Accueil A la une Contribution/Démocratie à l’article de la mort : la Côte d’Ivoire est en...

Contribution/Démocratie à l’article de la mort : la Côte d’Ivoire est en même temps enviée et moquée

PARTAGER
Ouattara, Bédié et Gbagbo au Palais présidentiel Plateau/Ph DR

De Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara, ses performances économiques apparaissent exceptionnelles et sa place de puissance agricole reste intacte, même si l’embellie ne profite guère aux pauvres paysans, contraints à l’exercice de la contrebande de leurs productions en direction des pays voisins.

Mais, du premier président de la République (7 août 1960 au 7 décembre 1993) à son seul premier ministre, à la tête de l’État depuis son investiture le 6 mai 2011, le pays connaît, au plan politique, un retard à l’allumage et fait pâle figure.

Pourtant et ironie de l’histoire, ce sont les chouchous du monde occidental qui les adoube. La Constitution de 1960 prévoyait bien, en son article 7, le multipartisme que Nanan Boigny a ignoré jusqu’en 1990, redoutant que la « poussière d’ethnies » n’explose dans les guerres tribales.

Les Lois fondamentales des IIè (2000) et IIIè (2016) Républiques organisent, en leurs articles 35 et 55 nouveau, la limitation du mandat présidentiel à deux que Ouattara, du bout des lèvres, reconnaît mais boycotte; ayant une sainte horreur de l’alternance.

Et dans l’indice de démocratie, publié en 2024 par l’Economist Intelligence Unit, la Côte d’Ivoire ne fait pas bonne figure. Elle se classe au 105è rang, loin derrière les démocraties complètes ou « pleines » et les démocraties imparfaites.

Le pays oscille entre les régimes d’un côté, hybrides (élections avec des irrégularités importantes, généralisation de la corruption et faiblesse de l’État de droit, pressions du gouvernement sur les partis de l’opposition, soumission des journalistes, etc.) et de l’autre, autoritaires (pluralisme politique fortement circonscrit, fréquence des violations des libertés civiles, élections dénuées de transparence, de liberté et d’équité, institutions officielles sous contrôle comme les médias publics, etc.).

Alassane Ouattara est l’accusé principal. Néanmoins, au banc des accusés, doivent comparaître la classe politique ivoirienne et les institutions de l’État, qui mènent le peuple ivoirien en bateau.

En effet, le climat délétère et inflammable est alimenté par les politiciens, qui allument la mèche. Et comme dans la tauromachie, c’est le chiffon rouge des discours guerriers, qui met le feu aux poudres.

Bombardé et renversé, avec l’arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, le FPI (ex-parti au pouvoir) rêve, à travers aujourd’hui le PPA-CI, de prendre sa revanche pour réinstaller Gbagbo à la tête de l’État. C’est « le match retour ». Le PDCI-RDA, ex-parti unique, chassé du pouvoir, le 24 décembre 1999 par un coup d’État, est animé de cette même volonté.

« Si nous perdons le pouvoir, nous retournerons tous en exil avec nos femmes et nos enfants, » ameutait, le 7 juillet 2016, Amadou Soumahoro, alors président du directoire du RHDP pour mettre en garde et militants et pouvoir en place.

La stratégie de la tension, bien planifiée, est ainsi devenue un mode de gouvernance pour faire peur et installer un régime autoritaire, dirigé par une ploutocratie. À commencer par Gbagbo, tous les dignitaires du régime déchu ont été condamnés à des peines de prison, sans mandat de dépôt.

Les tentatives de coup d’État réelles, factices ou suscitées sont systématiquement attribuées aux leaders de l’ex-parti au pouvoir et accessoirement à ceux du GPS, mouvement dissous de Soro Kigbafori Guillaume. Et les procès pour nombre de motifs continuent encore en 2025 avec notamment les Damana Adia dit Pickass et Koua Justin, membres des instances du PPA-CI.

