Accueil A la une Côte d’Ivoire, Le Baptiste Jean est-il vraiment ostracisé par l’attitude des guides...

Côte d’Ivoire, Le Baptiste Jean est-il vraiment ostracisé par l’attitude des guides religieux ?

PARTAGER
Tiburce Koffi, écrivain et intellectuel ivoirien/Ph Valérie Koffi

Tiburce Jules Koffi, écrivain et intellectuel ivoirien, résident aux Etats-Unis, décortique le personnage emblématique de Jean Baptiste dans la vie de Jésus et s’insurge contre son héritage spirituel et moral galvaudé par des guides religieux impuissants à la détresse et la souffrance du peuple des croyants. (2è et fin)

Le baptiste Jean : une icône ostracisée ? On pourrait se risquer à le dire, en demi-teinte. Un peu comme le KGB de la grande époque de la  Russie effaçait de l’Histoire, les photos et images de personnages de l’État devenus désormais gênants. Tout semble en effet se passer pour le baptiste comme si les églises se sont entendues pour altérer son importance. Est-ce pour éviter que sa forte image fasse ombrage à l’histoire lumineuse de Jésus ? 

Jean: un très difficile héritage moral et spirituel

Toujours est-il que : en lieu et place d’une forte et pertinente représentation iconographie du baptiste (dont l’annonce de l’avènement date d’Esaïe), l’accent est plutôt mis sur des iconographies de rois mages, de la crèche de Jésus, de la Cène, du chemin de croix, de Marie-Madeleine, de la crucifixion (jusqu’à même des images de soldats romains flagellant Jésus !) 

Ils célèbrent Marie mère porteuse qui, dans cette histoire, n’a pas plus de mérite qu’Elisabeth, mère porteuse également, du futur baptiste : Jésus, et Jean (son aîné et prédécesseur), nés tous les deux de l’Action divine, sont donc liés par une double parenté génétique et spirituelle. D’où vient-il donc que l’on ne fasse pas suffisamment cas de la qualité de l’œuvre de Jean ?

La réponse, à mon avis, se trouve sans doute dans l’image (redoutable) que le baptiste a laissée de lui : c’est celle d’un absolutiste. Jean est, en effet, un intégriste de la morale ancienne. Se voulant sans doute l’ultime gardien de l’orthodoxie éthique du peuple hébreux, il n’admit aucune faiblesse de la chair — d’où sa terrible et suicidaire colère contre le roi Hérode. Jésus, tout au contraire (et paradoxalement), afficha une relative tolérance sur la question.

La radicalité du discours sermonnaire du baptiste effraie ; la flexibilité innovante de celui de Jésus apaise et rassure. Le discours johannique est fait de menaces, celui de Jésus, de tendresse et d’amour. En appelant sans cesse les siens au repentir (donc à la reconnaissance quotidienne de leurs péchés), Jean s’est imposé de fait comme la conscience morale inflexible de tous ceux qui se réclament de la Parole immuable et rectiligne de Yahvé-Dieu par le testament mémoriel d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Gardien du temple du passé, Jean s’est voulu fermeture ; détenteur des clés de la porte du futur, Jésus s’est imposé comme ouverture.

Jean est un conservateur entêté et redoutable ; Jésus, un séduisant réformiste aux entournures du révolutionnaire pacifique. Mais Jean est, en réalité, plus que cela : un extrémiste des premiers âges, le précurseur des courants religieux fondamentalistes qui vont, des siècles après lui, embraser le monde par leur lecture outrancièrement éthique du Monde.

Dans un décryptage politique actualisé, l’intraitable baptiste pourrait incarner l’opposition intransigeante, irréductible et incorruptible face au pouvoir régnant. Cette analogie nous donne un peu les raisons de l’altération de l’image  de Jean dans les églises : dans ce monde actuel, et surtout cette société ivoirienne où règnent à outrance et dans l’impunité la corruption, les vols de deniers publics, dans cette Côte d’Ivoire où nombre de chefs des clergés chrétiens et islamiques sont devenus des alliés des pouvoirs oppresseurs qui les entretiennent, dans ce pays où d’habiles escrocs, sous l‘étiquette de pasteurs, vivent des salaires de leurs fidèles, déstabilisent des foyers, forniquent à loisir et dans l’impunité, dans ce monde et surtout ce pays en proie à la recherche et accumulation du gain facile, quel intérêt y a-t-il à célébrer Jean l’austère, celui-là même qui a renoncé aux biens de la terre pour se consacrer exclusivement à une quête spirituelle des plus hautes et sans doute jamais égalée dans l’Histoire ?

Jean : la mauvaise conscience des églises

Le baptiste Jean m’apparait donc un peu comme la mauvaise conscience des églises et de tous ces propagandistes des Ecritures saintes, pompeusement appelés « hommes de Dieu. » (…) Nos Hommes de Dieu ! Ils hantent les couloirs des palais et les demeures des riches, roulent carrosse… au détriment de leurs fidèles. Observez l’immensité et la richesse de leurs demeures ! Jean eut pour gîte le désert, et il était vêtu de peau de bêtes.

