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Médecine de la personne âgée : « 10 gériatres pour à peu près 25 millions d’habitants en Côte d’Ivoire », Prof Binan

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Prof Yves Binan, spécialiste en Gériatrie et chef de service au Chu d'Angré Cocody/Ph Credo

Dr Yves Binan, professeur titulaire de médecine interne et chef de service de médecine interne et gériatrie au Centre hospitalier universitaire (Chu) d’Angré Cocody-Abidjan, aborde cette branche de la médecine qu’est la gériatrie. Celle-ci s’occupe des pathologies des personnes âgées à partir de 65 ans et plus. Dans cette interview, il parle des pathologies chroniques, moins connues, du nombre insignifiant de spécialistes et les coûts des prestations.

La gériatrie qui est une branche de la médecine, malheureusement, elle est moins connue et pratiquée en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous expliquer cette branche ?

La gériatrie est une partie de la médecine qui s’occupe des séniors, donc des personnes âgées. Selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms) est dit sénior, sujet âgé ou toute personne, qui a au moins 65 ans. Selon la Société nationale ivoirienne de gériatrie et gérontologie est dit sénior en Côte d’Ivoire, toute personne âgée d’au moins 60 ans.

Selon la Société nationale ivoirienne de gériatrie et gérontologie est dit sénior en Côte d’Ivoire, toute personne âgée d’au moins 60 ans

Que fait la gériatrie ?  Elle prodigue des soins préventifs et curatifs. Si on veut parler de filière gériatrique en Côte d’Ivoire, nous avons que les soins en ce qui concerne les milieux hospitaliers publics, en cours séjours et aigus, en moyenne 15 jours. En moins d’une quinzaine de jours, ce sont les soins aigus.

Il y a de la prévention que nous faisons, à travers les consultations de gériatrie. Il n’y a pas de consultation de mémoire, au cours de laquelle, on scrute, on discrimine, on essaie de faire le diagnostic des troubles neurocognitifs, qui affectent la mémoire, le langage, la reconnaissance, l’exécution de petits gestes. Mais tout ceci est intégré dans nos consultations. Nous avons des personnels qualifiés, des gériatres, qui font de la nutrition encore de la prévention.

Ils y’en a qui viennent en consultation, nous leur donnons des conseils. Il y a aussi une branche, où nous nous occupons des patients, qui présentent un cancer, par sujet âgé, qui doit bénéficier d’une chimiothérapie.

Au vu de vos explications, peut-on dire qu’elle est utile pour les personnes âgées en Côte d’Ivoire ?

D’abord la gériatrie fait partie de la gérontologie. Cette dernière est la science, qui attrait aux vieillissements économiques, sociaux, psychologiques, démographiques

Oui. D’abord la gériatrie fait partie de la gérontologie. Cette dernière est la science, qui attrait aux vieillissements économiques, sociaux, psychologiques, démographiques. Je vous donne un exemple. A la retraite, l’âge est avancé. En France, on est à 69 ans. Vous imaginez parce que dans ce pays, c’est une retraite proportionnelle. Ce sont les actifs qui paient les pensions des passifs. Donc, pour un équilibre, quand il y a plus d’actifs ou moins d’actifs que le passif, on est obligé de proroger l’âge de la retraite.

La population, je crois, sans me tromper, et selon le dernier recensement fait état de 9% de sujets âgés sur le total des Ivoiriens. Il y a peut-être, 4 ou 5 ans, on était à 4%. Donc, nous sommes passés au double. La gériatrie est importante. On vient d’avoir notre première assistante en gériatrie.

Ce sont des disciplines d’avenir qui vont compter. De plus en plus, les citoyens souhaiteraient avoir de la même manière, ils vont en consultation chez le pédiatre pour leurs enfants, il serait intéressant de faire des consultations. On a peu de gériatres, pour une population, qui consulte au Chu d’Angré Cocody, de plus en plus croissante.

Au Chu d’Angré Cocody, vous-êtes à peu près combien de gériatres ?

Actuellement, nous sommes 4 gériatres affectés dans ce Chu d’Angré. Il y a deux médecins universitaires et deux autres médecins non universitaires. Un médecin non universitaire, qui est en mobilité. Avec l’assistante, cela fera 5 personnes spécialisées en gériatrie. Est-ce qu’on en dénombre dix ? Mais, nous allons être optimistes pour parler d’une dizaine. Ceux qui ont soutenu leurs mémoires de fin de formation, ils sont une dizaine pour à peu près, 25 millions d’habitants.

En dehors du Chu d’Angré Cocody, qui regorge des gériatres, est-ce que dans les autres Chu, on en trouve aussi ?

