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Perte d’un parent : comment des prêtres catholiques vivent le deuil de leurs proches ?

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Mgr Koné Antoine, évêque d'Odienné, décédé, le 8 mai/Ph Credo

L’Église catholique commémore la mort des fidèles défunts, le 2 novembre de chaque année liturgique. Credochristi.com a mené une enquête, à cette occasion de la célébration de prières des défunts. Chercher à comprendre le mystère des prêtres catholiques ivoiriens, bien qu’étant des êtres humains, très souvent proches des fidèles en détresse, lors de la perte d’un être cher, sont aussi affectés par la perte d’un proche. Comment manifestent-ils leur douleur et vivent leur deuil ?

Combien de prêtres catholiques qui, à la perte d’un proche, manifestent ouvertement leurs douleurs ou tristesses ? Ils ne l’expriment pas, souvent, en public leurs deuils par des acrobaties ou des pleurs, mais ils vivent durement dans leur chair de Serviteurs du Christ cette disparition. Une vie mystérieuse que l’on ignore sous la soutane blanche, pourtant, aussi envahie de remords et de douleurs.

« Le prêtre est aussi un homme et la perte d’un être cher, un parent, un ami proche fait qu’il est choqué. Mais après, il se ressaisit et pense à l’espérance. Les moments de joie qu’il a vécu avec la personne, le vide qui va connaitre après la disparition de ce dernier mais avec le temps, il arrive à surmonter cette épreuve », explique père Andoche Prégnon, directeur de la Radio nationale catholique relais du diocèse de Daloa.

Des décès inoubliables et bouleversants

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Père Prégnon à l’approche de la commémoration des fidèles défunts se remémore de la mort de deux de ses parents qui l’ont énormément bouleversé au cours de sa vie de prêtre. « Mon oncle paternel qui assurait ma scolarité est décédé, le 27 décembre 1994, sans que je sache qu’il était malade. C’est au Saint Sacrement que j’ai appris la mort de mon oncle. Lorsque je suis allé à l’adoration que le Seigneur me confie que ton père est décédé. L’autre étant un homme politique, décédé en 2012, sa mort a créé un énorme choc dans ma vie », raconte-t-il, avec beaucoup de peine dans la voix. Il affirme qu’il aurait fallu 5 ans pour accepter la mort de son père adoptif.

Le prêtre est avant tout un être humain. La mort d’un proche ne le rend nullement inhumain ou une personne incapable de sentiments ou d’émotions diverses. Père Pierre Dago Ablé, Professeur d’Histoire de l’Église et actuel vicaire à la paroisse Saint Jean Baptiste de Lakota, a pleuré son frère aîné Paul, il y a un an. « Je n’ai pas pleuré « en haut-parleur », mais j’en ai beaucoup souffert, car nous étions très liés. J’ai exprimé ma tristesse avec l’orgue en chantant des chants qui convenaient en pareille circonstance », se rappelle-t-il.

«Nous gardons l’espérance mais nous ne sommes pas indifférents à ces décès », soutient l’historien. Les décès de sa génitrice, juste après son ordination, en 1982, et son frère dans le sacerdoce, Albert Nassa, continuent de l’affecter jusqu’à ce jour.

« Mon père avant de mourir, en 2012, m’a fait appel. Ecoute, c’est le dernier départ. Je suis arrivé un jeudi et il est mort dans mes bras, le vendredi nuit. Aussitôt, l’on a vêtu et mis dans sa chambre, séance tenante, j’ai fait  la messe pour lui, témoigne l’abbé Zra-Bi Claude, vicaire général du diocèse de Daloa, par ailleurs, docteur en Théologie dogmatique, jusqu’à ce jour, je n’ai versé aucune goûte de larmes au point que je t’ai convaincu que mon père partait vers Dieu ». Pour le dogmaticien, la mort de son père n’est pas une fin.

Concernant la mort qui affecte le prêtre pendant la perte d’un être cher, Prof Germain Gazoa, professeur de Théologie spirituelle, anthropoloque, par ailleurs, Directeur de l’Institut psychothérapie d’Abidjan, explique cette situation troublante et pénible de la vie. «  le prêtre est celui qui a des émotions, des sentiments. Il a aussi le coeur humain qui est en lui. Même s’il peut expliquer après le décès, même si on dit la personne humaine ne meurt pas mais entre dans la vie. Certes, il peut se maitriser mais pas comme les autres. Mais, il a son côté naturel qui est là« . Pour le professeur de Théologie spirituelle, cette situation de détresse s’apparente « à son côté humain »

L’empathie et la compassion qui réagissent en lui s’il n’est pas tombé du ciel ironise le Prof de Théologie spirituelle.  » Il n’est pas hybride. Il est l’homme qui est enraciné dans la culture. Il ressent ce que tout le monde ressent. Les gens souffrent, et lui doit prendre de la hauteur, s’essuyer les yeux » pense-t-il.

Si on pleure devant les gens, c’est normal sauf qu’on ne peut pas se rouler à terre mais il faut que les gens sachent qu’on a un coeur de paix « , conclut le Théologien.

