Pendant l’année scolaire 2022-2023, ce sont 3 588 cas de grossesses enregistrés en Côte d’Ivoire. Au cours de l’année scolaire 2023-2024, ce sont 4 137 cas qui ont été enregistrés, rapporte une enquête du Conseil National des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH). Cette réalité tend à se perpétuer au fil des années. Si parmi les filles victimes de ce phénomène, certaines abandonnent leurs études en cours de chemin, d’autres par contre, tiennent le coup. Dossier
L’année scolaire 2022-2023, c’est la région de Nawa qui remporte la palme d’or en matière de grossesses dans les 31 régions du pays. Cette région a enregistré 409 cas de grossesses en milieu scolaire.
Pour Liatché Arsène, instituteur à Yakolidabouo, un village moderne de la Nawa, les grossesses dans cette région sont généralement dues, « à la situation précaire que vivent les élèves vivant loin de leurs parents ». Ajouté à cela, le cas des élèves ayant contracté des grossesses à la suite d’un viol.
Dans son travail de collecte, le CNDH n’a pas distingué les cas de grossesses relevant d’un rapport sexuel consenti et celui issu d’un viol. Pourtant, dans un article publié sur le site Monde Afrique du 11 juin 2024, Aïcha Traoré, présidente et cofondatrice de l’association ivoirienne Pro-kids, qui accompagne chaque année plus d’une centaine de mères âgées de 9 à 25 ans dans leur réinsertion scolaire ou professionnelle, témoigne que c’est le deuxième cas qui prédomine.
Sur le même site, Boualay Messan, une élève de 19 ans, qui fréquentait un collège à Yopougon, a contracté la grossesse à la suite d’un viol. Après 3 mois de grossesse, elle a été contrainte de quitter son collège de Yopougon à cause des railleries et insultes des élèves. Après la naissance de son fils, en 2020, Boualay Messan n’est jamais revenue en classe. A l’instar de Boualay, pour beaucoup d’élèves, la maternité rime avec la fin de la scolarité.
Koné Aminata, qui fréquentait dans un collège à Attécoubé, à Abidjan renchérit pour dire, « en 2000, dans mon école, il y avait beaucoup de filles enceintes, mais j’ai été la seule à aller au cours jusqu’en fin d’année scolaire ».
Poursuivre les études, malgré tout
Pour poursuivre ses études, Koné Aminata, en classe de 5ème devait faire fît des railleries, du mépris et du regard de la société. Sa plus grande crainte, la réaction de son géniteur. Depuis Bouaké, où il travaille, désemparé et fâché devant cette attitude inexplicable de sa fille, il durcit les conditions pour elle. L’expulsée de la maison à Attécoubé (Nord d’Abidjan), où elle vivait avec ses frères.
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Sa tante la récupère, à Marcory, par la suite. Avec les difficultés comme la nausée, les vertiges etc, elle suit tout de même les cours en classe. En dépit de sa bonne volonté, Aminata a repris la classe de 5è, en 2000-2021.
« Les matins, quand je sors, elle (le bébé de sexe féminin) dort encore…
Cette situation de mère nourrice aura un impact sur sa vie. Quittée vite la maison pour l’école. La croix et la bannière. « Les matins, quand je sors, elle (le bébé de sexe féminin) dort encore. Je ne peux pas la réveiller pour la laver, ni pour qu’elle tête. Je laisse cette tâche à la nièce de ma tante, une jeune fille de 12 ans nommée Traoré Fatim qui aide ma tante dans ses tâches quotidiennes », soutient-elle, avec émotion.
Pendant son absence, des soins primaires sont apportés au bébé. Mme Yoro, tenancière d’un salon de coiffure, elle y veillait sur le bébé ainsi que les clientes soucieuses de cet enfant. Après la classe de 5è, Koné Aminata a dû retourner chez ses parents, où elle alliait études et activités commerciales.
Finalement, la mère est devenue secrétaire de direction dans une importante entreprise de la place, par contre, sa fille elle est étudiante en licence, dans une université privée d’Abidjan.
Jusqu’à deux grossesses au secondaire
Si Koné Aminata, après sa grossesse, a été rejetée par ses parents, tel ne fut pas le cas de Teya Joséphine qui a contracté deux grossesses au secondaire. En effet, affectée en classe de 6è dans un lycée de Bongouanou pendant l’année scolaire 2013-2014, la jeune élève constatera qu’elle porte une grossesse qu’elle a contractée pendant les vacances scolaires.
