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Côte d’Ivoire, excès, zèle, hérésies des communautés et fraternités nouvelles : un prêtre catholique interpelle le clergé

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Père Serge Faustin Yomi, prêtre ivoirien aux études en Allemagne/Ph DR

Serge-Faustin Kabapeu Yomi est prêtre du diocèse de Grand-Bassam et étudiant en Doctorat de Théologie dogmatique à l’Université Eberhard Karls de Tübingen (Allemagne). Dans cette contribution, il passe au scanner les communautés, fraternités nouvelles et groupes de prières dans l’Eglise catholiques qui constituent des viviers importants dans la nouvelle évangélisation. Cependant, il dénonce parfois leur zèle, hérésies, mauvaises interprétations de l’Ecriture, etc dans leur pastoral. Car, bien souvent, en déphasage avec les réalités de l’église aujourd’hui. Le clergé devra les accompagner. (1.Suite demain).

Pour celui qui fréquente les réseaux sociaux, il a pu certainement observer que les débats autour de l’attitude de certains Bergers, Modérateurs et responsables de groupes de prière sont les plus engagés. La tournure et le ton de certains propos laissent croire à tout esprit avisé et critique, qu’il y aurait un malaise longtemps couvé au sein de l’Eglise de Côte d’Ivoire et dans le cœur de bien de fidèles (Prêtres et Laïcs). Un malaise qui a fini par s’inviter subitement sur la place publique.

Nous avons assisté, quant à nous, aux débats un peu désabusé et choqué par la tournure des échanges et des réactions. Cette expérience nous a fait prendre conscience des divergences réelles qui existent dans l’Eglise Catholique en Côte d’Ivoire sur le sujet des communautés et fraternités nouvelles.

Le recul pris par rapport à tout ce que nous avons lu et entendu, nous oblige, aujourd’hui, à mener la présente réflexion. Nous partons de la conviction selon laquelle l’Eglise comme sacrement, c’est-à-dire signe et instrument de la communion avec Dieu et les hommes entre eux[1], ne peut se bâtir qu’ensemble, prêtres, laïcs et consacrés.  Et « être Eglise ensemble » invite à une vision dynamique du baptême et de l’être-chrétien et promeut une « Eglise en devenir »[2]. C’est pourquoi, tous les baptisés sont appelés, autant qu’ils sont, à être Eglise et à participer de façon responsable à leur mission[3].

Pour notre présente méditation, nous avons jugé utile de nous focaliser sur les « réalités nouvelles » que sont les communautés et fraternités nouvelles en vue de voir comment elles peuvent contribuer efficacement à ce « bâtir ensemble l’Eglise ».  

Nous relevons d’ores et déjà que notre intervention est une réflexion systématique sur des points que nous jugeons importants dans la dynamique de cette Eglise à bâtir ensemble. Pour ce faire, nous proposons l’articulation suivante. 

Premièrement, nous nous demanderons si l’on peut voir et comprendre dans la multiplicité des communautés et fraternités nouvelles ainsi que leurs modes d’expression et d’opération, une grâce de Dieu.

Deuxièmement, nous nous permettrons de répondre à la question suivante : Bergers et modérateurs auraient-ils sauvé l’Eglise du naufrage de l’exode massif ?

Troisièmement, nous reviendrons sur la nécessité de préserver l’identité catholique qui reste la question de fond qui a suscité tout le débat sur la toile.

Quatrièmement, nous aborderons la nécessité de l’Eglise et des sacrements. Cinquièmement, nous ferons comme une petite mise au point groupée.

  1. Peut-on voir et comprendre dans la multiplicité des communautés et fraternités nouvelles ainsi que leurs modes d’expression et d’opération, une grâce de Dieu ?

Par le baptême, premier des sacrements et donc (la) porte d’accès à tous les autres sacrements, tout baptisé a reçu l’onction de l’Esprit. Cette onction de l’Esprit fait de lui, un lieu, le temple où le Père par son Fils et dans la force de l’Esprit Saint est, désormais, non seulement à l’œuvre, mais surtout déverse gratuitement ses grâces et ses dons. Parmi ces dons de Dieu, il y a les dons charismatiques, « dont le peuple de Dieu est enrichi en tout temps en vue de l’accomplissement de sa mission »[4] .

