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Pratiques mortuaires : Dans le secret des laveuses de veuves et veufs

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Thérèse Ekou Amani est laveuse professionnelle depuis des années à Yopougon/Ph Credo

Les laveuses professionnelles de veuves sont très sollicitées dans le district d’Abidjan et d’autres villes du pays pour ce rituel africain. Cette pratique se fait surtout, après la mort de l’époux de la femme mariée ou non. Leur rôle, « laver ou chasser » l’esprit de mort, qui pourrait s’emparer de son épouse. 

Ekou Amani Thérèse, septuagénaire, chrétienne catholique vit dans la commune de Yopougon. Elle a appris ce métier de laveuse professionnelle de femmes, après le décès de son époux. Cette dernière était presque dans l’incapacité physique de faire ce rituel. Avant sa mort, elle lui montrait des feuilles de ce rituel.

Décédée en 2007, Ekou Thérèse est devenue la spécialiste de laveuse de veuves et veufs à Abidjan et villes du pays. « Ce métier provient de ma grand-mère, qui faisait ce travail. Prenant de l’âge, elle ne pouvait plus faire ce rituel de laveuse de femmes après le décès de son époux. Quand les gens viennent la voir, elle leur dit : « dirigez-vous vers ma fille ». C’est à partir de là que j’ai commencé le travail jusqu’à ce qu’elle meurt, en 2007 »,  nous confie Ekou Amani, à Yopougon.

Pour dame Ekou, les secrets sont dans l’utilisation des feuilles qu’elle prend tous les jours…

Comme toute femme, il y a toujours des secrets enfouis. Pour dame Ekou, les secrets sont dans l’utilisation des feuilles qu’elle utilise tous les jours, sous les conseils de sa grand-mère. Comme elle, il y a des femmes qui exercent ce métier avec passion. C’est le cas de Kpakpé N’Drin Fatou. Elle est aussi une laveuse professionnelle de veuves depuis sa tendre jeunesse.

Elle réside à Port- Bouët avec son époux. Sollicitée constamment dans le quartier et ailleurs pour les soins africains. « C’est ma grand-mère qui m’a léguée des médicaments dont j’ignore les noms. Je faisais d’autres soins, c’est-à-dire soigner le palu, des problèmes de femmes.

Pendant mon sommeil, j’ai fait un songe dans lequel ma mère m’a posé la question : « Ne vas-tu pas faire mes médicaments ? ». Si une personne meurt, que tu viens me dire de faire les médicaments pour toi, à vrai dire, je ne saurais rien. Mais une fois, je pars dormir, en songe, ma mère me révèle la nature de ces médicaments », révèle-t-elle.

Au pays Attié (Alepé), Cho Elisabeth fait depuis de longues années ce métier de laveuse. Mais dans cette région, le veuvage est encore très complexe pour celles qui perdent leurs époux. Juste après l’inhumation du défunt, automatiquement, la veuve débute son veuvage dans une maison close, pendant une semaine.

Dès l’enterrement de son mari, la veuve débute son veuvage dans une maison close. Elle y est pendant toute la semaine, sans sortir

Une veuve se prénommant Agnès à Abidjan/Ph Credo

« Dès l’enterrement de son mari, la veuve débute son veuvage dans une maison close. Elle y est pendant toute la semaine, sans sortir. La tête couverte de pagne, elle ne doit regarder que devant elle. Une fois qu’elle jette le regard de part et d’autres, elle aperçoit le défunt mari. Ce qui d’ailleurs, porte malheur à la femme », explique Cho Elisabeth.

Ce qui se différencie des autres en pays Attié. « Entre 2h et 3h du matin, la veuve est réveillée, se lève et part se laver avec la tête toujours baissée. Les habits portés ne sont ni changés y compris les dessous intimes pendant la semaine. Pendant qu’elle y est, elle doit éviter les bavardages inutiles, moqueries et les sorties. Une fois la semaine écoulée, la laveuse lui remet un morceau de tissu blanc, signe que le veuvage vient de prendre fin. Mais elle doit continuer le veuvage, en raison des mois décidés, soit 6 mois voire 1 an », raconte-t-elle, avec un air sérieux.

Rituels du veuvage  

Pour les spécialistes, il y a de véritables difficultés en la matière

Une cérémonie qui obéit à un rituel est très important et strict. Laver une veuve ou un veuf, après le décès de son époux ou épouse n’est aussi facile. Pour les spécialistes, il y a de véritables difficultés en la matière.

