églises, bâtiments administratifs ont été avalés par l’océan. Le désespoir se lit sur les visages. Certains habitants ont quitté les lieux, il y a plusieurs années, d’autres plus récemment.

Maisons, églises et autres détruits par la mer/Ph Credo

Abraham Kouadio, ancien propriétaire, se remémore le jour où il a quitté sa maison en 2022. « Ce matin-là, d’immenses vagues se sont précipitées devant ma cour. J’ai immédiatement demandé aux locataires de quitter les lieux, car l’avenir s’annonçait dangereux. Nous avons tous fui vers différents quartiers d’Abidjan », raconte-t-il, avec tristesse.

Ruth George, pasteure de la Mission évangélique Divin Amour, témoigne également : « Lorsque nous avons construit l’église, il existait encore une route bitumée (ancienne route de Grand-Bassam). Aujourd’hui, elle a disparu. Du 25 au 27 avril 2025, la mer a été particulièrement violente et a endommagé les bâtiments. Nous recherchons désormais un nouveau lieu pour nos cultes. » Elle suggère que la Côte d’Ivoire s’inspire d’exemples comme Takoradi (Ghana), où des rochers et remblais ont été installés pour contenir les flots marins.

À Port-Bouët, les vagues sont devenues plus violentes qu’auparavant.

Malgré tout, quelques écoles subsistent : le Groupe scolaire Les Oliviers, le collège catholique Sainte Anne, et même le campus universitaire. Les élèves y vont chaque jour, la peur au ventre.

Une vue des habitations et clôtures cédées…

La mer, un spectacle et un danger

Paradoxalement, la plage reste un lieu de loisir. Des jeunes s’y retrouvent pour discuter, jouer au football ou faire du sport, dans une étrange cohabitation entre plaisir et péril. Interrogé, Dr Brice Mobio, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny et spécialiste en géomatique appliquée à l’environnement marin et côtier, explique que nous vivons une période de retour des eaux sur le continent.

Dr Brice Mobio, spécialiste en géomatique appliquée en environnement marin et côtier, explique ce phénomène…

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« Il y a des milliers d’années, la mer recouvrait cette partie du continent. Elle s’est ensuite retirée. Aujourd’hui, avec le changement climatique et les activités humaines, elle revient. La fonte des glaces contribue à l’élévation du niveau de la mer », indique-t-il.

Face à ce phénomène, l’adaptation est inévitable. « On peut construire des infrastructures de protection comme les digues, mais cela coûte très cher. À Port-Bouët, au niveau du Canal de Vridi, il en existe. Toutefois, dans certains cas, il faudra envisager le déplacement des populations, comme cela s’est fait à Grand-Lahou, Sassandra ou ailleurs. L’homme ne peut que s’adapter », conclut-il, appelant l’État ivoirien à agir avec discernement et volonté.

 Magloire Madjessou

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