Dans cette atmosphère ourdie de terreur, les militants pro-Gbagbo et pro-Soro Guillaume et supposés tels sont dans l’oeil du cyclone. Alors que les partisans de l’actuel régime peuvent, sur les réseaux sociaux et dans des manifestations publiques, ouvertement et impunément proférer des menaces de mort, que les présumés assassins de Koffi Toussaint, décapité le 9 novembre 2020 à Daoukro, n’ont toujours pas été jugés, les manifestations pacifiques, y compris contre la vie chère, sont automatiquement assimilées à la subversion et les organisateurs sont arrêtés, jugés en urgence, condamnés à des peines de prison ferme et emprisonnés.

C’est la chasse à l’homme pour casser de l’opposition et aussi des hommes de Dieu dont les prêches dérangent, comme les prophètes Koffi Gérémi (condamné) et Elie Padah (porté disparu depuis 2023).

Et c’est motus et bouche cousue pour ne point s’attirer les foudres de la justice. L’alinéa 2 de l’article 185 nouveau de la loi n°2019-574 du 26 juin 2019 portant Code électoral est une épée de Damoclès.

Il dispose: « Est puni des peines prévues à l’article 184-2° quiconque, par l’un des moyens visés audit article, lance des appels au public dans le dessein de faire désapprouver l’Autorité et de provoquer la solidarité avec un ou plusieurs condamnés pour l’une des infractions prévues par l’article précédent ou par l’alinéa premier du présent article. Est puni des mêmes peines quiconque organise des collectes en vue paiement des condamnations pécuniaires prononcées pour l’une de ces infractions. »

Le pays, prépare une autre présidentielle à haut risque, tiraillé entre les extrêmes dans un flou politique entretenu par l’opposition dans des positions illisibles.

Le 7 mars 2019, ses groupes parlementaires (PDCI-RDA, Vox Populi et Rassemblement) avec le député Pascal Affi N’Guessan, boycottaient l’élection au perchoir d’Amadou Soumahoro, après la démission forcée de Soro Guillaume. En revanche, tous s’alignaient, le 7 juin 2021, derrière Adama Bictogo, un mois après le décès de Soumahoro.

Dans ce même registre, Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, jouera sa partition. Libéré le 30 décembre 2020 et toujours poursuivi pour « complot contre l’autorité de l’État, assassinats et actes de terrorisme » dans le cadre du Conseil national de transition (CNT, contestation du 3è mandat anticonstitutionnel de Ouattara), il conclut un partenariat, le 2 mai 2023, avec le RHDP, alors que le PPA-CI entretenait des fiançailles avec le PDCI-RDA, qui a divorcé d’avec le parti au pouvoir.

C’est le branle-bas d’une opposition en désordre de bataille et en panne de stratégies. Elle mène en son sein des guerres de leadership à fleuret moucheté, sans parler le langague de l’union. Pis, des partis, comme l’ex-parti unique (confrontation Tidjane Thiam – Jean Louis Billon pour être le candidat du parti) et le FPI (rupture du partenariat qui déplait à des dissidents), sont traversés par des courants contraires.

Et dans ce méli-melo, la Côte d’Ivoire renforce son statut de république des girouettes. C’est par vagues entières que des militants de l’opposition, assis sur leurs convictions, ont afflué ou prévoient de rejoindre le Restaurant (nom dont a été affublé le RHDP). Et sous le poids du clientélisme politique et de la politique du rattrapage, l’administration publique, transformée en entreprise politique pour caser les recrues et recycler des cadres, a pris de l’embonpoint. Elle est passée de 172.244 agents en 2011, à la chute de Gbagbo, à 306.445 fonctionnaires en 2024.

Dans ce cirque bien orchestré, le chef de l’État a le beau rôle. Il a émietté ou démantelé des partis comme le MFA, le PIT ou l’UPCI. Il a accordé des audiences à Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. La montagne a accouché d’une souris: ni libération des prisonniers politiques détenus depuis 2011 ni amnistie ni ouverture du dialogue politique. C’est le blocage.

