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Grand-Bassam : 60 ans après, pourquoi la ville est confrontée au spectre des inondations ?

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L'avancée de mer de Grand Bassam, un danger pour les populations rivéraines.../Ph Credo

Grand-Bassam, à l’instar de nombreuses villes de la Côte d’Ivoire, n’échappe pas au phénomène des inondations qui frappe de plus en plus le pays chaque année. Depuis quatre ans d’affilée, la commune de Grand-Bassam ploie sous les eaux pendant la grande saison des pluies. L’embouchure qui est obstruée depuis plusieurs années est accusée d’être à la base de cet incident. Incursion dans un univers humain et halieutique pour découvrir les vraies raisons de cette inondation et ses conséquences sur les populations et le milieu aquatique. 

Les inondations à Grand-Bassam ne sont pas un phénomène récent. Selon plusieurs personnes rencontrées dans cette ville dont M. Abrima Kouamé Louis, un octogénaire, « la ville de Grand-Bassam a été victime d’une grande inondation dans les années 1960. Ce sont les quartiers France, Petit-Paris et Moossou qui ont été fortement touchés par cette inondation. Au quartier France, les eaux de la lagune Ouladine (lagune traversant la ville de Grand-Bassam) qui avaient débordées de leur lit, avaient envahi le quartier et s’étendaient même après le marché (espace de l’actuel centre culturel Jean-Baptiste Mockey) ».

Cette inondation que la ville n’avait jamais connue a détruit de nombreux biens matériels et des maisons, en témoigne Ahoulou Dadiè, un septuagénaire. De nombreuses personnes se sont retrouvées sans maisons, suite à cet incident qui a traumatisé les riverains. Les autorités dans le but de soutenir les populations du quartier France et tous les riverains impactés par cette inondation leur ont offert des terrains dans les quartiers Impérial et Mockeyville. « C’est ce fait qui est à la base de la création de Mockeyville, de ‘’Nouveau quartier’’ à l’Impérial », renchérit Ahoulou Dadiè. Non sans manquer de faire remarquer que malheureusement, certaines personnes ont préféré vendre les lots qui leur ont été attribués pour retourner vivre dans des maisons de fortune au quartier France.

Les raisons de l’inondation

Cette obstruction de l’embouchure a inéluctablement provoqué l’inondation de Moossou, de Petit-Paris et du quartier France qui est une presqu’île comprise entre la mer et la lagune Ouladine

Les versions divergent sur l’origine de cette inondation sans précédent. Pour Guan Kpélé Patrice, 2è notable du village d’Azuretti, (un village N’Zima situé à proximité de Grand-Bassam) cette inondation est une conséquence de l’ouverture du canal de Vridi. Car selon lui, c’est après l’ouverture du canal de Vridi en 1955 que les vagues de la mer dans leur fureur ont « transporté des tourbillons de sable » vers les côtes bassamoises et cela a bouché l’embouchure. Cette obstruction de l’embouchure a inéluctablement provoqué l’inondation de Moossou, de Petit-Paris et du quartier France qui est une presqu’île comprise entre la mer et la lagune Ouladine.

L’octogénaire Abrima Kouamé Louis ne conteste pas le fait que c’est l’obstruction de l’embouchure qui a provoqué cette situation déplorable. Mais contrairement à Guan Kpélé Patrice, il accuse le courant des eaux venant du Volta Noir pour se déverser dans la Comoé qui est rattachée à la lagune Ebrié et à Ouladine d’être à la base de cette inondation. Selon lui, la fermeture de l’embouchure est certainement la conséquence d’un tsunamite qui a soufflé sur les côtes orientales pour terminer sa course sur le littoral. Face à cette situation, la lagune Ouladine sous la pression des eaux de la Comoé n’avaient qu’une seule solution : se déverser sur la terre pleine, d’où l’inondation des quartiers situés à proximité de la lagune.   

