Il y a 3 ans que décédait tragiquement père Ibo Goa Jean Maurice, prédicateur hors-pair et prêtre de l’archidiocèse d’Abidjan. Son village Domolon-Oghlwapo, situé dans le département d’Alépé, est encore consterné par sa disparition brutale. Ses œuvres de solidarité, d’unité, de cohésion l’immortalisent… malgré le temps écoulé.
9h 25 mn. Domolon, ce jeudi 16 juillet 2020. Sous un ciel nuageux. Cela présage l’arrivée imminente d’une pluie torrentielle. Le village est entièrement calme et paisible. Apparemment, comme à l’accoutumée, certains villageois sont allés tôt le matin pour leurs activités champêtres. Des jeunes sont à Montézo, un autre village pas trop loin, pour vaquer à des activités génératrices de revenus. A l’entrée du village, une femme assise dans son magasin vend des articles divers. Sur le même alignement, foulant les mesures barrières du Covid-19, un groupe de jeunes assis dans un petit bistrot autour d’une petite bouteille de liqueur échange joyeusement en langue Gwa.
- Signe annonciateur de celui, qui dans ses prédications, répétait sans cesse et avec conviction : « Le jour, je mourrai, tout le pays tremblerait ! »
Nous sommes conduits au domicile familial du père Ibo Goa Maurice. Celui qui, il y a 3 ans, précisément, le 30 mars 2017, a été tragiquement tué dans un accident de la circulation. Un soir noir ! Un soir de deuil ! Où tout Domolon, avec des tornades et des pluies diluviennes tombèrent sur le village. Signe annonciateur de celui, qui dans ses prédications répétait sans cesse et avec conviction : « Le jour, je mourrai, tout le pays tremblerait ! ». La pluie est fortement tombée cette nuit-là dans ce village. Avec d’importants dégâts. Une pluie de deuil. Sa sœur aînée Agnès Api Goa a vécu dans la peur de cette nuit terrifiante et mourante, ce que son frère prêtre avait prédit. Sa mort.
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De la génération Gnondon… son substitut ?
Le père Ibo Goa fut un homme populaire voire charismatique. Ses œuvres sont empreintes d’humanisme et d’actions sociales à l’égard des villageois « Le père Ibo Goa est un homme qui a une grande bonté de cœur marquée par les nombreux dons qu’il a fait régulièrement aux orphelins du village. Il ne manquait surtout pas de prier pour les malades. Personne dans ce village ne peut porter des préjugés négatifs sur sa personne », témoigne Michel Allou, habitant de Domolon.
Les autorités villageoises et personnes du 3e âge de Domolon rendent également des témoignages édifiants sur le serviteur de Dieu. Ils ont été témoins de sa présence, de sa disponibilité et de sa sollicitude paternelle et constante quand il vient au village. «L’abbé Ibo est un fils du village très différent des autres. Il a des vertus particulières très appréciées dans le village. Il a toujours répondu présent à toutes nos sollicitations et lorsqu’il arrive dans le village, il nous rend tous visite, en passant de famille en famille », confie N’Cho Gnondji Baudelaire, ex chef de village de Domolon. Attaché à sa foi catholique, bien qu’il soit d’une grande spiritualité, il savait distinguer la culture africaine et au catholicisme.
- Il a partagé l’amour de son cœur à tout le monde et personne dans ce village ne peut rendre un faux témoignage le concernant. Il fait partie de ma génération qui est« Gnondon »…
D’ailleurs, il était de la génération Gnondon. Il ne s’en offusquait guère de faire partie de cette tradition du peuple Gwa. « Il a partagé l’amour de son cœur à tout le monde et personne dans ce village ne peut rendre un faux témoignage le concernant. Il fait partie de ma génération qui est « Gnondon » et dans quelques mois, c’est le Fakué pour notre génération. Nous n’avons pas encore son substitut pour jouer son rôle. Sa place demeure encore vacante », regrette l’ex chef de village de Domolon.