Jean eut pour gîte le désert, et il était vêtu de peau de bêtes. A contrario, la plupart de nos « homme de Dieu » sont, eux, des suppôts des chefs politiques

Ils vivent dans l’or, de la sueur des fidèles et de l’or des pouvoirs politiques dominants et oppresseurs. Sous l’ancien régime, ces ‘’hommes de Dieu (?)’’ faisaient partie intégrante du système et du pouvoir, paradant au sein de la cité, affichant une aisance matérielle des plus surprenantes et choquantes. Sombre époque des ‘‘Raspoutine’’!

Sous le régime actuel, c’est le clergé musulman qui parade et fait preuve d’un collaborationnisme des plus malsains ― les chefs chrétiens (catholiques et évangéliques) rasant, eux, les murs de la décadence spirituelle en se taisant (pour les plus illustres d’entre eux) sur les souffrances qu’endure le peuple. Nos hommes de Dieu : des antithèses de Jean. Le Vatican abrite une banque riche ― ce que Jean n’aurait pu accepter. 

Voilà pourquoi le baptiste ne peut être aujourd’hui l’icône majeure des liturgies chrétiennes, ni la référence spirituelle des chefs religieux : c’est, en réalité, un personnage encombrant pour cette faune, particulièrement ces églises qui célèbrent la luxure, la fortune matérielle, la parole marchande, en lieu et place du dénuement et de la pureté spirituelle qui ont fondé le ministère du baptiste.

La plupart de nos guides spirituels ne sont pas vraiment des « hommes de Dieu ». C’est pourquoi il vaudrait peut-être mieux les appeler « hommes qui parlent de Dieu » plutôt qu’hommes de Dieu. Les grands testaments spirituels et théologaux connus sont d’accord à dire que Dieu a clos la liste de ses Envoyés par l’avènement de Mahomet. Nombre de ceux qui viennent professer aujourd’hui en son nom ne sont donc que des hommes qui parlottent sur Dieu et non des « hommes de Dieu. » Ce sont des imposteurs. Et leur avènement a été prédit par Jésus. La Parole, en Matthieu 24, verset 23, déclare :

« Il s’élèvera de faux christs et de faux prophètes ; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire (…) ».

Et ils pullulent effectivement, tous ces prétendus hommes de Dieu, sous tous les cieux. Ils prolifèrent, comme la vermine sur le corps des cadavres. Peu d’entre eux prendraient donc le risque de magnifier Jean le moralisateur, Jean le Prince de l’Ethique car ils sont, pour nombre d’entre eux, corrompus par les pouvoirs d’argent ; et, à l’instar d’Hérode-Roi, ne rechignent pas à la fornication. Leurs délits sexuels, connus, restent aussi stupéfiants qu’impunis.

On le voit : nulle place ne peut être vraiment faite à Jean dans la conscience de ces prétendus hommes de Dieu (…). Et j’entends encore résonner à mes oreilles la voie du baptiste refusant de cautionner la concupiscence, la fornication, les transgressions morales… au prix de sa vie. « Repentez-vous ! », hurlait-il. Et le baptiste paya effectivement de sa vie, ses audaces : tête tranchée. Quel ‘‘homme de Dieu’’ donnerait-il aujourd’hui sa vie pour la défense d’une cause morale ? Le siècle dernier de l’Histoire moderne n’en a connu qu’un seul : Luther King. Qu’hommage lui soit toujours rendu. Et que gloire soit de même rendue au baptiste Jean. C’était là ma parole de ce jour.

Notes :

(1)  Texte extrait d’un court essai (inédit) sur les Ecritures canoniques, dédié au philosophe ivoirien James Wadja.

(2)  Consulter Luc I, versets 5-17 ;  Marc I, 1-11.

(3)  J’insiste sur cette précision de haute importance, qui se trouve d’ailleurs au cœur de la Bible. Lire notamment les versets relatifs à l’Exode, comme en témoignent ceux-ci : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob* (…) Va, réunis les anciens d’Israël et dis-leur : Le Seigneur, Dieu de vos pères, Dieu D’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, m’est apparu en disant : « J’ai décidé d’intervenir en votre faveur, à cause de ce qu’on vous fait en Egypte* (…) Ils entendront ta voix et tu entreras, toi et les anciens, chez le roi d’Egypte ; vous lui direz : Le Seigneur, Dieu des Hébreux, s’est présenté à nous* (…)». Exode 3-7 ; 3-17 ; 3-19. Oui, Yahvé est bel et bien le dieu des Hébreux et non celui d’autres peuples, encore moins celui des Africains.

PARTAGER