La Côte d’Ivoire à l’occasion de la dernière présidentielle du 31 octobre 2020 a connu assez d’affrontements entre populations autochtones et allogènes. Même si l’on se trouvait dans une période pré/ post-électorale, peut-on dire ou bien doit-on chercher les vraies origines de ces barbaries ailleurs ?
En Côte d’Ivoire, les peuples de la sous-région vivent en parfaite harmonie avec leurs hôtes dans les villes et villages du pays. Toutefois, à l’ouest comme au nord, l’on constate parfois des conflits intercommunautaires entre les autochtones et les allogènes. C’est le cas des conflits entre les Peuhls et les planteurs Malinké au nord. Et les conflits de terre qui opposent les populations Wê à celles de la sous-région à l’ouest montagneux.
A l’ouest, les plaies ouvertes dans le cadre de ces conflits n’ont pu être cicatrisées. Bien au contraire, elles ont été plus élargies avec la crise post-électorale de 2011. Crise au cours de laquelle des autochtones se sont vues arrachées leurs terres par des allogènes de la CEDEAO sans que cela ne soit sanctionné. Ailleurs, au sud comme au centre, les conflits fonciers sont souvent au centre des dissensions entre des membres d’une même ethnie (Ébriés), d’une tribu. Donc bien avant l’avènement des crises politiques, les relations entre certains peuples étaient déteintes par conflits fonciers.
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Les rancœurs venant de lointain
Certes, les conflits inter-communautaires existaient mais cela n’empêchait pas les ivoiriens à chaque élection de sortir et d’aller exercer leur devoir civique. Mais cette année, ayant constaté que sur l’ensemble du territoire national, il y a des régions où les ivoiriens ne sont même pas sortis pour voter, Sylvain N’Guessan directeur de l’institut de stratégie d’Abidjan a reconnu que » la déchirure est grande au sein de la population ». L’homme qui s’exprimait le 2 novembre 2020 sur la radio de la Paix a préconisé que pour soigner le mal dont souffre la Côte d’Ivoire, il faut » une cure profonde ». Selon lui, il faut chercher à savoir ce qui » s’est passé pour que les Sanwi se révoltent en 1960 », chercher à élucider les affaires Kragbé Gnagbé, Ernest Boka, le Génocide des Guebié.
En somme, pour l’analyse politique, la crise ivoirienne ne date pas de maintenant. Elle prend ses origines dans les frustrations et injustices subies par certains peuples qui ont été martyrisés par des politiques. C’est le cas des Abbeys, peuple vivant au sud-forestier du pays, qui porte toujours une grande plaie dans leur cœur après la disparition mystérieuse de leur espoir Kragbé Gnagbé.
L’on comprend dès lors qu’avant l’éclatement des conflits fonciers, il existait dans le cœur des Ivoiriens des » rancœurs » provoqués par les politiques. Lesquelles rancœurs qui n’ont pas été guéries et dont personne n’en parle. A ces rancœurs se sont greffés les conflits fonciers qui vont connaître un enlisement pendant la crise du 2010.
L’avènement de la politique dans les crises existantes
L’ouest de la Côte d’Ivoire a payé un lourd tribu lors de la crise post-électorale de 2010-2011. Des milliers d’habitants ont fui leurs villages à cause de la guerre ayant occasionné beaucoup de morts et la destruction de nombreux dégâts matériels, dont les plantations de ces habitants. Ces plantations détruites n’ont jamais été objet de dédommagement à la grande surprise de ces populations. D’où leur grand mépris pour l’actuel pouvoir d’Abidjan.
Au nord du pays, les populations se disant lésées par les systèmes politiques mis en place depuis l’avènement des indépendances, ont vu en l’arrivée d’Alassane Ouattara, un espoir pour leurs régions. Ce dernier qui a prôné être venu pour le » rattrapage éthique » a aggravé la situation avec cette politique clanique. Depuis 10 ans, il a été donnée de constater que la liste des admis aux différents concours administratifs est dominée par les ressortissants du nord.
Cette situation a été l’une des raisons du divorce entre le Pdci-Rda et le Rhdp. Le vieux parti d’Henri Konan Bédié s’est opposé à la politique de rattrapage ethnique pratiquée par Alassane Ouattara. Le fait d’être délaissé au profit des populations du nord a affecté les jeunes des autres régions qui attendaient les élections pour exprimer leur ras-le-bol au candidat du RHDP dans les urnes. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ne pourront le faire, car ayant respecté le mot d’ordre de désobéissance civile.
Mais d’où sont venues les tueries lors des marches
Depuis 2000 à l’approche de chaque élection le climat politique est plus ou moins agité. Mais pour cette année, après la crise postélectorale de 2010-2011, personne ne songeait à des événements tragiques encore. C’était mal connaître les adeptes du sang. Des personnes qui veulent voir couler le sang.
Si les manifestations anti 3ème mandat ont viré à des affrontements intercommunautaires. Peut-on conclure que dans nos villes et villages les autochtones et les allogènes venus de la sous-région vivent-ils en chien de faïence ? La réponse bien sûr est non. Mais comment se fait-il que ces populations s’entretuent alors ? Lors des différentes manifestations anti-3ème mandat, il a été donné de constater que ceux qui s’attaquent aux manifestants ne sont pas originaires de la ville où se déroule la manifestation.
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A Bonoua, à Bongouanou, comme à Arrah ce sont des forces supplétives appelées » microbes » ou » miliciens » qui s’infiltrent dans les rangs des manifestants pour semer la terreur témoignent les victimes des différentes villes.
Pour l’opposition, ces personnes qui sont souvent des ressortissants de la sous-région ne sont que des envoyés du pouvoir pour les empêcher de manifester. Ce point de vue est largement partagé par de milliers d’Ivoiriens. Donc, les autochtones ne se battent pas contre les allogènes. La preuve, dans le mois d’août à Bonoua, il y a eu une altercation entre les Malinké ivoiriens et leurs frères d’autres nationalités ayant soutenu les troubles des marches.
Du coup, les manifestants ont réalisé que les infiltrés ne sont pas nécessairement des Ivoiriens mais des personnes d’autres nationalités à la solde du pouvoir. Cette situation a été l’élément amplificateur de la crise. Car les ivoiriens, non contents du fait que leurs terres soient spoliés par des non-nationaux, refusent que ceux-ci s’imixent dans la politique de leur pays.
Que faire ?
La présence de ceux-ci (même) minime est perçue par les ivoiriens comme une volonté d’Alassane Ouattara de brader leur pays aux non-nationaux. D’où la raison de leur combat auprès du président Henri Konan Bédié pour arracher leur pays aux actuels tenants du pouvoir d’Abidjan. Donc le dialogue politique entre Ouattara et l’opposition ne vient pas arranger toutes les crises existantes entre les ivoiriens. Elle vient régler une crise politique née et aggravée par les quatre grands à savoir Bédié, Gbagbo, Alassane et Soro.
Pour régler définitivement tous les différends entre ivoiriens comme le disait Sylvain N’Guessan, il faut une véritable cure. En 2001, l’ancien président Laurent Gbagbo avait tenté de le faire à travers un forum national de réconciliation, mais ce rendez-vous s’est vite transformé en un forum pour clouer l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara au pilori. Selon Sylvain N’Guessan, si des pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda ont réussi à faire leur propre cure, pourquoi la Côte d’Ivoire ne le réussira-t-elle pas ?
Aka Ahoussi