Michel Gondi Gueu, Général de corps d’armée et ancien ministre des Sports sous le président Laurent Gbagbo de 2003 à 2005, revient sur l’élimination des Eléphants de Côte d’Ivoire à la Coupe du monde 2006 en Allemagne. Dans cette interview, il évoque les entraînements des joueurs, leur arrivée à Man, le mondial en Allemagne et la Can qui se joue en Côte d’Ivoire.
Vous avez été ministre des Sports et des Loisirs du gouvernement de réconciliation nationale suite à l’Accord de Linas Marcoussis Kleber de 2003 à 2005. Vous attendiez-vous vraiment à cette nomination à cette époque ?
Je dirai non. Parce que je n’ai pas pensé à être ministre. Ce sont mes amis et frères des Forces nouvelles qui ont souhaité que je sois ou que j’accepte le poste de ministre des Sports et Loisirs parce que je m’entends avec tout le monde, donc : pas d’ennemis. Partout, où je suis passé, je me suis entendu avec tout le monde. Avec la formation des soldats et officiers que j’ai faite, cela a été toujours l’harmonie et la communion avec eux, autour de moi.
Les gens m’ont dit : Nous pensons que tu peux réussir à ce poste de ministre. J’ai accepté ce poste de ministre des Sports et Loisirs.
Bien que vos amis vous disaient d’accepter ce poste, est-ce que dans votre for intérieur, vous vous êtes dit : est-ce que je peux assurer cette responsabilité ?
Je n’avais aucune hantise ; j’ai été lieutenant, après général de l’Armée, commandant des bataillons, etc. Je me suis suffisamment fait connaître, point besoin de le démontrer encore.
Un militaire dans le milieu des sports, s’interrogent les Ivoiriens…
Ce n’était pas le colonel, mais plutôt M. Gueu Michel, qui était à la tête du ministère des Sports et Loisirs
Un commandant est un citoyen ordinaire, qui a ses galons. Le citoyen ordinaire, c’est aussi un Ivoirien. Je me n’étais jamais mis avec mes galons militaires quand j’étais au ministère des Sports. J’étais un civil, en costume au milieu des citoyens. Ce n’était pas le colonel mais plutôt M. Gueu Michel, qui était à la tête du ministère des Sports et Loisirs.
Comment êtes-vous arrivés à briser ce mystère, à vaincre la méfiance envers un militaire au sein du milieu sportif ?
Comme je disais tantôt, quand je suis arrivé, pour les directeurs et autres collaborateurs, c’était un militaire qui venait pour “ faire l’armée ”, comme on le dit. J’ai été approché par certains collaborateurs me disant : Monsieur le ministre, ici, c’est un panier à crabes. Faites donc attention, car des personnes mettront des peaux de banane, des bâtons dans les roues, certains vont « fumister », etc.
Au cours d’une réunion, certains fonctionnaires ont attiré mon attention sur le panier à crabes, alors qu’il n’y en avait pas. On a rigolé un peu. Certains voulaient partir du ministère parce que, pour eux, c’est un ministre des Forces nouvelles qui est là. Je me souviens qu’un groupe est venu me voir me disant qu’il veut partir ou être affecté dans un autre ministère.
Après deux mois, ils se sont rendus compte que c’est un citoyen ordinaire, comme tout autre. En conclusion, ils sont restés dans ce ministère, au point où certains d’entre eux ont été nommés directeur de l’Institut national de la formation de la jeunesse (Injs), de l’Office national des sports (Ons).
En janvier 2006, la Côte d’Ivoire, à travers son équipe nationale, les Eléphants, participe aux éliminatoires de la Coupe du monde en Allemagne. Dites-nous comment vous et la Fédération ivoirienne de football (Fif) prépariez-vous cette compétition à internationale ?
Primo, je n’avais jamais voulu interférer dans l’affaire du football ivoirien. J’avais donc invité l’ambassadeur Jacques Bernard Anoma, qui était le président de la Fif, à mon bureau. Je lui ai dit : Cher frère, en arrivant ici, j’ai appris qu’il y a des incompréhensions entre le ministre des Sports et la Fif, à propos des recettes de matches, etc. Je ne voudrais rien avoir dans cette histoire.
Vous lui avez dit cela…
Oui… Alors : que ce que je souhaite, c’est que nous rentrions dans l’histoire par la qualification des Eléphants à la Coupe du monde de 2006. Lui et moi, jusqu’à aujourd’hui, on s’appelle : mon frère, frère…
Déjà, j’ai levé l’équivoque dans cette histoire. Si les athlètes reçoivent leurs primes, ils seront contents, on se qualifie pour la coupe du monde, ça, c’est mon rêve !
Pour les préparatifs du football, nous, nous ne sommes pas allés voir les marabouts, ni les féticheurs, etc. Ce n’était que des prières. Peut-être que d’autres l’ont fait, mais de façon globale, la Fif, le ministère des Sports, dire que nous devons aller pour un tel match, il nous faut ça, etc. Par la prière et la grâce de Dieu, on s’est qualifié pour la Coupe du monde et la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), qui s’est jouée en Egypte.
A l’époque, le ministre des Sports, René Djedjemel Diby, avait sollicité ses parents de Dabou pour notre qualification. Est-ce que cela ne vous a pas aussi effleuré l’esprit ?
je confiais leur match à Dieu…
Non, jamais. Moi, en tant que ministre des Sports, c’est seulement la prière : je confiais leur match à Dieu. Mais jamais, parce que nous avons perdu un tel match, donc pour le prochain match, il faut aller voir un féticheur dans un tel village, jamais cela ne m’a effleuré l’esprit.