Recensés non. Mais, il y a un certain nombre de spécialistes et praticiens, qui ont fait leur spécialité en France, et qui n’exercent pas. Je prends le cas d’un professeur de pharmacologie, qui est en mobilité. Il a fait deux années de capacité (diplôme de gériatrie) mais qui n’exerce pas. Je pense qu’il faut pratiquer le métier, en faisant de la consultation, la prévention, le suivi du malade, en cours séjours, longs séjours et moyens séjours.

Dans votre Chu d’Angré, de quoi souffrent les personnes seniors ?

Nous avons les pathologies chroniques (le diabète ; les complications qui sont des accidents vasculaires cérébraux ; les maladies cardiovasculaires ; les maladies psychiatriques ; les troubles neurocognitifs, qui est la plus connue ; les démences vasculaires ; les chutes ; la dénutrition et les cancers). C’est une pathologie variée et riche. Il faut des spécialistes bien formés pour que la prise en charge soit efficiente.

On voit que les pathologies que vous traitez sont vastes et variées. Est-ce que votre rôle de gériatre ne se confond pas à celui d’un médecin psychiatre ?

Pas du tout. Nous en agissons en complémentarité. Je vous donne un exemple, le gériatre dit pour prendre en charge ses patients, ne serait-ce qu’un seul point les ordonnances. Le gériatre se fera fort de vérifier. Parce qu’il y a un concept sur le sujet âgé, ils sont 4 voire 5 maladies corolaires mais chaque maladie à un traitement. Les effets indésirables de différents médicaments peuvent s’intriquer les uns et les autres. Ceci est la place et le rôle du gériatre, que de faire le tri dans ces ordonnances exorbitantes.

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Parce qu’il y a un concept sur le sujet âgé, ils sont 4 voire 5 maladies corolaires mais chaque maladie à un traitement

Il y a des médicaments qui sont adaptés au sujet âgé et d’autres ne sont pas. C’est la raison pour laquelle, le meilleur exemple ici, ce sont les cancérologues qui nous font appels chaque fois ils doivent prendre en charge un sujet âgé. Ça devrait se faire de plus en plus. Une maman qui a une arthrose de la hanche, c’est un exemple, elle doit bénéficier d’une opération qu’on appelle la prothèse, lui remplacer l’articulation de la hanche.

Le gériatre ne va pas s’arrêter au constat de l’anémie. Il ira plus loin, en recherchant l’étiologie. Il se trouve que l’étiologie est une maladie, un cancer de l’utérus. Donc pour son âge, avant le traitement, c’est utile, mais il faudrait trouver la cause de l’anémie et fait la part des choses. Sinon, on l’opère, elle va se mettre à saigner. Donc, la cicatrisation peut ne pas être efficiente. C’est un tout. Il faut avoir l’ensemble.

Toutes ces questions sont-elles abordées avec le patient ?

Ah oui.

La consultation se fait à quel niveau.

Qui s’occupe de lui ? A-t-il une pension ? La consultation se fait à trois. Le médecin, le patient et celui qui a motivé où qui l’accompagne. Par contre, il y a des patients qui sont autonomes, qui signent leur chèque, qui vaquent à leurs occupations. Si un patient à un trouble neurocognitif sévère, il y a une dégradation de l’intellect, il a besoin d’être accompagné.

Dans la plupart des hôpitaux publics, on y trouve rarement cette branche de la médecine. Qu’est-ce qui selon vous, justifierait cela ?

C’est très simple. La gériatrie, en Côte d’Ivoire, est suscitée par feu le Professeur Pignol Fernand. Nous sommes allés, en formation, en 2008. En pré-doctorat, nous n’avons eu la chance de faire cette formation. Nous avons découvert la gériatrie, quand nous étions assistants. On a fait la formation.

Dès que nous sommes rentrés, en 2011, après l’ouverture, nous avons débuté les cours en pré-doctorat. Si je m’abuse, le test est ouvert, entre 2014 et 2015. C’est avec le test on forme les spécialistes. Il appartient à l’Unité de formation des sciences médicales qui doit faire la promotion et nous aussi, devons faire la promotion, avec notre société savante. Mais les moyens doivent suivre.

Comment, aujourd’hui, vous faites cette promotion de cette discipline méconnue en Côte d’Ivoire ?

On participe à la journée du sénior.  Nous avons organisé un congrès, en juillet 2022, sur le sujet âgé. Nous avons invité nos collègues Sénégalais. On participe aux activités des Ong, par exemple Ong Houkabenian. On fait des activités, au sein du Chu d’Angré, dans nos amphithéâtres. Il faudrait peut-être aller plus loin, en participant aux émissions du grand public ou sur les chaînes de télé publique. On a un nombre croissant d’étudiants en gériatrie.

Dans ce Chu d’Angré de Cocody-Abidjan, il y a combien de sujets malades et dans l’année, peut-on avoir une estimation de personnes âgées qui fréquentent l’hôpital ?

