L’Organisation mondiale de la santé est préoccupée par « une accélération » de la maladie sur le continent. Entretien avec le Dr Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’OMS en Afrique.
La zone Afrique de l’OMS, qui réunit 47 pays sur les 54 que compte le continent, enregistre au 27 juillet 2020 plus de 700 000 cas pour plus de 11 800 décès. Le Nord et le Sud sont les régions les plus touchées par la pandémie. Environ 90% des cas se trouvent dans une dizaine de pays. L’Afrique du Sud concentre plus de la moitié des cas de Covid-19 enregistrés. L’OMS estime que la situation dans ce pays constitue « un avertissement » pour l’ensemble de la région où « une accélération de la maladie » préoccupe l’agence onusienne, même si l’Afrique est le continent le moins touché par le nouveau coronavirus après l’Océanie. Entretien avec le Dr Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’OMS en Afrique.
En mars dernier, l’OMS attendait la saison grippale sur le continent pour affiner ses observations. Qu’avez-vous appris de nouveau sur la pandémie maintenant que nous y sommes, notamment en Afrique australe ?
Michel Yao : c’est effectivement la saison hivernale dans le sud du continent (elle s’étend de mai à août en Afrique du Sud, le pays qui enregistre le plus de cas de Covid-19 sur le continent africain, NDLR). La hausse des cas observés dans la région est probablement liée aussi à ce facteur. Mais, de façon paradoxale, il y a moins de cas de grippe saisonnière (démarre en avril/mai et décline en août/septembre en Afrique du Sud, NDLR) que ce à quoi nous nous attendions : nous sommes en dessous de la moyenne habituelle, soit une centaine de cas enregistrés en Afrique du Sud et dans les pays voisins durant cette période. Cela tient certainement aux gestes barrières adoptés contre le Covid-19. Les infections respiratoires aiguës font actuellement l’objet d’une surveillance systématique.
La saison des pluies en Afrique de l’Ouest a-t-elle aussi un effet sur l’augmentation des cas dans la région ?
La saison grippale pour les pays de la région correspond à la saison des pluies. Les gens sont plus agglutinés à la maison quand il pleut et la promiscuité favorise la transmission de certaines maladies respiratoires. A cela s’ajoute le déconfinement, également propice à une autre forme de promiscuité. Il faut donc aujourd’hui renforcer les mesures barrières dans les transports publics et, plus généralement, dans les lieux où la promiscuité est favorisée.
Si le temps et la saison expliquent en partie la hausse des contaminations, pourquoi la situation reste-t-elle préoccupante ?
Il y a matière à s’inquiéter parce qu’il ne s’agit pas de la grippe mais du Covid-19. Une maladie dont les complications sont à même de paralyser tout le mécanisme de réponse sanitaire. L’Afrique du Sud enregistre plus de 10 000 cas par jour. Malgré sa solidité, le système est aujourd’hui mis à rude épreuve. Ce qui n’a jamais été le cas avec la grippe.
Quand bien même la saison et le déconfinement contribuent à la hausse des cas, il faut être particulièrement vigilant parce que le Covid-19 se propage plus rapidement. D’où la nécessité de l’application des mesures barrières avec une sensibilisation et l’engagement des communautés. Il faut également renforcer la surveillance grâce au dépistage, à des mesures d’isolement et de prise en charge des malades de façon décentralisée dans les pays. Et cela tout en assurant la continuité des services de santé dans ce contexte déconfinement et d’ouverture des frontières.
Dr Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’OMS pour l’Afrique. (OMS AFRO)
Quel est le portrait-robot de l’évolution de la pandémie dans la zone Afrique de l’OMS ?
Au tout début de l’épidémie, de février à mars, les cas enregistrés étaient importés. Les mesures précoces de confinement tout le long du mois de mars – ce qui caractérise d’ailleurs la réaction des pays africains – ont permis de ralentir la propagation du Covid-19. Cependant, certains pays en Afrique de l’Ouest comme le Niger ou le Burkina Faso ont enregistré d’avril à mai une hausse des infections. Durant cette même période, la moitié des pays de la zone ont connu une transmission communautaire. L’autre moitié a été confrontée à des foyers épidémiques ou à des cas sporadiques.
Par la suite, au cours du mois de mai, probablement à cause du déconfinement, certains pays d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire et le Ghana ont vu leurs cas augmenter. Idem en Afrique centrale avec le Gabon et le Cameroun ou avec l’Ethiopie et le Kenya en Afrique de l’Est. De même, l’Afrique du Sud a connu un pic qui a atteint au mois de juin un niveau assez élevé. Les capacités de dépistage ont également augmenté de manière progressive. Ce qui, dans certaines situations, explique la notification de plus de cas. De façon générale, la maladie a désormais une transmission communautaire. Ce qui rend difficile son contrôle. Le Covid-19 s’est installé.
Quelle est la situation en matière de dépistage ?
- Dans la plupart des pays, le dépistage est gratuit. L’Afrique du Sud et le Rwanda sont les pays qui testent le plus aujourd’hui. Bien qu’il y ait des capacités de dépistage partout, la décentralisation fait la différence.
Dans la plupart des pays, le dépistage est gratuit. L’Afrique du Sud et le Rwanda sont les pays qui testent le plus aujourd’hui. Bien qu’il y ait des capacités de dépistage partout, la décentralisation fait la différence. La maladie se propage des grandes villes vers les autres localités. Par conséquent, les tests doivent être décentralisés. C’est ce à quoi l’OMS et l’Union africaine s’emploient en augmentant les capacités disponibles qui, en Afrique, ne tiennent pas uniquement aux infrastructures. L’expertise technique fait aussi défaut.