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Dans cette dynamique, de nombreux groupes issus des milieux charismatiques, après l’expérience de l’effusion de l’Esprit Saint en 1967 faite par un groupe d’étudiants catholiques à l’université de Duquesne à Pittsburg aux Etats unis[5], ont entrepris de poursuivre cette même expérience en communautés ou en fraternités certainement selon la grâce de l’Esprit.  Etant des « réalités récentes », l’Eglise les décrit comme des associations de fidèles, des mouvements ecclésiaux et de nouvelles communautés[6].  Elle affirme même que « leur forte capacité associative est un témoignage éloquent de la manière dont l’Eglise grandit non « par prosélytisme mais par attraction » »[7]

Le saint pape Jean Paul II reconnaîtra en eux une « réponse providentielle », « suscitée par le Saint Esprit ; ils répondent à la nécessité de communiquer de manière persuasive l’Evangile dans le monde, compte tenu des grands processus de mutations en cours au niveau planétaire, lesquelles sont souvent marquées par une culture fortement sécularisée »[8].  

De ce qui précède, nous pouvons donc affirmer que pour l’Eglise, ces communautés et fraternités nouvelles sont une grâce de Dieu qui veut enrichir son Eglise par un souffle nouveau de son Esprit. De sorte que, ce que Dieu donne et offre à l’intérieur de ces groupes devient une richesse commune pour l’ensemble de son Eglise, et surtout une richesse à laquelle tous et chacun ont droit d’(y) avoir part. C’est pourquoi l’Eglise recommande « leur pleine valorisation et insertion « dans les Eglises locales et les paroisses » en restant toujours en communion avec les Pasteurs et attentifs à leurs indications »[9].

A ce niveau de notre démarche nous voulons bien nous poser des questions : Quelle est la cohabitation réelle et profonde des communautés et fraternités nouvelles avec les Eglises locales et les paroisses ?

Leurs activités sont-elles inscrites dans une pastorale générale du diocèse ou de la paroisse ?

Existe-t-il un moyen d’évaluer la pertinence de ce qu’elles font et d’en juger l’impact au niveau pastoral ?

L’effervescence, voire l’euphorie autour d’elles et parfois les foules qu’elles drainent sont – elles des indicateurs objectivement vérifiables de la vitalité de l’Eglise ?

Comment saisir le signe ou la vérité de Dieu dans l’expression parfois confuse et déconcertante de ces « réalités récentes » ?

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Pour notre part, il revient à l’Eglise, aux évêques en premier et en second aux curés de paroisses dans lesquelles sont présentes et actives ces « réalités nouvelles » de réussir à leur offrir un cadre de structuration véritable et claire, qui ne soit  surtout pas un moyen d’éteindre leur particularité ou d’étouffer l’action de l’Esprit, mais mieux, le lieu où elles auraient non seulement l’ultime chance de fleurir et de porter des fruits durables, mais aussi et surtout de se considérer comme une entité à part entière de l’Eglise catholique qui, à partir de sa riche et sa longue expérience, les accueille, les accepte, les accompagne dans le respect de leur originalité et singularité, et qui, en retour, attendrait d’elles un comportement qui promeut et préserve l’identité de cette même Eglise. 

Ce cadre que nous appelons de tous nos vœux aura le mérite de les mettre à l’abri des excès, des zèles inutiles, des erreurs d’appréciations, des fautes répréhensibles, des hérésies et des interprétations tendancieuses de l’Ecriture à qui on fait parfois dire dans des gymnastiques de demi-savants des choses qu’elle n’a jamais voulu dire. A cet effet, il est bon de souligner qu’être de l’Eglise et dans l’Eglise, ce n’est pas profiter de l’Eglise pour se faire une place et une notoriété, mais c’est surtout confesser dans les faits et les dires la foi catholique. A ce titre, « toute réalité charismatique doit être un lieu d’éducation à la foi dans son intégralité, « en accueillant et proclamant la vérité sur le Christ, sur l’Eglise et sur l’homme, en conformité avec l’enseignement de l’Eglise, qui l’interprète de façon authentique » ; il faudra donc éviter de s’aventurer « au-delà (proagon) de la doctrine et de la communauté ecclésiale »[10].

Ce cadre offrirait aussi la possibilité à toutes ces communautés et fraternités nouvelles de développer une spiritualité qui aiderait l’homme à prendre ses responsabilités, le mettrait au travail, l’amènerait à être un homme qui s’engage et s’investit là où le destin des hommes et de la société se joue, et non un homme qui passerait le clair de son temps à lever les mains au ciel au lieu d’élever son cœur (sursum corda) en attendant que Dieu fasse tout pour lui et à sa place.