Le Christ Jésus, pendant la mort de Lazare, un des témoins de la foi, qu’il aimait tant, à pleurer. Ces pleurs du Seigneur étaient l’expression de l’amour qu’il portait à son ami, Lazare. «  Après, le prêtre, qui est en détresse, fait appel à sa foi et son espérance. Si on ne réagit pas comme quelqu’un qui a un coeur, c’est comme on est vraiment déséquilibré, pas mature. Par contre, une personne mature, doit ressentir tout ce que l’être humain ressent et à un moment donné, il se ressaisit ».

Pour le Théologien, il y a la maturité affective, mais le prêtre ne doit pas se donner dans des émotions inutiles. En définitive, le prêtre théologien conseille de faire ressortir la douleur, l’émotion sinon elle risque de retourner contre soi-même. « Si on pleure devant les gens, c’est normal sauf qu’on ne peut pas se rouler à terre mais il faut que les gens sachent qu’on a un coeur de paix « , conclut le Théologien.

Les prêtres demandent aussi des messes

Depuis des siècles, l’Église catholique s’est toujours souvenue des milliers de fidèles disparus. C’est pourquoi, pendant l’eucharistie, dans le Mémorial, le célébrant prie pour les défunts : « Seigneur souviens toi de tous ceux et celles qui ont quitté ce monde et dont tu connais la droiture… ». Ces personnes croyantes décédées continuent de bénéficier des messes dans les églises pour que le Seigneur les reçoive dans sa félicité. Le directeur de la Radio nationale catholique Relais de Daloa, lui, n’attend pas ce jour spécial, le 2 novembre, pour prier ou demander des messes pour ses proches.

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« Chaque fois que je célèbre l’eucharistie, je pense à ces défunts (parents, amis et connaissances) et prie aussi pour les parents qui me sont chers », confie père Prégnon. Qui estime qu’à travers les demandes de messes, « les parents défunts pourraient se retrouver dans la félicité et vivent en paix ».

Selon lui, ne pouvant pas leur offrir un cadeau de Noël, ce jour spécial, « je dresse une liste de tous mes parents défunts, je prie pour eux, devant le saint Sacrement, pendant les messes ». Pour ce 2 novembre consacré à la prière des défunts, père Prégnon envisage se rendre au village sur la tombe de ses parents pour prier et déposer des gerbes de fleurs. « Si je ne peux pas aller nettoyer sur leurs tombes, je demande à ma mère de le faire ou je paye les services d’un jeune du village », affirme-t-il.

« Le prêtre ne peut pas être celui qui est moins meurtri dans cette disparition d’un proche. Il maîtrise mieux ses sentiments, douleurs et peines », justifie père Ablé.

À tort ou à raison, des personnes penseraient que la mort d’un proche dans la société africaine est plus ressentie par un simple fidèle qu’un prêtre. Cette assertion est perceptible dans les funérailles organisées, à cet effet.

Des membres de famille, pourtant à laquelle appartient aussi le prêtre, pourrait l’inviter à la prière et à l’espérance, pendant que les autres pleurent bruyamment et font des incantations. « Le prêtre ne peut pas être celui qui est moins meurtri dans cette disparition d’un proche. Il maîtrise mieux ses sentiments, douleurs et peines », justifie père Ablé. Détaillant mieux cette approche qui semble ambiguë, l’Historien répondra : « L’autre (prêtre) ne criera pas par exemple mais on le verra triste, pleuré silencieusement. On connait des prêtres qui ont crié comme étant au village ».

Prenant à contre-pied les affirmations du père Ablé, le dogmaticien Claude Zra-Bi, pour sa part, soutient que le prêtre ne doit pas être moins meurtri d’autant plus qu’il est le propagateur de l’espérance à la vie éternelle.

 « Il ne s’est pas marié à cause de cette vie éternelle, il n’a pas d’enfants à cause de cette vie éternelle, il n’a pas de biens à cause de cette vie éternelle (…) Si l’heure d’arriver dans cette vie éternelle est proche, il ne doit pas pleurer mais dire gloire à Dieu pour celui qui est parti », estime le dogmaticien. Soutenant que celui qui est parti « devient un saint, un ange », Marc 12, désormais, il intercède pour lui.

 L’impact de la prière aux défunts

 « À chaque anniversaire de leur décès, je célèbre des messes. La prière est le moyen par excellence pour rester avec ces personnes qui sont du côté invisible mais elles sont… », martèle le père Pierre Ablé. Quant au père Zra-Bi, lui indique que la prière adressée aux fidèles défunts répond à la question de foi et non à la mathématique.

« Nous croyons que la prière agit sur celui qui est mort même bien que mort, son âme est une réalité spirituelle qui subsiste, son moi subsiste, est en connexion avec Dieu et avec nos prières », précise-t-il, avant de souligner « celui qui est mort n’est pas anéanti mais il vit. Mais, il vit dans une autre manière d’exister, un autre mode d’existence ».

