Accueil A la une Homosexualité : Violences et stigmatisations des « woubis » en Côte d’Ivoire

Homosexualité : Violences et stigmatisations des « woubis » en Côte d’Ivoire

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Des "woubis" ou homosexuels en Côte d'Ivoire/Ph Credo

En Côte d’Ivoire, les « woubis » ou homosexuels sont victimes de violences et stigmatisations croissantes. Une enquête révèle leur lutte quotidienne pour assumer leur identité malgré la répression sociale.

En Côte d’Ivoire, les personnes LGBTQ+ souvent appelées « woubis » vivent dans un climat de peur, de violence et de rejet. Bien qu’ils résident principalement dans les grandes communes d’Abidjan et travaillent comme coiffeurs, esthéticiens ou maquilleurs, leur orientation sexuelle les expose à une hostilité croissante. Entre menaces, agressions physiques et verbales, leur quotidien devient un combat pour simplement exister.

Violences quotidiennes : une réalité alarmante

Les témoignages recueillis révèlent une violence omniprésente. Pickimy, 29 ans, est coiffeur à Port-Bouët. Il raconte avoir été attaqué à plusieurs reprises en raison de son orientation sexuelle. « En 2022, un jeune m’a effleuré par accident. Il s’est excusé, mais son ami l’a invectivé : « Pourquoi t’excuser auprès d’un gay ? ». S’en est suivie une bagarre. Heureusement, j’ai pu me défendre », confie-t-il, son regard empreint de fierté mais aussi de douleur.

Issouf, 22 ans, étudiant le soir, a lui aussi été victime de violences en 2023. Alors qu’il se rendait à l’école, un groupe de jeunes l’a attaqué, le rouant de coups et lui lançant une bouteille au visage. « Je m’en suis sorti avec une cicatrice sur la joue », raconte-t-il. Cette agression, il l’a dénoncée à la police, mais l’affaire s’est finalement réglée en famille, un arrangement courant en Côte d’Ivoire.

Leur combat est non seulement physique mais aussi psychologique. À chaque sortie, ils sont confrontés à des insultes et des railleries

Leur combat est non seulement physique mais aussi psychologique. À chaque sortie, ils sont confrontés à des insultes et des railleries. Ato Papa, un autre « woubi » de Port-Bouët, raconte : « Je ne cherche jamais d’histoires, mais certaines personnes ne peuvent s’empêcher de m’invectiver quand elles me croisent dans la rue. » Malgré ces attaques répétées, il assume pleinement son identité, défiant la haine.

Ato Papa, un woubi de Port Bouët, dans ses apparats/Ph DR

Des relations amoureuses en toute discrétion

« Je ne fais jamais l’amour sans préservatif. C’est trop risqué », dit-il

Les « woubis » mènent aussi des vies amoureuses discrètes mais souvent complexes. Ato Papa, par exemple, vit une relation stable avec son partenaire et veille toujours à se protéger. « Je ne fais jamais l’amour sans préservatif. C’est trop risqué », dit-il. Conscient des maladies, il insiste sur la sécurité, ce qui témoigne d’une prise de responsabilité face à une société qui les marginalise.

Pour Pickimy, la relation amoureuse est un équilibre fragile. Son partenaire a même quitté sa femme pour lui. « J’ai deux hommes dans ma vie », confie-t-il. Malgré le jugement, Pickimy trouve un certain réconfort dans ces relations, qui lui apportent à la fois soutien affectif et matériel.

Yvan, 19 ans, quant à lui, est encore en quête d’une relation sérieuse. « Je couche avec des hommes, mais je cherche une relation plus stable », confie-t-il, illustrant ainsi la quête d’amour et de stabilité chez les jeunes « woubis ».

Un rejet familial et social difficile à vivre

Pour beaucoup de « woubis », la famille reste un soutien inattendu, mais fragile. Certains affirment que leur attitude féminine depuis l’enfance a facilité une certaine acceptation. D’autres, au contraire, sont rejetés par leurs proches. Ange, par exemple, efféminé mais non homosexuel, se bat pour que sa sexualité ne soit pas réduite à une simple étiquette. « Je ne suis pas gay, mais je comprends que les gens se trompent », a-t-il dit, bien que cette confusion le blesse.

« Nous n’avons aucun problème avec les gens. Nous vivons notre vie sans chercher d’histoires », s’insurgent certains « woubis »

L’opposition à leur orientation sexuelle est telle qu’en 2024, une manifestation a eu lieu à Abidjan, dénonçant les « woubis ». Cette marche, relayée sur les réseaux sociaux, a exacerbé les tensions. « Nous n’avons aucun problème avec les gens. Nous vivons notre vie sans chercher d’histoires », s’insurgent certains « woubis », choqués par cette montée de la haine.

Ange, un woubi de Marcory, est dans la coiffure depuis sa tendre enfance/Ph Credo

Une protection juridique insuffisante

En Côte d’Ivoire, l’homosexualité n’est pas illégale, mais aucune loi spécifique ne protège les personnes LGBTQ+. Christophe Kouamé, président de l’Ong Civis, déclare : « Les droits de l’homme sont sacrés. Aucune personne ne peut être persécutée pour son orientation sexuelle. » Cependant, malgré cette affirmation, les agressions contre les « woubis » restent monnaie courante, et les agresseurs ne sont que rarement punis.

Nous avons adressé un courrier, le 28 septembre 2024, au Conseil national des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire (CNDH-CI), qui n’a pas daigné nous répondre, pour apporter des éclaircissements sur certaines questions relatives à la loi en Côte d’Ivoire, à propos des personnes homosexuelles.

Le pays a récemment rejeté les recommandations des Nations-Unies visant à renforcer la protection des personnes LGBTQ+ contre la violence. Selon un rapport de 2021, la stigmatisation sociale continue d’isoler les homosexuels, les rendant encore plus vulnérables aux attaques.

Un woubi dans ses apparats…alors que c’est un » homme »/Ph DR

Un avenir incertain pour les LGBTQ+ ivoiriens

Aujourd’hui, les « woubis » en Côte d’Ivoire continuent de subir le mépris, la stigmatisation et les violences à cause de leur identité. Pourtant, certains, comme Pickimy et Issouf, refusent de se laisser abattre et choisissent de vivre leur vérité, coûte que coûte.

La société ivoirienne évolue, mais lentement. Tant que les mentalités ne changent pas et que les lois ne sont pas renforcées pour protéger ces personnes vulnérables, les « woubis » continueront de vivre dans la peur, entretenant le rêve d’une Côte d’Ivoire plus tolérante et inclusive.

Magloire Madjessou

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