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Centre ‘’Lamine Fatiga » de Bouaké : Au cœur de la misère des artisans handicapés

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Assis à l’atelier, le sculpteur Solo croit toujours en des lendemains meilleurs/Ph Credo

Faisant fît de leur handicap physique, les artisans du Centre de formation ‘’Lamine Fatiga’’ de Bouaké font preuve de bravoure, d’abnégation et travaillent durs à la sueur de leur front. Alors que le monde concurrentiel, dans lequel ils y sont, leur ait défavorable, depuis la crise militaire de 2002. A la découverte des actes de résilience posés par ces valeureux artisans vivants avec handicap pour faire échec aux péripéties qui se dressent contre eux.

Jeunes ou adultes de différents sexes. Ils ont, tous, un dénominateur commun : handicapés physiques des membres inférieurs. Eux, ce sont les artisans vivant avec handicap du centre de formation artisanale ‘’Lamine Fatiga’’ de Bouaké. Un centre, où la plupart d’entre eux ont été formés avant d’exercer dans le même lieu à défaut d’avoir des soutiens ou des moyens financiers pour s’installer à leur propre compte.

Mais ni leur handicap physique, ni le manque de moyens pécuniaires n’ont constitué en aucun cas un obstacle pour ces artisans qui ont converti leurs faiblesses en force, afin de surmonter tous les obstacles se dressant sur leur chemin, dans le but de se faire une place au soleil.

Après leur formation dans ce centre créé en 1986, ces apprentis artisans devenus artisans qui ont transformé ce centre en ‘’leur atelier’’, ont fait leur preuve dans le Gbêkê (centre) et dans bien d’autres régions du pays, avant l’éclatement de la guerre en 2002, a indiqué Touré Firmin, président dudit centre, rencontré le 25 janvier 2023 à Bouaké.

Avant la crise de 2002, c’était la période de la vache grasse pour les artisans s’étant installés dans ce centre de formation. En raison de la qualité de leur travail, ces artisans étaient sollicités pour la fabrication de tenues vestimentaires, ainsi que d’engins roulants pour les handicapés physiques moteurs ou handicapés physiques des membres supérieurs ou inférieurs. Chaque année, l’atelier de ferronnerie dudit centre fabriquait au moins 50 voiturettes, 50 tricycles, etc pour le compte de l’Ong Servir de Mme Henriette Bédié et des partenaires. Grâce à leurs commandes, « l’atelier de ferronnerie engrangeait annuellement une manne financière de six (6) millions de F Cfa ».

Avant la crise, lors de la fête de l’indépendance, l’ancien maire Konan Konan Dénis, faisait confectionner les tenues des majorettes par les couturiers vivants avec handicap dudit centre. Même lors de la fête des mères, la confection des cadeaux des mamans était confiée « à nos couturiers », précise Touré Firmin.

un individu pouvait vendre par an des marchandises d’une valeur de 800 à 900 000 F CFA à cause de l’activité touristique qui battait son plein

Au niveau de la sculpture, les commandes n’étaient pas négligeables. Même si cette activité est individuelle, « un individu pouvait vendre par an des marchandises d’une valeur de 800 à 900 000 F CFA à cause de l’activité touristique qui battait son plein » et de la confiance que les clients avaient aux sculpteurs, a indiqué le président dudit centre.

Avant d’ajouter qu’en plus de ces marchés, par an, l’ancien maire subventionnait le centre de formation ‘’ Lamine Fadiga ‘’ à hauteur de 500 000 F CFA. Autant d’atouts ayant permis à ces artisans de se faire une place au soleil. Mais cet espoir de ces artisans vivants avec handicap va connaître du plomb dans l’aile en 2002, avec le coup d’Etat manqué qui s’est mué en rébellion. A l’instar de divers commerces et différents lieux d’activités, le centre de formation ‘’ Lamine Fadiga’’n’a pas été épargné par les affres barbares de l’ex-rébellion.

Mais refusant que ce centre tombe dans la main des ex-rebelles, Touré Firmin affirme « malgré les armes crépitaient, moi je prenais le risque de traverser la ville de Bouaké pour venir ici, pour dissuader les ex-hommes en armes de vouloir faire de ce lieu une de leur base ». Durant cette crise, Touré Firmin a plusieurs fois passé la nuit dans ce centre, jouant le rôle de vigile. Mais il élisait domicile dans ce lieu parce que renter à la maison était devenu dangereux dans cette ville devenue une véritable caverne d’Ali Baba.

Après la crise militaire de 2002 qui a duré plusieurs mois, les artisans vivants avec handicap ont retrouvé leur centre de formation dont les murs étaient balafrés par les balles des combats. Si avant la guerre de 2002, ces artisans bénéficiaient du soutien des autorités municipales et politiques, depuis l’éclatement de la crise, ceux-ci ne sont plus au chœur des préoccupations des élus locaux (maires, députés, président du conseil général ou régional) qui se sont succédé à la tête de différentes institutions dans le pays baoulé.