Les membres de sa famille ont bénéficié de la générosité de leur fils prêtre. Les conseils et autres dispositions utiles, il les a donnés dans la sagesse. « Ibo Goa est un homme gentil que j’ai particulièrement apprécié. Dès qu’il arrive dans ce village, il accueille beaucoup de visiteurs à la maison avec qui, il s’entretient. On ne peut dire de mal à son sujet dans le village pour tout ce qu’il a fait de bon», reconnait Goa Catherine, sœur aînée du père Ibo.
Quant à sa petite fille Juliana Obo Abi, elle regrette la disparition de cette personnalité, qui incarnait la cohésion, l’unité et le développement du village. « C’est un plaisir pour moi de savoir qu’une telle personnalité est de ce village et surtout de ma famille. Il a donné de la joie et a donné son amour a tous les villageois à travers des dons de médicaments aux malades et des vivres à ceux qui le sollicitaient », a partagé Obo Abi Juliana.
Un prêtre médiateur, réconciliateur
Il est indéniable que c’est une personne appréciée de tous dans le village pour sa générosité légendaire. Il s’est fait aussi distinguer par les rassemblements de toutes les couches sociales surtout des jeunes à travers l’organisation de tournois de football. L’animation du village pendant les grandes vacances est à mettre à son actif. Il rassemblait enfants et jeunes autour du ballon rond. Sans oublier que lui-même était un passionné du football.
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« L’abbé Ibo est un rassembleur et un passionné du football. Il rassemblait le village surtout les jeunes à travers les tournois de football qu’il organisait pendant les grandes vacances, le 15 août lors des fêtes de retrouvailles. Il aimait animer le village pendant les vacances », se souvient Edmond Don Assué.
- Le village et les jeunes doivent leur salut au père grâce à sa médiation et pour avoir ramené la quiétude», explique un de ses neveux Assué Edmond.
Concernant les conflits entre les deux villages Domolon et Dabré, il est intervenu en médiateur, en apaisant les cœurs et a abouti à la réconciliation des deux commuanutés Gwa. « Pendant la crise post-électorale de 2010, le village a subi les agressions des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Les jeunes qui ont payé le lourd tribut. Ils ont tous fui le village pour trouver refuge dans la brousse lointaine, où ils étaient contraints de passer la nuit. Le village et les jeunes doivent leur salut au père grâce à sa médiation et pour avoir ramené la quiétude», explique un de ses neveux Assué Edmond.
Le baobab est tombé !
L’annonce de la mort du père, en mars 2017, a été un coup de massue pour tout le village. C’est un évènement auquel personne ne s’y attendait. Consternation, tristesse, regrets se sont emparés des fils et filles du village, au point de créer 3 ans après, un vide total de sa personne. Pour la plupart, la disparition de ce cadre et prêtre du village laisse de réels stigmates dans la mémoire de la communauté Gwa. « Lorsqu’on nous a annoncés la mort du l’abbé Ibo Goa Jean Maurice, j’étais entièrement abattu. J’ai réalisé à l’instant qu’on a perdu un cadre, notre grand baobab est tombé », déplore Allou Guy, un autre résident du village.
Cette mort cause un grand vide dans le village en général et en particulier dans sa famille. C’est une perte énorme pour le village Domolon-Oghlwapo et pour le peuple Gwa de la région. D’ailleurs, le domicile familial respire et vit encore le deuil. Sa photo en soutane postée dans le fond de la pièce attenante, avec le regard fixe et direct en dit long. L’ambiance qui s’était installée, lorsqu’il quittait à Abidjan pour Domolon, n’est plus la même. Elle est fade, morose.
« A l’étranger, le nom du père est une clé pour nous, car dès que vous prononcez son nom, on vous réserve un très bon accueil », révèle Assué Don Edmond. Il y a deux semaines, ses filleuls prêtres de la promotion Jean Marie Vianney ont organisé une messe suivie d’un pèlerinage sur sa tombe. Selon Assué Don, les chrétiens effectuent quelquefois des pèlerinages sur sa tombe. « Même s’il n’est plus, avec nous, je sens toujours sa présence. Pour moi, le Père Ibo Goa est encore vivant », s’est-il convaincu.
Envoyé spécial à Domolon-Oghlwapo
Jacques Sibah (Stg)