Après que les deux familles (famille de l’auteur de la grossesse et de la jeune fille) qui sont du même village aient vidé leurs différends suite à cette affaire, Teya Joséphine a repris le chemin de l’école.
La vie étant paisible pour cette jeune fille candide, ne sera pas un long fleuve tranquille. Ne bénéficiant plus d’attention affective de sa mère, Teya Joséphine va être obligée d’exercer de petites activités pour subvenir à ses besoins.
« Après les cours, je partais vendre des oranges afin d’avoir un peu d’argent pour subvenir à mes besoins », souligne Teya Joséphine. Qui reconnaît qu’elle n’arrivait pas à étudier. Sa force résidait dans le fait qu’elle assimilait les cours dispensés par les professeurs à telle enseigne qu’elle s’en sortait lors des devoirs. Elle a ainsi allié le commerce et les cours jusqu’à ce qu’elle accouche le 19 avril 2014, pendant les congés de Pâques.
Après les congés de Pâques, la nourrice reprit le chemin de l’école, laissant son nouveau-né de deux semaines à sa cousine, propriétaire d’un restaurant. Malgré l’absence de sa mère, peut être sachant ses difficultés, la « petite » étouffera ses cris et autres, à son absence jusqu’au soir.
Pour une seconde fois, lors des vacances scolaires de l’année 2023, Teya Josephine va contracter une seconde grossesse. Cette fois-ci, l’auteur de la grossesse a assuré la scolarité de Teya Joséphine qui reprenait le Bac pour la seconde fois.
Avec sa grossesse, elle a suivi les cours jusqu’à ce qu’elle accouche, le 5 mai 2024, d’un garçon
Avec sa grossesse, elle a suivi les cours jusqu’à ce qu’elle accouche, le 5 mai 2024 d’un garçon. Elle bénéficiera du soutien inconditionnel et maternel de sa génitrice, qui vivait avec elle. Désormais, tout ce qui est de l’enfant, sa mère y prenait un grand soin.
En absence de sa mère, toute la maisonnée lui apportait de l’aide maternelle, afin que le bébé soit bien traité et vive longtemps dans le carcan familial. En dépit de son échec au Bac, elle ne perd pas espoir. Objectif, avoir ce précieux sésame et fait plaisir à ses parents, après cette grossesse de trop.
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Le mal frappe dans tous les milieux
Même si elle a bénéficié d’une éducation religieuse rude, Gueu Franceline n’a pas échappé au phénomène de grossesses en milieu scolaire. La jeune adolescente qui fréquente dans un lycée de Port-Bouët contractera une grossesse en 2022-2023.
Celle qui a été baptisée ‘’la sainte’’ par ses camarades va se forger un moral de fer pour suivre les cours, malgré son accouchement, en mai 2023. Rétablie, elle a repris pendant l’année scolaire 2023-2024, la classe de Terminale A dans le même lycée.
Son bébé restait avec sa mère, une ménagère. Malgré son courage, Gueu Franceline ne réussit pas à décrocher le sésame ouvrant les portes universitaires. Mais déterminée à obtenir le Bac, elle va poursuivre les cours dans un autre lycée de la commune d’Anyama.
L’apport des ONG dans l’assistance des jeunes filles
A l’opposé des jeunes filles mères rencontrées dans le cadre de ce dossier, se trouvent d’autres, qui ne bénéficient pas du soutien de leurs parents dans ces moments difficiles. Elles ne reçoivent leur salut que grâce aux Organisations non gouvernementales (Ong) à l’instar de l’Ong La Sève basée à Grand-Bassam.
Selon Mme Agnissan Kpidi épse Seka, responsable de ladite Ong, ‘’ il y a beaucoup d’élèves parmi les jeunes filles mères que nous recevons ». Elles y arrivent parce que le plus souvent, « la grossesse n’a pas été reconnue ou c’est une histoire d’homme marié qui ne veut pas accepter la grossesse ».