« Quand tu vas la laver, il y a des secrets qui se passent entre vous dans la douche. Mais c’est des choses qui restent dans le plus grand secret. Ce sont des secrets professionnels », dit Ekou Amani. Le lavage de la veuve, selon elle, se fait un seul jour. Mais pendant ce rite, la personne se lave 4 fois de suite pour une femme. Quand c’est un homme, il se lave 3 fois.

Les laveuses de veuves, selon leur coutume, sont variables à tout point de vue. Les dispositions sont différentes. Pour dame Ekou Amani, lorsque vient une femme éplorée, elle ne lui demande qu’une éponge africaine, deux savons de toilette et un nouveau sceau. Elle va ensuite faire des décoctions de feuilles (6) qu’elle va par la suite introduire dans le sceau de bain. Pour les feuilles, elle n’a pas voulu nous révéler la nature. Selon elle, c’est un secret.

Pour sa prestation, Ekou Amani n’impose rien. Soit 10, 20 voire 50.000 FCfa avec un complet de pagne. « Le pagne vêtu par la femme, au moment de son bain, ne retourne plus mais reste dans la main de la laveuse y compris tous les autres objets », relate Ekou Amani.

Cette année 2024, Ekou Amani totalise au moins une dizaine de personnes lavées. « Quand on finit de vous lavez, vous-vous habillez dans un pagne blanc ou complet. Je n’impose pas le nombre de jours ou mois. Il appartient à la personne (lavée) de décider des mois. Soit 6 mois voire un an. Tout dépend d’elle. Ce qu’elle a porté pendant ces mois, elle fait cadeau à une personne. Après quoi, vous pouvez demander une messe », souligne Ekou Amani. En plus de femmes lavées, elle le fait aussi pour les hommes, qui perdent leurs femmes. Pour elle, le processus est identique. Pas de honte en cela…

Les médicaments pour le lavage

Le lavage des femmes, Kpapké N’Drin demande aux éplorées de fournir uniquement du savon de toilettes, une éponge africaine, un morceau de pagne et un nouveau sceau

Le lavage des femmes, Kpapké N’Drin demande aux éplorées de fournir uniquement du savon de toilettes, une éponge africaine, un morceau de pagne et un nouveau sceau. « Une fois, je la lave, c’est fini. En partant, je lui donne une potion qu’elle va utiliser à la maison. Mais les choses apportées, à savoir le sceau et autres sont remis à une dame qui a perdu, déjà, son mari », raconte-t-elle.

Pour les copines ou copains qui perdent leur conjoint, elle dit disposer de traitements pour ce genre de situation. 

En présence de la veuve, les feuilles sont pilées. « C’est elle-même qui se lave. Je ne peux laver parce que je n’ai pas encore perdu mon mari », commente Kpakpé Fatou. Concernant sa prestation, elle dit qu’elle n’impose pas de montant. Par contre, si la personne est étrangère, elle lui fixe un montant forfaitaire. Hormis ces traitements destinés aux veuves, elle fait aussi des traitements pour l’obtention de chances.

Pendant la période de veuvage, Kpakpé N’Drin Fatou n’impose rien à la veuve, après la prise du bain. Selon elle, il appartient à celle-ci de déterminer les jours ou mois qu’elle souhaite faire. « Elle peut se faire couper les cheveux, s’il elle le désire… ».

Un Imam fustige ces rituels

Si le rituel africain, qui consiste à laver les femmes veuves est diversement apprécié dans la société ivoirienne, l’imam Daouda Koné, président de la Haute autorité des imans pour la paix et la cohésion communautaire en Côte d’Ivoire, fustige ces pratiques africaines.

« Ce n’est pas normal qu’une femme lave une autre. Par contre, si elles ont perdu leurs maris, et des dames veulent leur donner des conseils, c’est acceptable. A plus forte raison des personnes âgées. En principe, selon la loi islamique, une autre femme ne doit pas laver une autre. Cela ne cadre pas avec la religion musulmane », a dénoncé l’imam Daouda Koné.

Cette pratique est bien observée chez des communautés en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas la même chose les musulmans. L’islam ne permet pas que deux femmes, selon l’Imam Koné, se regardent et observent la nudité de l’autre.

« Il faut avoir du respect et avoir de la honte. Dans le temps où les gens ne savent pas grand-chose, on pratiquait ces rituels ». Pour lui, il faut qu’on arrête ces pratiques africaines qui consistent à laver la femme ou les femmes de peur que son époux ne vienne la voir ou la chercher. « Par ailleurs, dès qu’une personne est décédée, estime imam Koné Daouda, c’est fini. On peut rêver, et on le voit en rêve. Il peut aussi s’interpréter. C’est une pratique qu’on doit arrêter et éviter de créer d’autres problèmes encore à la veuve. Ce n’est pas bon ».

