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Commémoration des fidèles défunts: Un théologien s’interroge sur la sainteté des ancêtres africains (Fin)

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Le cimetière de Koumassi /Ph Credo

Hier(jeudi 3 novembre), nous avons publié une première partie de la contribution du père Serge-Faustin Yomi. Aujourd’hui, nous publions la dernière partie et fin.

La relation de vie aux Ancêtres révèle et manifeste la conviction selon laquelle, ceux qui ont été une chance et un miracle pour leur communauté ne peuvent pas disparaître avec la mort. Au contraire, ils connaissent et atteignent une dimension de la vie au-delà de la mort qui leur permet d’être toujours utiles pour la communauté.

En définitive, ce lien de vie aux Ancêtres souligne le fait qu’une vie menée avec sagesse, dans l’amour, la recherche du bien commun et dans le respect de la vie et de toute vie, une telle vie n’est jamais détruite par la mort. Elle est plutôt transformée en quelque chose de beau, de bien et de grand qui fonde la raison d’être du maintien permanent de la relation avec ces parents d’un autre genre.

Dans cette optique, conclut le théologien Jean-Marc ELA : « Si donc la relation avec les Ancêtres consiste dans la croyance que la communion profonde établie entre les membres d’une famille n’est pas rompue par la mort, mais se maintient malgré et par-delà la mort, il faut admettre qu’il n’y a rien là qui s’oppose à la foi chrétienne »[1].

Par conséquent, certains Ancêtres africains sont même á inclure dans la communion des saints.

  1. De certains Ancêtres déjà inclus dans la communion des saints.

En parlant ici de certains Ancêtres inclus dans la communion des saints, nous voulons mettre en lumière la vie de sainteté de ceux-ci et, au-delà, souligner que tous les Ancêtres africains ne peuvent pas être pour autant considérés comme des saints.

Sur le sujet les avis sont bien partagés comme c’est le cas avec le théologien François KABASELE-LUMBALA. Il se refuse à prendre les Ancêtres africains pour des saints, c’est-à-dire pour des gens déjà arrivés au but de la vie. Comme argument, il part du fait que l’au-delà africain a besoin d’être complété par ce que le Christ nous a révélé, à savoir la présence de Dieu, la demeure de Dieu.

Par conséquent, le village des Ancêtres qu’il appelle « village planté de bananiers » doit encore déménager vers un ciel nouveau et une terre nouvelle, lieu de plénitude. Tant que cela n’est pas encore fait et réalisé, alors les Ancêtres sont encore en route : «ils sont en route avec moi, le croyant en Jésus d’aujourd’hui; et à travers moi leur descendant, ils atteignent la plénitude de Jésus-Christ. Et je dois les y associer, car ils sont toujours avec moi»[2].

Paul-Émile ADIAFI KOUASSI, quant à lui, s’est interrogé pour savoir si tous les Ancêtres africains, singulièrement les Ancêtres des Agnis pouvaient être considérés comme des saints. Partant de saint Justin l’Apologiste qui avait affirmé que tous les sages païens qui ont vécu du Logos étaient des saints[3], Paul-Emile conclut que, bien que tous les Ancêtres des Agnis ne puissent pas être considérés comme des saints, il y a, cependant, parmi eux, de vrais saints comme chez tous les peuples de la terre : si la volonté de Dieu c’est de sauver tous les hommes, alors il a donné à ces peuples des moyens bons et justes de salut par lesquels ils deviennent saints et parviennent au salut.

Or, les Ancêtres et particulièrement ceux pouvant être considérés comme de vrais saints sont des hommes et des femmes qui ont vécu dans la justice, qui ont cherché l’honnêteté et la cohésion sociale à travers les coutumes et les croyances[4].

Pour nous, si l’Esprit Saint répand la sainteté partout[5] et qu’elle est le fruit de sa présence dans une vie[6], alors les Ancêtres africains qui ont vécu ouverts à l’Esprit Saint et selon les éléments de salut de leur culture et tradition, qui ont agi avec sagesse et suivi leur conscience droite[7], ceux-là font partie déjà de la communion des saints (Cf. Ap 7, 9-14).

Et comme tel, l’Africain peut les honorer, vénérer et se recommander à leur intercession comme c’est le cas avec, d’un côté, toute personne qui a vécu et est mort dans l’amitié et la communion avec Dieu, et de l’autre, les saints reconnus par l’Église : nous recherchons « dans la vie des saints un exemple, dans leur communion une participation à leurs biens et dans leur intercession un secours »[8].

L’Africain n’a donc pas à renoncer à la relation de vie et de communion avec ses Ancêtres qui constituent des modèles sociaux, des exemples de vie intègre, loyale et honnête, des aides et des piliers. Il a plutôt la chance, en ouvrant cette communion à Jésus-Christ mort et ressuscité, de lui permettre d’atteindre sa véritable dimension : la communion aux Ancêtres s’ouvrira merveilleusement sur la communion des saints[9] qui l’intègre et l’inclut, de sorte à favoriser un rapprochement possible entre la vénération des Ancêtres et celle des saints sans faire profondément entorse à la foi chrétienne.

En Jésus-Christ, mort et ressuscité, Médiateur suprême, la médiation ancestrale est prise en compte, intégrée et ouverte à une dimension nouvelle. Désormais, l’Africain trouve en Jésus-Christ, le Médiateur de vie qui le fait entrer dans une famille plus grande et à dimension universelle. Dans cette famille, il bénéficie de l’assistance, de l’aide, de la solidarité, l’exemple et l’intercession d’hommes et de femmes « (…) qui sont déjà parvenus en la présence de Dieu [et qui] gardent avec nous des liens d’amour et de communion »[10]. Ces hommes et femmes sont appelés par la foi chrétienne des saints.