Ce cadre serait enfin ce qui permettrait d’une manière ou d’une autre d’institutionnaliser les charismes dont sont porteuses ces « réalités récentes » pour espérer leur trouver une cohérence et une continuité[11].

  1. Bergers et modérateurs auraient-ils sauvé l’Eglise du naufrage de l’exode massif des fidèles ?

Nous voulons, ici et maintenant, saluer le travail remarquable des Communautés, Fraternités et Groupes de prières en Côte d’Ivoire, qui dans l’esprit de l’Eglise, acceptent de se laisser conseiller, accompagner et interpeller également. Nous saluons ici leur désir de vivre en lien avec les évêques et d’apporter leur contribution dans le vaste champ de l’évangélisation en terre d’Ivoire.

Pour donner un cadre d’expression à toutes ces Communautés nouvelles et Fraternités avec l’Eglise, la Conférence des Evêques Catholiques de Côte d’Ivoire (CECCI) a mis sur pieds une commission épiscopale, dirigée par Mgr Boniface Ziri, évêque d’Abengourou. A côté de cette initiative, au niveau national, certains diocèses comme Yopougon et Grand-Bassam ainsi que l’Archidiocèse d’Abidjan, où ces Communautés et Fraternités existent de plus en plus, ont nommé des prêtres qui se chargent de les organiser et de les accompagner.

Ce long travail de patience a permis en 2013 la reconnaissance diocésaine de la première Communauté nouvelle ivoirienne, la Communauté Mère du Divin Amour dans l’Archidiocèse d’Abidjan, et celle de la Communauté des enfants de Padré Pio dans l’Archidiocèse de Korhogho en 2014. Des ‘‘ministères’’ ou mieux des services conduits par certains Modérateurs et Bergers sont exercés sous l’œil vigilant de certains clercs mandatés par l’ordinaire du lieu. Deux modérateurs, l’un d’une communauté et l’autre d’une fraternité ont été ordonnés diacres permanents. Il s’agit de David Pio de la communauté des enfants de Padre Pio dans l’Archidiocèse de Korhogo et Honoré Akpovi de la fraternité Cœur Compassion au compte du diocèse de Daloa.

Tout ceci montre que l’Eglise est reconnaissante de leur engagement dans la vigne du Seigneur.  Peut-on de là déduire sans tomber dans l’hérésie qu’ils auraient sauvé l’Eglise d’un quelconque naufrage de l’exode massif des fidèles ?

Nous voulons avant de répondre à cette question ouvrir un peu plus notre horizon sur le travail dans la vigne du Seigneur.

C’est pourquoi, nous saluons avec un profond respect tous ces valeureux catéchistes qui, sans salaire, sans offrandes et dîmes, dans des conditions difficiles et parfois hostiles, risquent leurs vies pour réussir à maintenir les communautés dans la foi et la fidélité à l’Eglise, et se battent pour que l’Evangile parvienne aussi aux fins fonds du pays.

Nous saluons également tous ces braves animateurs et animatrices de la catéchèse qui, sans revenus, trouvent le temps au nom de leur baptême et de leur confirmation, pour transmettre gratuitement aux autres les fondamentaux de la foi.

Nous saluons toutes ces communautés qui, prient dans le secret, loin des tapages médiatiques, pour que l’Eglise réponde toujours à sa vocation et que Dieu lui donne des vocations, mais de saintes vocations.

Nous louons le courage et l’abnégation de tous ces prêtres en milieu rural qui, sans moyen de déplacement et pour parfois quatre fidèles, prennent le risque de braver l’état de nos routes pour qu’ils aient accès à l’Eucharistie.

Ce serait pour nous un péché de lèse-majesté que d’ignorer les efforts de toutes ces personnes qui travaillent loin des caméras, mais efficacement pour que le Royaume, lentement, mais sûrement, avance dans le cœur et la vie des hommes qui s’ouvrent à l’Evangile et à Jésus Christ. Ne pas mentionner tous ces agents pastoraux, toutes ces religieuses et religieux qui travaillent d’arrache-pied pour faire connaître Jésus le Sauveur, c’est cautionner l’inadmissible qui consiste à faire croire et à penser que l’Eglise se limite au plateau d’Abidjan avec toutes ces nombreuses veillées qui donnent parfois l’impression d’une « foire commerciale religieuse » à peine déguisée. 