Après cette grande inondation qui a provoqué le déplacement de certaines populations vers d’autres quartiers, la ville de Grand-Bassam n’a plus connu d’inondations véritables jusqu’à ces quatre dernières années, indique Abrima Kouamé Louis. Selon lui, la sécheresse qui frappait le Burkina-Faso et aussi le fait qu’en amont, il y a eu la construction des barrages sur la Comoé, sont autant de raisons qui ont réduit la ‘’puissance’’ du courant des eaux qui se déversaient dans la lagune Ouladine de sorte que de tels dégâts ne se sont plus répétés dans la ville de Grand-Bassam. Vers les années 1990, les autorités municipales ont tenté tant bien que mal d’ouvrir l’embouchure, mais elles n’ont pas réussi à le faire.

L’octogénaire Kouamé Louis raconte les faits…

Elles le faisaient de manière artisanale avec des machines qui venaient juste dégager le sable afin de permettre le passage de l’eau. Et cela ne durait pas et l’embouchure se refermait à nouveau. Malgré cela, il n’y avait pas d’incidents majeurs, rassure Abrima Kouamé Louis. Chaque année pendant la grande saison des pluies, la lagune Ouladine déborde légèrement de son lit sans que cela n’inquiète quelqu’un. « Mais, il y a trois ou quatre ans de cela que Grand-Bassam, particulièrement, le quartier France et certains quartiers d’Abidjan comme Locodjro, Blaukhauss et M’Pouto ont été inondés lors de la grande saison des pluies.  Je pense que c’est ce qui a poussé le gouvernement à entamer les travaux de construction de l’embouchure de Grand-Bassam », a indiqué l’octogénaire.

Mais, il y a trois ou quatre ans de cela que Grand-Bassam

Grand-Bassam à nouveau sous les eaux     

Même s’ils n’ont pas vécu le même calvaire que leurs grands-parents ont connu dans les années 1960, les populations des quartiers France et Petit-Paris surtout, font pitié pendant la saison des pluies. Selon Abrima Kouamé Louis, beaucoup d’entre eux, abandonnent leurs maisons pour élire domicile dans la cour de la paroisse Cœur Immaculée de Marie de l’Impérial. D’autres trouvent momentanément refuge chez un parent ou un ami au quartier Impérial ou dans d’autres quartiers, tandis que certains fonctionnaires ou autres travailleurs regagnent leurs familles à Abidjan ou dans d’autres villes en attendant que les eaux se retirent de leur maison. C’est le cas de Kuyo Elise, une fonctionnaire venue exercer à Grand-Bassam. Rencontrée le 12 juin 2022 à Grand-Bassam, elle raconte sa mésaventure. « L’an passé, j’habitais le quartier France. C’était en fin mai.

Quand la saison des pluies a commencé, j’ai vu que la cour a commencé à être inondée un peu un peu. Je ne me souciais de rien puisque personne dans la cour ne voyait pas ça comme une menace. Mais quand nous sommes rentrés dans le mois de juin et que la pluie était devenue plus dense, la cour, tout le quartier était inondé. L’eau est rentrée dans ma chambre, mes affaires étaient mouillées. J’ai même perdu des documents importants, mes pagnes baoulés ont été déteints. J’ai vu que l’eau était arrivée au niveau des prises électriques et ne pouvant pas dormir dans la chambre, j’ai pris quelques affaires, j’ai suivi des amis. Nous sommes montés dans une pirogue pour nous rendre du quartier France à Petit-France vers le stade municipal. C’est arrivé à ce niveau que nous sommes descendus pour nous rendre à la gare sous une pluie battante ».

Le même jour, Kuyo Elise a regagné sa famille à Aboisso. Retournée une semaine plus tard à Bassam, elle a dû séjourner chez une amie jusqu’à ce la Société Générale des Travaux du Maroc (SGTM), la société chargée de construire l’embouchure de Grand-Bassam décide d’évacuer vers la lagune, les eaux de ruissellement qui stagnaient dans les quartiers vers la lagune. C’est après cela que les quartiers de la ville ont été libérés des eaux et que les habitants ont pu regagner leurs domiciles et que la vie a commencé à reprendre son cours normal.