Ouattara impose son rythme et son agenda

Il a fait sauter le verrou de l’âge-limite à 75 ans pour postuler à la présidence de la République et a embarqué, dans son plan commun, ses rivaux. Il a vendu des illusions à Bédié qui, nourri de faux espoirs, a lancé l’appel de Daoukro, en septembre 2014, avant que le boulanger ne le roule dans la farine.

Ouattara a aussi donné des envies de retour à Gbagbo, en lui faisant perdre l’occasion en or d’apparaître comme le parfait objecteur de conscience. Car, cet ancien président qui défendait qu' »au-delà de 75 ans, on ne doit pas être candidat à la présidence de la République, parce que c’est un moment où on est fréquemment malade, » est en lice, à 80 ans, en espérant sa réinscription sur la liste électorale, selon le bon vouloir de Ouattara, qui a refusé, en 2020, la décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

Le chef de l’État maintient, en effet, sous sa coupe les institutions de la République. « Certes, il y a la séparation des pouvoirs, mais soyons réalistes. L’Assemblée nationale est autonome mais n’est pas indépendante. Car nous dépendons du pouvoir exécutif, » a bien résumé, le 17 mai 2019, Amadou Soumahoro. Que le président d’une institution, chargée de contrôler l’action du gouvernement et d’évaluer les politiques publiques, en arrive à une telle posture de godillot montre le niveau d’asservissement et de trouille.

Cette triste image jure avec le Sénégal. Le 15 février 2024, le Conseil constitutionnel a bel et bien retoqué le décret du président Macky Sall modifiant le calendrier électoral et annulé, dans la foulée, le report de l’élection présidentielle, prévue constitutionnellement le 25 février, au 15 décembre 2024 adopté par l’Assemblée nationale. Et le ciel n’est pas tombé sur la tête de la clé de voûte des institutions sénégalaises.

Scène inimaginable et impensable en Côte d’Ivoire. Conséquence, après Daniel Kablan Duncan de la vice-présidence de la République le 8 juillet 2020, la démission, banale sous d’autres cieux, de Francis Vangah Wodié de la présidence du Conseil constitutionnel, le 3 février 2015, a eu l’effet d’une bombe au pays des béni-oui-oui.

Car, avant la présidentielle d’octobre 2015, il affichait son indépendance et son sens des responsabilités. La pomme de discorde concernait la candidature de Ouattara, pour un deuxième mandat. Celle-ci a été invalidée par l’arrêt n°001-2000 du 6 octobre 2000 de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême pour « nationalité douteuse ». Dans les arrangements politiques, qui écartent le droit, cette candidature a été autorisée « à titre exceptionnel pour le seul scrutin de 2010 ».

La question était: Ouattara, après 2010, pouvait-il briguer un autre mandat alors que les dispositions pertinentes de l’article 35 de la Constitution, qui lui barraient légalement la route, n’ont pas disparu!?

« Le juge, homme de droit, doit être droit, » a plaidé Wodié à sa prestation de serment, le 4 août 2011. Et, en vertu de son self arbitre, il a rendu le tablier afin de ne pas subir le diktat des politiques. Son successeur ne s’est pas embarassé de fioritures. Par contorsionnisme, il a validé la candidature de Ouattara par « dérivation ».

Et le chef de l’État continue alors son hold-up politique, en contournant les dispositions constitutionnelles et en jouissant de l’impuissance et de la duplicité des organisations comme l’Union africaine et la CEDEAO. Avec une démocratie, dont le pronostic vital est engagé et qui est admise en réanimation.

En fait, après les sans fautes électoraux au Liberia, au Sénégal et au Ghana, la Côte d’Ivoire, locomotive économique de la sous-régionale, s’aligne, selon le politologue Geoffroy-Julien Kouao, « dans le fourgon de queue de la démocratie ». Et c’est un clou dans le cercueil.

Ferro Bally

PARTAGER