Ceci dit, nous voulons faire savoir que personne ne sauve l’Eglise et personne ne saurait sauver l’Eglise de quoi que ce soit. C’est Dieu seul qui sauve son Eglise. C’est Dieu par Jésus Christ et dans la force de l’Esprit Saint qui suscite des vocations, donne des charismes et inspire le réveil dans l’Eglise. Et l’Eglise à son tour, docile à la voix de Dieu, s’ouvre au vent de l’Esprit en accueillant tous les dons et les charismes que Dieu répand en son sein.  Dans cette même ligne, la Congrégation pour la doctrine de la foi affirme ce qui suit : « L’Eglise rajeunit par la puissance de l’Evangile, et l’Esprit la renouvelle sans cesse, en l’édifiant et en la guidant »[12].

  • Préserver l’identité Catholique

L’Esprit Saint, comme puissance de Dieu, vient sur nous, nous rejoints profondément, afin de nous transformer de l’intérieur en faisant de nous des êtres pneumatisés, remplis et transformés radicalement par lui ; et cela par l’effusion de l’Esprit[13].

Quand on a vécu une telle expérience transformatrice, on devient témoin du Christ dans l’Eglise, par l’Eglise et au nom de l’Eglise. Ce qui veut dire que l’Esprit reçu nous donne davantage la grâce de nous sentir membres de l’Eglise et de l’aimer au point de sauvegarder son identité.

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L’identité est ce qui manifeste la réalité intrinsèque d’une chose, d’une réalité et d’une personne, et surtout, ce qui révèle son origine. Comme telle, l’identité personnalise et singularise par rapport à l’autre qui n’est pas moi et qui ne saurait en aucun moment être moi. Elle pose sans équivoque et clairement ce qui fait qu’une chose est unique et différente des autres. Et cette distinction est plus que nécessaire pour non seulement éviter l’amalgame et la confusion, mais aussi et surtout pour réussir avec justesse la possibilité de l’unité.

L’exemple en la matière est la Sainte Trinité. Les personnes qui la composent sont une et indivisibles, mais jamais confondues. De fait, le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père et l’Esprit n’est pas non plus ni le Père ni le Fils. Elles sont unies, mais distinctes. Ce n’est pas le Père qui s’est incarné, mais le Fils, le Logos divin.

La quête de son identité est ce qui permet de regarder en soi, de son côté et chez soi pour voir qui on est, qu’est-ce qu’on a que les autres n’ont pas, qui nous caractérise et nous identifie.

Une application de cette compréhension de l’identité au thème que nous traitons donne ce qui suit : Nous sommes certes chrétiens, mais nous le sommes par, à travers, et grâce à une communauté dans laquelle nous avons été reçus, baptisés. Et cette communauté, pour ce qui nous concerne, c’est bien la sainte Eglise Catholique. C’est elle en tant que mère qui nous aide à connaître le Christ, à l’aimer, à le suivre et à vivre de sa vie. Elle nous conseille et nous oriente pour réussir notre être-chrétien dans ce monde et face aux autres. Être catholique est une affirmation de soi qui permet dès le début d’établir à quelle forme d’expression du Christianisme l’on appartient ; car il n’y a pas qu’un christianisme, mais des christianismes (Catholique, Orthodoxe, Protestant, Evangélique, Pentecôtiste…). Et donc face à tous ces christianismes, il ne faut jamais perdre ce qu’on est, c’est-à-dire, son identité, CATHOLIQUE. Car c’est bien conscient, convaincu et fier de cette identité de catholique qu’on peut aller à la rencontre de l’autre.

  • Titre et chapô sont de la rédaction

[1] Cf. Die deutschen Bischöfe, „ Gemainsam Kirche sein“, Nr. 100, August 2015, p.7

[2] Cf. Ibidem

[3] Cf. Ibid, p.13

[4] Congrégation pour la doctrine de la foi, lettre « Iuvenescit Ecclesia » (l’Eglise rajeunit), mai 2016, N°1( www.vatican.va visité le 10 mai 2016)

[5] Patti Gallagher Mansfield, Comme une nouvelle Pentecôte, Pneumathèque, Paris ,2016, p.21-26

[6] Op,cit, N°2

[7] Ibidem

[8] Ibidem

[9] Ibidem

[10] Op, cit. N°18

[11] Cf. Op, Cit. N°10

[12] Congrégation pour la doctrine de la foi, op. cit, N° 1

[13] Cf. Van der Leeuw, Phänomelogie der Religion, J.C.B.Mohr (Paul Siebeck), 2è Ed., Tübingen, 1956, P. 17

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