Les conséquences dans le milieu écologique

La fermeture de l’embouchure n’a pas seulement des conséquences sur le plan humanitaire. Le fait que la lagune et la mer ne se rencontrent pas entraîne un déséquilibre dans le système de vie et de reproduction des animaux aquatiques.

Selon les spécialistes de la pêche, ce fait est à la base de l’appauvrissement des lagunes aux environs de Grand-Bassam en matière de variétés de poissons. Avant dans la lagune, il y avait des carpes rouges, des brochets, la raie, les carangues, les mâchoirons, les capitaines, les petits requins, etc. Mais maintenant, cette variété de poissons est devenue rare dans la lagune. Pour en trouver, il faut aller dans les eaux de Gbamelé, (un autre village de pêcheur situé dans la commune de Grand-Bassam), précisent-ils. Avant d’indiquer que l’eau des lagunes est d’une importance vitale pour les alevins car, pour se développer, tout alevin ‘’se réfugie ‘’ dans les mangroves. C’est après s’être développé, que le poisson quitte les mangroves pour rejoindre la mer ou rester dans la lagune. Or, actuellement, dans l’impossibilité de se rendre dans la lagune, donc dans les mangroves, différentes qualités de ces alevins qui sont exposées à tout prédateur, sont en train de disparaître des lagunes.

La présence des ‘’salades d’eau douces ‘’ dans la lagune est aussi à la base de la réduction de la qualité des poissons dans la lagune, indiquent nos interlocuteurs.  Qui précisent que certains poissons n’aiment pas l’odeur de ces végétaux aquatiques, ce qui les contraint à fuir loin des eaux de lagune. Aussi le fait d’être contraint à vivre seulement dans la mer ou la lagune, les poissons s’accouplent à leurs semblables de ces eaux.

La présence des ‘’salades d’eau douces ‘’ dans la lagune est aussi à la base de la réduction de la qualité des poissons dans la lagune

De ces accouplements naissent des poissons n’ayant pas les mêmes formes que leurs ‘’géniteurs’’. Ainsi, le poisson dénommé ‘’Capitaine’’ de mer qui est naturellement trapu est devenu effilé. Le carpe rouge a lui aussi perdu sa forme d’antan. Les crabes de mer qui sont de plus en plus pêchés dans les lagunes sont plus petites que ceux pêchés dans la mer.  

Il faut signaler qu’aujourd’hui les mangroves sont menacées parce que certains pêcheurs véreux les détruisent et utilisent leurs constituants afin d’en faire des pièges pour attraper les alevins et les poissons. Cette pratique risque, de nuire la reproduction des poissons. Cette situation inquiète fortement les riverains et même des pêcheurs, surtout que la lagune s’est appauvrie de ses êtres halieutiques. Pour les riverains, ce fait est à la base de la cherté des poissons ou crabes et autres produits halieutiques vendus sur le marché bassamois et ailleurs.       

En Côte d’Ivoire, en attendant que le ministère de l’Agriculture et des affaires Halieutiques trouve des solutions pour freiner la destruction des mangroves, les populations de Grand-Bassam prient pour que les travaux de l’embouchure prennent vite fin. Car, la fin des travaux de ce nouveau canal mettra non seulement fin à l’inondation dans leur ville, mais cela permettra à la mer et à la lagune d’être à nouveau riches en poissons et en ressources halieutiques. Par ricochet, cela occasionnera certainement la chute des prix des produits halieutiques sur le marché, estime-t-on.

 Ahoussi Aka

3 questions à …

Dans cet entretien, Dr Doba Soro, socio-anthropologue à l’université de Man, Spécialiste des questions d’Eau, décrit l’impact des inondations sur les populations et les animaux aquatiques. Il ne manque pas de tirer la sonnette d’alarme sur la probable disparition des presqu’îles, si rien n’est fait par les gouvernants.