Bien au contraire, lorsqu’ils sollicitent les élus locaux, leurs sollicitations restent sans suite ou bien s’ils sont reçus ce sont des volées de bois verts qu’ils reçoivent. C’est la raison pour laquelle, lassés de subir des camouflets, Touré Firmin affirme que les artisans qui broient actuellement du noir préfèrent ne plus fonder leur espoir sur ces élus locaux. Ils préfèrent mener d’autres activités parallèles pour subvenir à leurs besoins.               

L’heure de la vache maigre

La crise de 2002 a ouvert les portes de la vache maigre dans la vie des artisans du centre ‘’Lamine Fatiga’’. A Bouaké, c’est une véritable traversée du désert pour ces artisans ne bénéficiant plus de l’appui de partenaires et vomis par les politiques. Par manque de publicité, leurs œuvres sont aussi ignorées par les populations. Une situation qui a fait que certains services comme la ferronnerie ont mis la clé sous le paillasson, tandis que d’autres, bon an mal an, tentent de tirer le diable par la queue pour survivre. 

Assis à l’atelier, le sculpteur Solo croit toujours en des lendemains meilleurs/Ph Credo

Une situation qui a fait que certains services comme la ferronnerie ont mis la clé sous le paillasson

C’est le cas des ateliers de couture hommes et dames, où le stylisme et le modélisme ont disparu de ces lieux. Les bruits des paires de ciseaux et des machines à coudre parvenaient à donner vie aux différents motifs qu’ils créaient pour rendre élégantes les femmes des différentes régions du pays.

Dans les ateliers de ferronnerie, le fer n’est plus rougi dans le feu pour être frappé sur l’enclume et lui donner une forme devant servir à la fabrication d’une œuvre d’art. Même si quelques sculpteurs continuent de sculpter le bois tout en scrutant l’horizon dans l’espoir d’un lendemain meilleur, les cordonniers lassés d’attendre de potentiels gros clients envisagent de se convertir en une autre activité.

Le 25 janvier 2023, lors de notre passage dans ce centre, c’est un spectacle désolant qu’il nous a été donnés de voir. A l’atelier de ferronnerie, il n’y avait qu’un seul ferronnier du nom de Solo mais il ne faisait que tourner ses pouces puisqu’il n’y a rien à faire. Touré Firmin qui est lui-même ferronnier a fait savoir que cet atelier est fermé depuis des mois, « que nous ne recevons plus de commandes de travaux ».

A l’atelier de sculpture, c’est un seul artisan qui y était, lors de notre passage. Yaméogo Simon a été formé dans ce centre de 1993 à 1996, avant de s’y installer comme sculpteur. S’il se réjouit du fait que dans le passé, ce centre ait contribué à leur autonomisation financière, il regrette cependant que la guerre de 2002 ait mis fin ‘’à cette belle vie’’. L’homme qui peine actuellement à payer son loyer espère que des lendemains meilleurs se présenteront à eux pour l’avenir de leurs activités.

La somme, engrangée annuellement par les ateliers de couture, s’élève à 120 000 F Cfa, soit 10 000 F par mois, tandis que l’atelier de fabrication de baffles engrange 140 000 f par an, soit 12 500 F Cfa par mois

Actuellement, au centre des personnes vivant avec handicap de Bouaké, les ateliers de couture (hommes et femmes) et de fabrication de baffles génèrent encore de l’argent, dont une partie est reversée dans les caisses dudit centre. La somme engrangée annuellement par les ateliers de couture s’élève à 120 000 F Cfa, soit 10 000 F par mois, tandis que l’atelier de fabrication de baffles engrange 140 000 f par an, soit 12 500 F Cfa par mois. Tous ces revenus dont les 25 % sont versés dans les caisses du centre sont insuffisants pour faire face aux charges, souligne Touré Firmin. Qui, ce même jour du 25 janvier avait en sa possession une facture de courant de 40 000 F qu’il devait régler, alors que la caisse du centre de formation est dépourvue de biens pécuniaires. Que faire ?

Ne jamais s’avouer vaincu

Ne jamais abandonné et ne jamais s’avouer vaincu. Tel est le leitmotiv du président du centre ‘’Lamine Fadiga’’ qui, face à tous les problèmes, trouve des solutions. Pour faire face aux charges quotidiennes du centre, Touré Firmin et son conseil de direction ont mis en location des magasins appartenant au centre. En plus de cela, les responsables dudit centre ont signé des partenariats avec des promoteurs immobiliers afin que ceux-ci mettent en valeur les terrains appartenant au centre de formation. « Avec les revenus des bâtiments qui seront construits, nous pourrons nous en sortir », rassure fièrement le président dudit centre.

Qui souhaite que ce projet finisse le plus rapidement possible pour le bonheur de ces artisans qui vivent actuellement dans la disette. Aussi, Touré Firmin envisage-t-il, la construction d’un atelier de broderie et de tricotage. Car, dira-t-il, « le centre a formé des personnes vivant avec handicap dans ces domaines, mais puisqu’elles n’arrivent pas à s’installer à leurs propres comptes pour exercer ces activités, elles se sont reconverties à d’autres métiers. Certaines sont devenues des commerçantes », à l’instar de Salimata Tounkara, rencontrée au quartier Commerce, derrière ses étalages de sucrerie, d’eau minérale et de cheaps.