Si vous ne l’avez pas fait, peut-être vos collaborateurs…
J’ai dit tantôt de façon individuelle ou en groupe. Je n’en sais rien. Par contre, dire au président de la Fif ou à l’entraîneur qu’on vient de m’indiquer un endroit, on va y aller, se préparer mystiquement, etc., jamais cela ne m’a effleuré l’esprit.
Vous faisiez combien d’entraînements dans le mois, lorsque vous avez été qualifiés pour la Coupe du monde, et qu’est-ce que vous deviez parfaire au cours des entraînements ?
Au cours d’une interview, j’ai même dit que Jacques Anoma sait ce qu’il a à faire. L’entraîneur Henri Michel aussi sait ce qu’il a à faire. Les athlètes et les footballeurs savent eux aussi ce qu’ils ont à faire. A partir du moment où ils sortent de l’entraînement, chacun sait ce qu’il a à faire au prochain match. Il y a toujours un briefing, pour remonter le moral etc.
Jamais, je n’ai cherché à interférer ni du côté de la Fif, ni de l’entraîneur, ni jamais imposé un footballeur comme Drogba, Yaya Touré, etc. Non. Je me souviens, au cours d’un match de football, le président Laurent Gbagbo, qui était présent, bougeait beaucoup sur son siège. Il me disait : « Monsieur le ministre, tout ce qu’ils font, ne vous dit rien. Je lui ai répondu : Non, Président. Excellence, l’entraîneur fait son travail. Je n’ai pas besoin de gesticuler ici, parce que un tel n’a pas su faire ci ou aurait dû faire ça, etc. ».
Pendant que les Éléphants faisaient leurs entraînements, vous, en tant que ministre, vous rendez-vous sur les terrains pour voir…
J’allais les voir à Sol Béni ou ailleurs. Mais, en tant que simple spectateur. Mais pas en tant que ministre des Sports, qui va pour imposer ses choix. Lorsqu’un tel ne me convient pas, en aparté, avec l’entraîneur ou avec le président de la Fif, je dis : j’ai constaté cela, est-ce que…
Mais pas en tant que ministre des Sports, qui va pour imposer ses choix
Selon vous, quels sont les couacs qui ont freiné l’équipe à la participation des Eléphants à la phase finale de la Coupe du monde en Allemagne ?
Il n’y a pas eu de difficultés en tant que tel puisqu’ils sont qualifiés. Sûrement, il y a eu parfois des incompréhensions entre le président de la République, qui se faisait représenter par quelqu’un, alors que moi, ministre des Sports, je peux le représenter. Je me souviens, à l’avant-dernier match contre le Cameroun, un match nul suffisait pour que la Côte d’Ivoire soit qualifiée.
J’ai dit aux journalistes qui m’ont demandé : « Monsieur le ministre, quel est votre pronostic du match ? Je leur répondu ceci : « Nous allions perdre le match ici, mais nous allons nous qualifier à l’extérieur. Parce que la salle était remplie de militants de La Majorité présidentielle (Lmp). »
Des gens avaient mis des bouteilles de champagne, etc., dans les frigos. C’est Mel Théodore (paix à son âme) qui représentait le Président à cette époque-là. Ils étaient convaincus qu’on allait remporter la victoire contre le Cameroun ou au pire des cas, un match nul. Dans le pire des cas, on était qualifié.
Je ne suis pas allé voir un marabout ou un féticheur, pas du tout. Mais, mon instinct me disait qu’on allait perdre ce match et on allait se qualifier à l’extérieur. Effectivement, nous avons perdu le match. J’ai encore cette image de mon frère et ami ministre Mel Théodore assis à même le sol, en train de pleurer comme un gamin. Qu’est-ce qu’il va dire au Président Laurent Gbagbo ? Comment avons-nous fait pour être battus, à défaut d’un match nul ?
A l’extérieur, nous sommes qualifiés. Le Cameroun avait un penalty, le joueur Eto’o Fils a raté le pénalty et la Côte d’Ivoire a remporté le match. Nous sommes qualifiés pour la Coupe du monde.
L’entraineur Henri Michel était le coach des Eléphants de Côte d’Ivoire. Est-ce qu’il vous arrivait souvent de lui imposer vos choix ?
Je n’ai jamais interféré ni au niveau de la Fif encore moins de l’entraîneur. Comme je l’ai dit, de temps en temps, je partais voir les entraînements
Je n’ai jamais interféré ni au niveau de la Fif encore moins de l’entraîneur. Comme je l’ai dit, de temps en temps, je partais voir les entraînements. Lui seul sait qui il faut mettre à la première mi-temps, à la deuxième mi-temps ou sur le blanc de touche, etc. Jamais interféré. Aucun ne vous dira que le ministre a eu à s’immiscer dans le jeu.
L’entraîneur lui-même ne venait pas vous voir pour vous demander, par moments, vos choix…
Jacques Anoma et moi, jamais. Il est venu me voir (Henri Michel), si j’avais des préférences pour un tel ou tel. Non jamais.
Parlant des primes des joueurs, est-ce que c’était régulièrement payé ?
C’était régulièrement payé et bien payé. Parfois avec quelques monnaies dessus (rire).
**(Fin avec l’autre partie, demain)
Réalisée par Magloire Madjessou