Depuis quelques années, le changement climatique a des effets dévastateurs tant sur l’humain et que l’agriculture en Côte d’Ivoire. Véronique N’Goran Manouan, climatologue, météorologue et Chef de bureau réduction des risques et catastrophes à la Société d’exploitation et de développement aéroportuaire, aéronautique et météorologique (Sodexam), parle des précipitations en Côte d’Ivoire, au Sahel, du phénomène El Nino et donne des conseils.
La Côte d’Ivoire est confrontée au changement climatique, à l’instar des autres pays du monde entier. Que disent vos recherches sur ce phénomène ?
Lorsque nous faisons les analyses, nous voyons que la situation devient alarmante, il fait de plus en plus chaud. Les températures ont augmenté depuis plus de 30 ans. Lorsque nous nous attendons une bonne répartition de la pluviométrie, quand viennent les pluies, elles sont extrêmes.
Les températures en Côte d’Ivoire ont évolué, dites-vous. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?
Déjà, à l’entame, j’ai parlé du changement climatique. Il y a des phénomènes naturels qui apparaissent. Par exemple, le phénomène El Nino. Ce genre de phénomène, dû aux effets du changement climatique, accentue la chaleur.
Avant la saison des pluies 2024, en Côte d’Ivoire, nous avons connu 10 mois d’affilée de canicule. Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce phénomène ?
C’est l’œuvre de l’homme qui dérègle les conditions naturelles atmosphériques, telles les émissions de gaz à effet de serre, etc. Donc ce que nous avons émis, nous rattrape. C’est ce qui fait que nous avons de fortes chaleurs. Nous avons impacté l’atmosphère par nos activités, et nous récoltons ce que nous avons semé.
Des précipitations de 20 à 40% supérieures à la moyenne de 1991 à 2020, selon la Sodexam, ont eu des incidences sur le cacao ivoirien. Un commentaire ?
Nous appelons tous les acteurs des différents secteurs d’activités à s’informer sur la météorologie tous les jours. L’année passée, par exemple, où il y avait des excédents pluviométriques, cela a eu un impact sur tous les secteurs d’activités, comme le cacao.
Pareillement, quand il y a un déficit de pluies, les secteurs d’activités sont également impactés
Pareillement, quand il y a un déficit de pluies, les secteurs d’activités sont également impactés. Conclusion, nous devons nous approprier les informations météorologiques pour la planification de nos activités, par exemple l’agriculture, l’énergie, les ressources en eau, la santé, etc.
Y a-t-il rien qui puisse être fait pour éviter ce phénomène de changement climatique ?
Ce sont les acteurs des secteurs d’activité qui doivent planifier leurs emplois du temps. C’est pourquoi nous parlons d’adaptation. Nous donnons l’information pour expliquer que les jours qui viennent ou les années à venir vont avoir telle ou telle coloration, mais c’est aux citoyens de trouver les voies et moyens, pour s’adapter à ce qui va arriver.
La résurgence du phénomène climatique El Nino fait craindre des périodes de sècheresse prolongée en Afrique de l’Ouest. Qu’est ce qui expliquerait cet état, aujourd’hui, dans ces pays ?
Au niveau de la Sodexam, nous avons fait une note d’information pour sensibiliser la population sur les impacts du phénomène El Nino qui se caractérise par de fortes chaleurs. C’est ce que nous avons vécu de janvier à mai ; de fortes chaleurs qui entrainent la sécheresse. Quand vient la saison des pluies, elle est extrême. Tout cela a été détaillé dans la note d’information.
Pouvez-vous expliquer d’où le phénomène El Nino tire sa source ?
C’est un réchauffement de l’océan Pacifique qui entraine un déficit pluviométrique au niveau des côtes de l’Atlantique. Ce déficit pluviométrique est à la base des vagues de chaleur que nous ressentons. Et quand il y a une pluie, elle devient très forte et extrême.
Comment expliquer au population que le dérèglement climatique frappe davantage les pays en développement ?