Cette mémé qui, notoirement, a été l’une des premières apprenantes dans ce centre, s’est dite heureuse de l’initiative de Touré Firmin de vouloir ouvrir des ateliers de broderie et de tricotage en leur faveur. Salimata Tounkara qui s’exprimait en langue Malinké a affirmé, « cela nous sera d’un grand apport, nous qui, avons appris un métier et ne pouvons l’exercer par manque de moyens financiers. Nous sommes obligés de mener des activités difficiles pour nos conditions physiques ».

Tout en exprimant sa reconnaissance aux responsables du centre pour leurs actions, Salimata Tounkara n’a pas manqué d’interpeller les élus locaux et les autorités gouvernementales à s’intéresser à la situation des handicapés physiques du centre ‘’Lamine Fadiga’’ de Bouaké.

En Côte d’Ivoire, il n’y a pas de statistiques disponibles pouvant déterminer le pourcentage des personnes vivant avec handicap exerçant dans le domaine de l’artisanat. Mais à part Bouaké, nombreuses sont ces personnes vivant dans les autres villes du pays et réussissant à obtenir leur manne pécuniaire grâce à l’artisanat. Même si le nombre des personnes vivant avec handicap n’est pas connu, il faut savoir que le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2014, avait dénombré 453 453 personnes handicapées en Côte d’Ivoire.

Lors de la révision de la liste électorale de 2022, ce sont 11 155 électeurs en situation de handicap qui ont été enregistrés dans les fichiers de la Commission électorale indépendante (CEI). Un chiffre qui est loin de refléter la réalité de cette partie de la population, estiment les associations des personnes vivant avec handicap. C’est en vue d’actualiser les chiffres à ce niveau que la Direction de la Promotion des Personnes Handicapées (DPPH) mène des démarches auprès de l’Institut national de statistiques (INS) pour que les données désagrégées des personnes en situation de handicap selon le recensement de 2021 soient rendues disponibles.

Même si la masse de cette partie de la population n’est pas encore connue, cela n’empêche pas le gouvernement ivoirien d’œuvrer pour l’insertion des personnes en situation de handicap dans le tissu socio-économique à travers l’emploi salarié et par l’autonomisation.

Cette insertion par l’emploi salarié se fait tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Au niveau du secteur public, l’Etat a initié le recrutement dérogatoire des personnes handicapées à la fonction publique. Depuis 1997 à 2022, ce sont 1907 personnes en situation de handicap qui occupent un emploi dans les administrations. Au niveau du secteur privé, des textes réglementaires ont été pris pour inciter les entreprises à employer les personnes en situation de handicap diplômées.

Selon la DPPH, le volet autonomisation se résume à rechercher des financements pour les Activités génératrices de revenus (AGR) des personnes en situation de handicap, en les accompagnant dans la rédaction des AGR, leurs installations, ainsi que le suivi de leurs activités. A ce propos, la DPPH a tissé des partenariats avec des structures d’aide à l’emploi qui ont permis de former et d’accompagner les projets de personnes en situation de handicap (Agence de formation professionnelle, Agence emploi jeunes, compagnie de téléphonie mobile, etc).          

 Ahoussi Aka

 

Encadré

De la mission aux administrateurs

Fondé le 14 juillet 1986 et situé au quartier Commerce de Bouaké, le centre ‘’Lamine Fatiga’’ du nom de son initiateur El Hadj Lamine Fadiga, forme les personnes vivant avec handicap dans le domaine de l’artisanat. 

Le promoteur de ce centre qui fut le premier président de la chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (1967-1990), assurait le financement de cet institut qui était placé sous la gestion d’une institution américaine appelée, ‘’Le corps de la paix’’.

Après le décès du fondateur en 1990, ledit centre de formation a été placé sous la responsabilité d’un des fils du défunt, en la personne de Kamogo Fadiga. La gestion quant à elle, est revenue à des missionnaires italiens, à savoir ‘’Les frères Marius’’. Touré Firmin affirme qu’il revenait à ces missionnaires catholiques de désigner l’un des leurs pour assurer cette tâche.

C’est ainsi que Jacou Meli, frère Benigno vont successivement administrer le centre. A son départ, frère Benigno qui a passé 4 ans à la tête dudit centre de formation va passer le relais à Mme Nicole. Elle va diriger la maison des artisans vivant avec handicap de 1999 à 2002, soit à l’orée de la rébellion qu’a connue la Côte d’Ivoire. Il faut signaler que sous Kamogo Fadiga, la famille estimait qu’elle ne tire aucun profit à abandonner l’institut dans la main des artisans vivant avec handicap.

En 2002, après le départ de Mme Nicole, les artisans pris dans l’engrenage de la rébellion et frappés par la crise financière n’ont plus jugé utile de faire appel à des personnes extérieures pour gérer leur maison. C’est ainsi que Touré Firmin qui avait été déjà désigné par ses pairs comme le président des artisans de cette maison de formation prit les reines dudit centre. Il a mis en place une administration composée de 8 personnes. Tous des handicapés physiques, généralement de membres inférieurs.

 AA

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