Dr Doba Soro : « La plupart des presqu’îles disparaîtront si… »

Prof Soro explique les conséquences des inondations/ph Credo

Selon vous, qu’est-ce-qui peut provoquer la fermeture de l’embouchure de Grand-Bassam ?

En ce qui concerne la fermeture de l’embouchure de Grand-Bassam, il faut noter que deux principaux points peuvent en être à la base. Le premier point c’est l’ensablement de l’embouchure. Quand il y a un ensablement, l’eau passe de plus en plus difficilement. Elle est obligée de s’étendre dans une certaine zone et en cas de fortes pluviométries. L’eau est obligée de se chercher de nouveaux horizons et de se trouver un certain nombre d’espaces. Cela peut facilement provoquer des inondations puisque ça vient vers la terre ferme. Donc, de plus en plus on va assister à l’érosion et à une occupation progressive des espaces qui sont la terre ferme et les presqu’îles. Donc la fermeture de l’embouchure est principalement causée par l’ensablement et le changement climatique qui causent une certaine érosion. Donc toutes ces terres se déversent dans l’eau et participent de plus en plus à boucher l’espace. Il y a aussi une cause lointaine.

La cause lointaine, elle date des années 1960 avec l’ouverture du canal de Vridi qui a rétrécit le passage de l’eau. Donc avec le phénomène du temps et l’ensablement de l’embouchure on va assister à un moment, à ces phénomènes d’inondation dans différentes villes surtout avec le changement climatique. Donc dans les années 1960, à Grand-Bassam on a assisté à une inondation qui était due à une catastrophe naturelle. Mais avec l’ouverture du canal de Vridi, le changement climatique et l’ensablement de l’embouchure, l’eau est de plus en plus obligée de se frayer un passage. C’est ce qui fait qu’on assiste à tous ces phénomènes aujourd’hui.

Quelles peuvent être les conséquences de l’ensablement de l’embouchure sur les populations et sur le plan écologique

Au niveau des populations, nous allons assister à des inondations et cela va créer le déplacement des populations. On remarquera qu’en saison pluvieuse comme cette période que nous traversons, il y a certains quartiers où les gens ne peuvent plus vivre dans la quiétude. Ils sont obligés de se déplacer pour aller habiter chez un parent, ou dans des endroits qu’on considère les plus protégés. Déjà au plan humain on assiste à ces déplacements qui modifient la situation et la vie quotidienne de ces populations parce qu’elles exerçaient des activités là où elles habitaient. Certains même vivaient dans leur propre maison. Donc cette atmosphère crée inéluctablement une modification de vie des populations. 

Au plan écologique, il faut noter qu’on va assister à une mutation de certaines espèces. Par exemple, quand il y a une modification des eaux et de tout ce qui est autour, les animaux vont muter. Les animaux qui avaient la possibilité de traverser la lagune pour se rendre à la mer ne peuvent plus le faire et sont obligés de rester encaserner à un certain niveau de l’eau et ne peuvent pas sortir. Ça va modifier leurs habitudes, leurs alimentations. Deuxièment, en termes de conséquences, il faut souligner l’action de l’homme sur la nature. Au bord des lagunes, il y avait des mangroves. Les mangroves disparaissent de plus en plus à cause des actions de l’homme. Et lorsqu’il y a embouchure l’eau déborde et l’eau cause la mort. L’eau cause des difficultés aux habitants.

Y-a-t-il des solutions au phénomène de l’ensablement de l’embouchure et des inondations ?

En termes de solutions, c’est mieux que la Côte d’Ivoire se penche de plus en plus sur la recherche en ce qui concerne les îles et les presqu’îles qui disparaissent. On constate du côté de Grand-Lahou l’ensablement de l’embouchure. Et de plus en plus l’ensablement des embouchures créé la disparition des presqu’îles. D’ici quelques années, si l’on n’y prend garde, la plupart des presqu’îles disparaîtront mais surtout, les eaux avanceront de plus en plus vers les populations.  

 Interview réalisée par Ahoussi Aka

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