Tout le monde est concerné. Pas seulement les pays en développement, même les pays riches. Nous sommes tous vulnérables aux effets du changement climatique. C’est un défi pour tous. Oui, l’Afrique est vulnérable aux effets du changement climatique parce que tout se communique. L’atmosphère et l’eau se communiquent. Ce qui peut arriver dans un pays voisin, peut également nous impacter.
Quand vous voyez les pluies qui arrivent au niveau de la Côte d’Ivoire, elles proviennent des pays voisins comme le Ghana, le Togo…et balaient les cellules orageuses de tout le pays. Donc nous sommes tous impactés par les effets du changement climatique, la Côte d’Ivoire est très vulnérable y compris l’Afrique.
La déforestation est un des phénomènes qui provoque la sècheresse et d’autres éléments sur la nature. Peut-on avoir une explication plus claire ?
Il faut que chacun de nous prenne conscience de ce qui se passe. Parce que le climat est l’affaire de tout le monde. Ne pensons pas que le changement climatique, c’est en Europe, aux Etats unis et les autres pays. Non. Nous en Afrique, nous sommes aussi impactés par les effets du changement climatique, donc nos émissions de gaz à effet de serre, nous devrons faire attention.
Nous en Afrique, nous sommes aussi impactés par les effets du changement climatique
La déforestation, nous devons éviter. Parce qu’au niveau de la forêt, il y a une forte condensation d’élévation d’humidité. Quand il y a une forte humidité qui monte, ça crée des fortes pluies. Et quand on a une désertification, il n’y a pas assez de flux dans l’atmosphère pour créer des pluies.
C’est ce qui crée les sécheresses, les longues pauses pluviométriques et un impact sur les différents secteurs d’activités telles que l’agriculture, parce qu’au moment, ils attendent la pluie pour semer, ils n’en ont pas. Par contre, au moment où ils n’attendent pas à de fortes pluies, ils ont un excédent, donc des inondations et des perditions.
Nous devons prendre conscience de ce qui nous arrive, avoir des informations météorologiques. Nous faisons à cet effet des veilles météorologiques H24 pour donner des prévisions.
El Nino pourrait-il compromettre la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire ?
Les impacts du changement climatique, stress hydrique des cultures qui manquent d’eau, et aussi la perturbation du cycle de cultures parce que auparavant, on avait notre cycle, le calendrier cultural, qui n’est pas respecté. Les paysans ne savent plus quand ils vont semer ou récolter.
Selon la Sodexam, le jeudi 13 juin 2024, des précipitations de pluies sont tombées sur le District autonome d’Abidjan. Par exemple, dans la commune d’Abobo, on enregistre 189 mm ; Cocody 205 mm ; Bingerville 176,5 mm et Yopougon 214 mm. Est-ce possible de dépasser ces millimètres de précipitations allant jusqu’à 300 voire 400 mm et pourquoi pas les mois de juin à juillet ?
C’est possible. Je crois que le 18 juin 2024, dans la commune de Cocody, il y a eu 300 mm, en 24h. C’est possible et ce sont des pluies exceptionnelles.
Parce qu’avec le seuil de 50 mm et les 3 autres jours qui suivent, nous avons eu des pluies, avec des inondations. On a plus de 150 voire 200 mm. Nous avons tout cela en un jour. C’est ce qui a créé tous ces dégâts.
Des révisions sont faites chaque jour, et sur trois jours, on s’attend plus ou moins à des pluies parce que le mois de juin est le mois de pic de la pluviométrie sur la partie Sud.
Doit-on nous attendre encore à des inondations, des victimes…
Il faut dire que le sol est très humide, quelle que soit la quantité de pluies, qui peut tomber. Les sols, déjà, saturés créent des inondations. Il faut s’attendre à de fortes pluies et suivre les informations météorologiques que nous publions sur les réseaux sociaux et prendre des précautions.
Les sols, déjà, saturés créent des inondations. Il faut s’attendre à de fortes pluies…
Cette année, doit-on nous attendre à plus de précipitations dans les mois de juin et juillet 2024 ?