‘’ il y a beaucoup d’élèves parmi les jeunes filles mères que nous recevons », dixit Agnissan Kpidi
Grâce à ses partenaires que sont la mairie de Grand-Bassam, le Conseil régional du Sud-Comoé et des bienfaiteurs, l’Ong s’occupe des jeunes filles jusqu’à leur accouchement et assure leur suivie jusqu’à leur insertion dans le tissu social. Mme Agnissan a donné le témoignage de plusieurs jeunes filles mères (dont des élèves) qui ont bénéficié de leur assistance et qui travaillent dans plusieurs domaines dans la ville de Grand-Bassam et ailleurs.
Ahoussi Aka
NB : A part Boualay Messan, les élèves nourrices qui interviennent dans le cadre de ce dossier portent des noms d’emprunt.
Encadré 1
Le Cndh se dresse contre les grossesses en milieu scolaire
Dans son communiqué de presse N°03 du Conseil National des Droits de l’Homme ( Cndh) relatif à la recrudescence des cas de grossesses en cours de scolarité sur la période allant de septembre à mai 2024, l’institution a tiré la sonnette d’alarme pour attirer l’attention des autorités ivoiriennes sur l’ampleur de ce phénomène.
Pour réduire le nombre de grossesses en milieu scolaire, le Cndh dans le communiqué a appelé les autorités compétences à poursuivre leurs efforts pour la protection des droits des jeunes filles scolarisées. L’institution a également appelé à la responsabilité des parents dans l’éducation de leurs enfants.
Abondant dans le même sens, Mme Laurentine épouse Dago, inspectrice à l’extra-scolaire en charge de l’alphabétisation a indiqué que la meilleure manière de freiner les grossesses en milieu scolaire c’est de sensibiliser les jeunes filles sur ce phénomène.
Les parents doivent s’impliquer dans cette sensibilisation et ne doivent pas laisser cette tâche aux enseignants et aux éducateurs seulement. Aux enseignants, elle leur a demandé de refuser d’aller avec leurs élèves, mais de plutôt les considérer comme leurs propres enfants.
A.Aka
Encadré 2
Les chiffres dans les autres régions
Lors de l’année scolaire 2023-2024, selon le Rapport du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), la Nawa s’est taillée la part du lion en matière de grossesses en milieu scolaire, avec 409 cas enregistrés.
Cette région a été talonnée par le Tonpki qui a enregistré 408 cas. Pendant que le Poro rivalisait avec le Gontougo, en enregistrant respectivement 254 et 253. Les régions du Hambol et de l’Agneby-Tiassa se tenaient coude-à-coude avec respectivement 238 et 201.
L’Indénié-Djuablin comptabilisait 198 grossesses pendant que ce sont 181 cas du côté de la région des Grands Ponts. Le Cavally qui est logé au bas de l’échelle a enregistré 160 cas de grossesses en milieu scolaire. Selon le site Monde Afrique du 11 juin 2024, ces données n’incluent pas la ville d’Abidjan, mais en deçà de la réalité.
Dans l’intention de connaître le taux de jeunes filles mères poursuivant leurs études, nous avons adressé, le 21 août 2024, un courrier au ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant. Ce courrier dont ampliation a été faite à la Commission d’accès à l’information et d’intérêt public et aux documents publics (CAIDP) est resté sans suite jusqu’à ce jour.
A. Aka
Encadré 3
La réussite scolaire d’une élève nourrice, un défi psychologique
Selon le père Didier Bromi, prêtre du diocèse de Grand-Bassam et psychologue, « l’élément fondamental qui fera que la jeune fille reprendra le chemin de l’école après son accouchement ou non, c’est le système de soutien qui se crée autour d’elle depuis les premières heures de la grossesse jusqu’à l’accouchement. Et ce système de soutien est bien souvent la famille ».
Pour le prêtre, « si la jeune fille est rejetée, humiliée, bafouée ; il va s’en dire que son retour à l’école sera compromis. Mais si au contraire, elle a de l’attention, de la compréhension et un accompagnement sa reprise scolaire est très plausible ».
Selon lui, parmi les causes pouvant susciter l’abandon des études de par la jeune fille mère, il y a les responsabilités de la maternité (allaitement du bébé, les travaux domestiques), les complications liées à l’accouchement, la situation financière de la famille de la jeune fille mère, etc. D’autres parts, la jeune fille peut arrêter ses études, si elle n’a pas un mental fort, de l’abnégation, de la détermination, de la résilience.
Il revient donc aux parents de susciter en elle, cette résilience afin qu’elle puisse reprendre le chemin de l’école.
Ahoussi Aka