Pour l’année 2022, nous avons eu à peu près 956 patients consultés

Donner une estimation serait difficile. Mais, aux services des urgences, nous avons une vingtaine de lits, en hospitalisation 18 lits. En consultation, nous avons deux séries de plages : mardi matin et soir, c’est en moyenne 7 patients et 1 heure par nouveau patient. Mardi et jeudi. Cela fait 10 nouveaux patients par semaine. 40 nouveaux patients dans le mois que nous consultons au Chu d’Angré Cocody. Pour l’année 2022, nous avons eu à peu près 956 patients consultés.

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Vous savez que les gériatres que nous sommes sont des médecins. Ils ont des charges d’enseignement, de surveillance des examens, et cela n’est pas évident. Nous faisons de la consultation et le contrôle du patient.

Les coûts pour les soins de la personne âgée souffrant d’une quelconque pathologie sont-ils abordables ou chers pour le patient ?

Je dirai non. La consultation du spécialiste au Chu d’Angré coûte 10 000 Fcfa. La difficulté vient du fait que quand nous rencontrons pour la première fois, le patient, c’est en moyenne, une heure que nous faisons avec lui. Il a le problème qu’il expose, on fait aussi son évaluation gériatrique. Puis, on lui demande : Il vit avec qui ?  Où habite-t-il ? Est-ce qu’il voit, entend etc. ? J’ai envie de vous dire 10. 000 Fcfa, pour moi, c’est peu. Le temps que nous prenions pour l’écouter et la consultation.

Il y a la consultation qui coûte 10.000 Fcfa ; la prise en charge. Expliquez-nous comment ça se passe exactement ?

On vient en consultation, ça peut nécessiter une hospitalisation ou aller en urgences. Par exemple, un patient a une infection aiguë ou suraiguë, il est reçu aux urgences. Quand vous parlez de coûts, ce sont des coûts additifs. La consultation aux urgences, cela fait 5.000 Fcfa. Si on a besoin de faire un scanner cérébral, cela va coûter 70.000 Fcfa. Si le vieux a fait une chute, et on veut voir si son membre est cassé ou pas, il va débourser 7.500 Fcfa en moyenne.

On vient en consultation, ça peut nécessiter une hospitalisation ou aller en urgence

Il y a aussi le bilan sanguin. Un patient qui est obnubilé, j’ai besoin d’avoir son ionogramme qui coûte 6.000 Fcfa. L’hémogramme coûte à lui seul 3.000 FCfa, la goutte épaisse fait aussi 3.000 Fcfa. Les coûts varieront en fonction de la symptomatologie que le patient va présenter. La consultation fait 10.000 Fcfa. Par contre, si le médecin veut avoir une échographie urgente, c’est 15.000 Fcfa. Les assurances qui passent au Chu d’Angré sont Ivoirsanté, la Mutuelle générale des fonctionnaires de Côte d’Ivoire, le Fonds de prévoyance des militaires, le Fonds de prévoyance de la police nationale, etc.

On revient sur les coûts. Les chambres à 3 lits, en hospitalisation coûtent 10.000 Fcfa ; les chambres à deux lits 20.000 Fcfa ; les chambres seules 30.000 Fcfa. Dans une chambre seule, vous avez un placard, un réfrigérateur, un fauteuil en plus d’un poste téléviseur avec écran.

Dites-nous, après le traitement de plusieurs jours, comment se sentent vos patients ?

Les retours sont favorables. Parce que c’est une autre manière de voir les séniors. Un sénior a le droit de manger, de danser, de prendre du chocolat et même avoir des loisirs. Il y a trop d’interdits, non. Dans cet hôpital, ils sont en présence des professionnels qui connaissent la matière. Dans chaque unité ou société, il y a des brebis galeuses, donc il y a des patients qui repartent, sans la satisfaction d’avoir été pris en charge, ça arrive. Mais, je veux dire grosso modo, le retour est favorable.

Nous avons des boîtes de suggestions. Hélas, il y a certaines personnes qui découvrent que nous avons un service de gériatrie. Chemin faisant, nous sommes en train de tisser nos toiles.

Pour les sujets qui n’ont pas les moyens, et qui souhaitent se faire traiter dans votre hôpital. Que faites-vous ?

Il y a quelque chose de particulier au Chu d’Angré, on appelle le paiement différé.  Ce sont les « accords ». Si vous arrivez de nuit au Chu d’Angré, vous payez la somme de 5.000 Fcfa, et vous avez un numéro P, qui est le numéro patient. Avec ce numéro patient, on vous fait un paiement différé. Quand vous sortirez, la facture vous sera remise. Il y a des sapeurs-pompiers qui nous ramènent des patients qui sont retrouvés dans la rue, ils sont identifiés comme patients, et la prise en charge est faite. On s’occupe de tout le monde.

Réalisée par Magloire Madjessou

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