Je peux vous donner les prévisions de juillet à septembre 2024. Parce que nous faisons les prévisions saisonnières. Dans l’année, il y a deux prévisions. La prévision de la partie Sud, qui sont faites à partir de février et les prévisions faites à partir d’avril pour la partie Nord du pays.
Nous nous retrouvons avec les pays du Golfe de Guinée, pour la première prévision de février et la deuxième prévision est avec tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous nous retrouvons dans un pays, nous faisons les prévisions du pays. Chacun fait la prévision de son pays et de toute l’Afrique de l’Ouest. Nous faisons les prévisions saisonnières, qui sont à la fois le démarrage et fin de saisons.
Nous étudions aussi la quantité de pluies qui peut tomber pendant toute la saison. Déjà, même les prévisions ont été données pour toute l’année, mars à juin. Comme nous sommes déjà en juin, voici les prévisions des mois de juillet à septembre.
De juillet à septembre, la partie Nord-est de la Côte d’Ivoire, les prévisions indiquent qu’il y a 40% de chances que les pluies saisonnières soient supérieures à 800 mm.
Au Centre et Sud intérieur de la Côte d’Ivoire, les prévisions font état de 40% de chances de cumuls pluviométries aient une tendance normale à l’excédentaire, soit supérieur à 200 mm. Pour le Littoral de la Côte d’Ivoire, il est probable que les cumuls soient identiques à la moyenne saisonnière sur 30 ans, qui est de 250 à 400 000 mm.
De juillet à août, à partir de mi-juillet, d’août à septembre, c’est la petite saison des pluies au niveau du Sud et le pic au niveau du Nord, c’est dans le mois de septembre. Pendant que notre pic est au Sud, c’est dans le mois de juin. C’est pourquoi, nous attendons à un excédent pluviométrique dans la partie Nord du pays.
Des rencontres à l’échelle sous-régionale africaine sont organisées entre climatologues et météorologues. Quel est le degré de pluviométries dans ces pays du Sahel ?
Nous sommes plus arrosés que ces pays du Sahel. N’empêche qu’ils subissent aussi des inondations. Quand on dit 800 mm, c’est peut-être trop chez eux. Alors que pour nous, c’est peut-être la moyenne du Littoral.
Quelles sont les estimations pluviométriques dans les pays du Sahel ?
On a parlé de pluviométrie supérieure à 800 mm, par exemple, au nord-est, qui est le Sud du Mali, du Burkina Faso
Je sais qu’ils ont des moyennes de 200 à 300 mm de pluies. C’est un peu semblable au Nord de la Côte d’Ivoire. On a parlé de pluviométrie supérieure à 800 mm, par exemple, au nord-est, qui est le Sud du Mali, du Burkina Faso. Or, nous, notre Nord fait leur Sud. Nous avons plus de quantité de pluies qu’eux.
Avez-vous un message particulier aux parents, qui sont encore dans des endroits à risque ?
Juste leur dire que la vie est importante. Certes, les conditions de vie sont extrêmement difficiles, mais s’il y a lieu de quitter un moment et aller chez un parent ou un proche, c’est mieux de le faire. Parce que quand il y a des disparus, des morts, etc., nous-mêmes sommes affectés.
Nous les encourageons, sensibilisons à quitter ces zones-là temporairement ou définitivement. C’est mieux d’être chez un proche que de ne plus vivre. De même, nous leur disons que la Sodexam émet des bulletins, nous faisons des alertes météorologiques, afin de prévenir, toute la population sur les fortes pluies et inondations.
Outre les réseaux sociaux, dans quel média la Sodexam émet ses bulletins météorologiques.
Il y a des chaînes comme la Rti et la Nci qui présentent ces bulletins d’information sur la météo. Ils doivent suivre ces informations, après le journal.
Et au niveau de la Radio…
On avait fait des sensibilisations pour annoncer le démarrage de la saison au niveau des radios communautaires. Il y a le Centre d’information et communication gouvernementale (Cicg), qui envoi des sms. J’ai vu aussi qu’ils ont fait des messages vocaux en différentes langues pour permettre aux gens de comprendre l’information. Beaucoup d’efforts sont faits de notre part.
Interview réalisée par Magloire Madjessou