Toutefois, il convient de souligner que les Ancêtres n’ont d’importance qu’en lien avec Dieu : c’est de Lui qu’ils reçoivent tout pour les transmettre aux vivants de la terre[11] et c’est encore Lui qui fonde leur autorité. Par conséquent, Dieu seul est et demeure le propriétaire de la vie ; Il en est la source. Et comme tel, c’est Lui qui doit occuper la première place et non les Ancêtres. À ce propos souligne un proverbe Dan de l’ouest de la Côte d’Ivoire : « C’est à celui qui a tué le gibier qu’on demande la tête, et c’est à celui qui a la tête qu’on réclame les cornes ». Les cornes sont le siège et le symbole du pouvoir dont Dieu en est le détenteur absolu.

C’est pourquoi, la communion de l’Africain à ses Ancêtres doit pouvoir s’ouvrir à Dieu et reposer sur Lui pour pouvoir être intégrée et inclue dans celle des saints. Ainsi, pourrait-elle, d’un côté, être assumée et accomplie, et de l’autre, s’ouvrir à un au-delà d’elle-même grâce à Jésus-Christ mort et ressuscité. D’ailleurs, le Concile rappelle que « (…) nos relations avec les bienheureux, à condition de concevoir celles-ci dans la lumière plus pleine de la foi, ne diminuent en rien le culte d’adoration rendu à Dieu le Père par le Christ dans l’Esprit, mais au contraire l’enrichissent davantage »[12].

Conclusion

Dieu, dans l’histoire propre à chaque peuple, fait route de manière mystérieuse avec les hommes, quelle que soit leur croyance. Dans cet « ensemble en chemin » avec les hommes, Dieu en son Fils, le Verbe de vie et par son Esprit, travaille silencieusement dans leurs cultures, traditions et rites comme lieux où ils peuvent dans un clair-obscur le sentir, le découvrir, le connaître et le rencontrer.

À telle enseigne que tout ce qu’il y a de beau, de bien, de grand, de glorieux et de profondément humain — fruits du mystère de la présence de Dieu — dans ces cultures, traditions et rites, est une préparation providentielle dans la force de l’Esprit pour l’accueil du Christ et son message de salut.

Or, parler de la sainteté de certains Ancêtres africains, c’est justement mettre en lumière l’action mystérieuse, certes, mais bien réelle de Dieu à travers son Verbe et son Esprit dans la vie de ces Ancêtres.  C’est pourquoi, il faut désormais s’engager à travailler pour l’intégration de la communion de l’Africain avec ses Ancêtres dans la communion des saints en Jésus-Christ mort et ressuscité.  De la sorte, l’Africain comprendra que sa vie, menée à l’ombre des Ancêtres, est appelée à devenir ouverture et don à Dieu et au prochain. Aussi, trouvera-t-il dans cette communion des saints d’autres modèles de vie pouvant l’inspirer sur son chemin de sainteté et son rapport aux autres et surtout à Dieu.

[1]Jean-Marc ELA, Ma foi d’Africain, Nouv.éd., Karthala, Paris, 2009, p. 43.

[2] François KABASELE-LUMBALA, Annoncer le salut chrétien dans la mort africaine, in : J. DORE ; R. LUNEAU ; F. KABASELE (dir), Pâques africaines d’aujourd’hui, Col. Jésus et Jésus-Christ (37), Desclée, Paris, 1989, p. 171.

[3] Cf. I Apol. 46 ; PG 6, 397-400 ; II Apol. 13,3, PG 465-468.

[4] Cf. Paul-Émile ADIAFI KOUASSI, Humanisme religieux Agni et Foi chrétienne, Thèse de doctorat en théologie dogmatique, Tome 2, Université Pontificale Urbaniana, Rome 1978, p. 49-58.

[5] Cf. François, Exhortation Apostolique, Gaudete et Exsultate, 19 mars 2018, n°6, consulté le 18/07/2021 sur www. vatican.va.

[6] Cf. Ibid, n°15.

[7] Cf. LG, 16.

[8] LG, 51.

[9]Le Catéchisme de l’Église Catholique souligne que le terme « communion des saints » a deux significations étroitement liées : « communion aux choses saintes, sancta » et « communion entre les personnes saintes, sancti “(CEC, n°948). Toutefois le terme ‘communion des saints’ est une manière de définir l’Église et renvoie à elle (CEC, n°946) : l’Église n’est rien d’autre que la communion des saints, c’est-à-dire, communauté de tous ceux qui ont reçu la grâce régénératrice de l’Esprit par laquelle ils sont fils de Dieu, unis au Christ et appelés saints.

De cette communauté, certains cheminent encore sur cette terre, d’autres sont morts et se purifient aussi avec l’aide de la prière des vivants. D’autres, enfin, vivent dans la présence de Dieu d’où ils sont en communion avec leurs frères et sœurs encore en marche sur la terre et intercèdent pour eux. Aussi, la communion des saints, souligne-t-elle la solidarité fondamentale dans l’Église entre les disciples du Christ encore en marche, ceux passant par l’état de purification et ceux vivant déjà dans la présence de Dieu.

[10] François, Exhortation Apostolique, Gaudete et Exsultate, 19 mars 2018, n°4, consulté le 18/07/2021 sur www. vatican.va.

[11] Cf. Jean-Claude M’Bra, Usages funéraire et mission de l’Église chez les Baoulés de Côte d’Ivoire. Jalons pour une théologie thanatique africaine à la lumière de l’inculturation, Thèse de doctorat en théologie catholique, soutenue le 14 septembre 2018, Université de Strasbourg, p. 377

[12] LG,51.

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