Ce 2 novembre, des milliers de chrétiens catholiques se sont donc rendus dans les cimetières pour prier et déposer des gerbes de fleurs sur les tombes des défunts. Pour le père Ablé, son devoir étant d’abord de célébrer une messe pour ses paroissiens. Toutefois, bien qu’étant à des kilomètres de sa ville natale, où repose sa mère, il a adressé une prière à sa génitrice : « Maman, il y a longtemps que tu es partie mais je sais que tu es là. Que tu nous soutiennes toujours. Repose en paix et n’arrête pas de prier pour ceux que tu as laissés ici. Amen ! ».

Concernant l’abbé Zra-Bi, ayant en souvenir la mort de ses parents, il va rabaisser portes et fenêtres de sa maison afin de « marquer que c’est une journée d’absence physique et biologique de celui qui est parti. »

 Magloire Madjessou

 

Encadré

 La prière des défunts

« Prions pour qui nous était si proche et qui nous a quittés. Seigneur, que le bien qu’il (elle) a fait porte ses fruits et soit continué ! Que le mal qu’il (elle) a pu faire lui soit pardonné ! Que son souvenir reste vivant dans nos cœurs ! Nous t’en supplions. » Extrait de l’Intention de prière universelle de l’Eglise catholique.

Cette prière est généralement recitée lors du rappel à Dieu d’un fidèle défunt au cours de la messe. Cette prière est douloureuse et rappelle aux parents, amis et connaissances présents de continuer constamment à prier pour celui qui a devancé les autres dans l’au-delà. Pendant que cette prière est faite par le prêtre ou célébrant, la communauté paroissiale prie également en cœur afin que cette prière qui est dites puisse atteindre le cœur du disparu. Emotion, tristesse, douleur…entourent les parents et connaissances venus assister à cette séparation douloureuse.

Dans le cas du prêtre, qui pleure un être cher, il récite cette prière qui est dite par son confrère pour être en harmonie avec lui. En recitant cette prière, celui-ci est caractérisé de douleurs, d’émotions et de tristesse qui l’enveloppe et déchire le cœur qui pleure. Généralement, ce cœur du prêtre qui laisse entrevoir sur ses joues et ses yeux, des larmes de pleurs, est aussi sensible à la douleur qui l’afflige au moment précis. Il ne peut donc se taire et enfouie ses émotions et souffrances pendant que celui (mère, père, frère, sœur) part définitivement pour le voyage de non-retour.

Ce voyage, le prêtre en question ne le vit pas seul. Dans sa communauté, ses nombreux fidèles chrétiens l’aident ou sont avec lui pour lui apporter réconfort et soutien spirituel pendant ce moment de séparation. Il ne peut donc être seul. Son réconfort, bien qu’il est perdu une personne chère, sa communauté devient une personne potentiellement ressource, qui doit l’amener à dépasser et à refaire un autre esprit de vie.

La prière des défunts est essentielle dans la liturgie chrétienne. Avec cette dernière, le mort, après avoir reçu cette prière, part en paix, vers le Père céleste, où il reposera désormais en paix, loin des tintamarres de la vie existentielle.

Magloire M

Encadré

La douleur d’un prêtre

Sous les soutanes, ce sont des hommes comme nous. Ils ont tous les sens qu’a un individu normal. Le prêtre ou homme de Dieu n’est pas indifférent lorsqu’il s’agit de la mort d’un parent proche. Bien qu’il prône l’espérance et la résurrection comme écrit dans la Sainte Bible, pour ces personnes décédées, il est, lui aussi, au cœur de la réalité mortelle.

Beaucoup de prêtres ne supportent pas la disparition d’un être cher. Lorsqu’ils apprennent la nouvelle par quelle que manière que ce soit, ils sont dans un autre état : l’abattement, la tristesse, le découragement et la prière. La tête baissée, se posant mille et une question sur ce décès d’un proche.

On a vu des prêtres, qui à l’annonce du décès de leur proche, se sont enfermés hermétiquement dans la chambre ou refusent de sortir pendant des jours. Parce que la douleur est incommensurable et inqualifiable ! D’autres aussi, pleurent comme une madeleine, toute une journée ou des jours. Cette situation de tristesse afflige davantage le prêtre et ses amis venus aux funérailles. Personne ne peut supporter cette douleur, aussi justifiée soit elle…ce n’est pas donc pas le père, qui lui va le supporter à fleurs de peau.

Certains vont même à faire des acrobaties ou tapés des poings sur la table suite à la mort d’un proche. Cette manière pourrait étonner plus d’un. Mais, c’est normal diront d’autres. Ce sont des êtres vivants et ont besoin eux aussi de vivre la douleur, la souffrance que nous vivons part moments lorsque nous perdons un parent cher.

Le prêtre vit notre douleur, notre souffrance, notre tristesse en cas de décès. Il n’est ni un extraterrestre, ni une autre personne à part entière pour ne pas souffrir de la mort d’un parent proche. Au finish, il se souviendra des paroles de l’espérance et de la résurrection proclamées par le Seigneur, qui, lui, même à pleurer son ami Lazare…Les prêtres pleurent dans la douleur mais ils se consolent avec la Parole de Dieu et les conseils de ses confrères et amis…

M.M

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