Par conséquent, des systèmes de dépistage moins complexes (que le PCR, NDLR) ont été adoptés ou des tests rapides sont à l’essai dans plusieurs pays. L’Afrique reste limitée par l’accès aux réactifs et aux équipements nécessaires pour le dépistage. La pandémie sera longue et il va falloir continuer à maintenir à flots les services de santé. Dépister le Covid-19 doit pouvoir se faire sur l’ensemble du territoire d’un pays sans entraver le fonctionnement des autres services de santé.
Aujourd’hui, les tests réalisés sur des personnes qui présentent des symptômes permettent de mesurer l’ampleur de cette maladie dans la plupart des pays. A contrario, il n’est pas possible de déterminer le niveau de contamination dans la population. Certains pays comme le Kenya ou le Mozambique ont commencé une sérosurveillance, c’est-à-dire la détection de personnes qui ont déjà contracté la maladie.
Les pays africains ont-ils atteint leur pic ?
A part les Seychelles, par exemple, il n’est pas du tout atteint dans la majorité des pays. Le temps de doublement, c’est-à-dire celui qu’il faut pour que le nombre de cas enregistrés à une date donnée soit multiplié par deux, est en dessous de 20 jours dans beaucoup de pays. La moyenne africaine est aujourd’hui d’une douzaine de jours. Ce qui est préoccupant puisque le pic se rapproche quand la vitesse de propagation de la maladie diminue.
En outre, le R0 (le taux de reproduction effectif du virus, à savoir le nombre de personnes susceptibles d’être contaminées par une personne infectée, NDLR) est supérieur à 1 dans la majorité des pays du continent. Malheureusement, il est impossible de dire quand ces pics seront atteints au vu des capacités actuelles de détection de la maladie.
Quelle est la position de l’OMS sur la chloroquine qui, combinée avec un antibiotique, semble soigner en Afrique mais qui, ailleurs, n’a pas convaincu ?
Pour des questions aussi délicates, l’OMS a recours à un panel d’experts. Dans le cas de la chloroquine, sur la base des données disponibles, le comité a conclu que la molécule n’avait pas un impact sur la réduction de la mortalité.
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Nous espérons de ces pays africains qu’ils puissent documenter l’utilisation qu’ils font de la chloroquine pour apporter des preuves contraires. Il est possible que dans un contexte différent, les résultats soient autres. Encore une fois, les études effectuées dans le monde dans le cadre de l’essai Solidarity (encadré par l’OMS, NDLR) ont montré un impact limité de la chloroquine en termes de réduction de la mortalité.
Aucun pays africain n’a finalement participé à l’essai Solidarité pour lequel l’Afrique du Sud (qui teste actuellement un vaccin prometteur pour le Covid-19), et le Sénégal (qui a testé la chloroquine), étaient partants…
- Cela montre la difficulté que l’on a à faire de la recherche sur notre continent.
Cela montre la difficulté que l’on a à faire de la recherche sur notre continent. Ces pays, bien que volontaires, n’ont pas pu aller au bout du processus d’approbation exigé par l’OMS à temps. Quand ils y arrivent finalement, il y a très peu de malades et les études dans d’autres pays montrent des résultats limités, de quoi décourager certains.
C’est pourquoi nous recommandons aux pays de travailler en avance pour mettre en place ces comités d’éthique et ces comités scientifiques de telle sorte qu’il y ait une délibération plus rapide si l’occasion se présente. S’aligner sur les standards internationaux pour pouvoir faire de la recherche constitue un vrai problème en Afrique.
Vous expliquiez que nous devrions vivre avec le Covid-19. Le vaccin apparaît comme le seul moyen efficace pour s’en prémunir. Pourquoi ?
Partout dans le monde, notamment en Europe, il y a un effet yo-yo : l’épidémie est contrôlée mais de nouveaux foyers apparaissent. Avec l’hiver qui revient dans quelques mois, il pourrait y avoir une deuxième flambée selon les experts européens de santé publique. Au vu des observations et des données disponibles, le vaccin pourrait faire la différence en termes de prévention et de contrôle.
Les délais de développement semblent très rapides : plusieurs annonces ont été faites et des essais sont en cours. Ce qui peut soulever des préoccupations quant à l’efficacité des vaccins qui seront proposés…
Le processus reste le même. Le développement d’un vaccin demande d’énormes ressources financières. Quand elles sont disponibles, et c’est ce qui fait la différence, la mise au point est plus rapide. La facilitation des échanges entre équipes scientifiques permet également de raccourcir les délais.
Tout comme les phases d’expérimentation réalisées à grande échelle qui permettent de collecter des données significatives pour aboutir à des conclusions fiables. On peut faire des essais dans plusieurs endroits de façon simultanée. Ce fut le cas de la maladie à virus Ebola : plus de 300 000 personnes ont été vaccinées en deux ans quand la mobilisation s’est accrue en Europe et aux Etats-Unis pour trouver un vaccin. Plus on met des moyens, plus on peut accélérer le processus pour trouver un vaccin et faire des essais en un temps record.
C’est d’ailleurs pour cela que l’OMS, avec certains partenaires, créent des coalitions pour que davantage de ressources soient disponibles et pour que, la phase suivante – la production quand les essais sont concluants –, puisse se dérouler à grande échelle afin que le vaccin soit également à la portée des Etats les moins nantis.
Source : franceinfo