Soucis de santé

Les laveuses qui sont chargées de laver les femmes éplorées ne sont pas à l’abri de soucis. Elles sont souvent caprices de problèmes de maladies qui les assaillent. Car, avec ce rituel africain, tout est permis. Laver une femme, c’est forcément être en contact avec les morts. Ce mort, peut-être, n’est pas content d’être parti tôt ou il en veut à quelqu’un, au moment de sa mort prématurée.

Quant à Fatou, elle affirme que pour les longues périodes qu’elle s’est concentrée aux veuves, elle n’est jamais tombée malade

« Celle que j’ai lavée, j’étais obligée de prendre l’eau et me lavé d’abord avant que je fasse pour elle. Souvent, avant que vous la laviez, il faut d’abord parler, lui demander(mort) pardon. Sans doute qu’il est fâché avec sa femme. On ouvre la bouche pour lui demander pardon, devant sa femme.

Tu peux dire à la femme, s’il y a un problème avec ton mari, il est important de le confesser », révèle Ekou. En cas de problèmes avec son époux, « le savon utilisé pour le lavage de la femme ne moussera pas ». Le lendemain, souligne-t-elle, j’ai été malade.

Quant à Fatou, elle affirme que pour les longues périodes qu’elle s’est concentrée aux veuves, elle n’est jamais tombée malade. « Jamais, je ne suis tombée malade depuis que je fais ce rituel. Je ne fais aucunement la sorcellerie, encore que si je faisais, j’allais tomber malade. Par moments, j’ai des migraines et autres. Mais ça passe et ce n’est lié au métier », justifie la professionnelle laveuse de veuves.

Témoignages des veuves

La plupart des veuves ou veufs qui ont pris du bain africain pour purifier ce sort, après le décès de leurs maris sont nombreux. Chaque veuve ou veuf, en fonction de la personne qui le lave, les traditions diffèrent ainsi que les pratiques.

Dans la ville de Fresco, le rituel de veuvage diffère des autres ethnies de la Côte d’Ivoire. Dans cette ville, la veuve qui perd son mari est envoyée et accompagnée par une personne, dans la forêt pour appeler son défunt époux. Elle porte sur son dos, un panier, dans lequel se trouve une daba. Pendant qu’elle crie à haute voix le nom de son mari dans la forêt, si ce dernier répond, cela sous-entend qu’elle est impliquée à sa mort. Si ce n’est pas le cas, alors, le rapport est fait vite au village.

Dans la ville de Fresco, le rituel de veuvage diffère des autres ethnies de la Côte d’Ivoire

C’est le récit de Beugré Danielle, qui a perdu son époux, il y a 2 ans. « Mais avant de se rendre dans cette forêt, toute la ville est informée. Une fois revenue de là, le rite commence. Elle est coiffée, lavée avec des feuilles, sans éponge africaine. Le pagne qu’elle a vêtu, l’enlève et le remet à la femme qui fait le lavage.

Avec sa cousine (une sorte de conseillère pendant le deuil), elles font ensemble le tour du village, en saluant les familles, qui, elles lui remettent de façon symbolique une pièce ou un billet de banque. Je détermine le nombre de mois de mon veuvage soit 6 mois voire 1 an. Tout dépend de moi. Mais avant, la femme, qui m’a lavé, me remet un collier blanc », explique Beugré.

Des femmes veuves/Ph DR

Une fois le veuvage achevé, pendant 6 mois voire 1 an, elle invite la famille pour l’informer de ce qu’elle vient de finir cet acte de veuvage. « Je peux maintenant m’habiller dans les pagnes et autres que je veux, ensuite rendre visite à des familles etc », fait-elle savoir.

Ursule Koffi a perdu son mari, en 2015. Revenue des obsèques de son défunt mari à Lakota, elle a sollicité les services d’une laveuse à Yopougon Abidjan. « 4 jours après, je suis allée me faire couper les cheveux. J’ai aussi entendu deux semaines, suis allée voir une maman à Yopougon pour me laver.

Ursule Koffi a perdu son mari, en 2015. Revenue des obsèques de son défunt mari à Lakota, elle a sollicité les services d’une laveuse à Yopougon Abidjan

Cette dernière m’a demandé d’envoyer son assiette dans laquelle il mangeait, sa soupière, sa cuillère et un de ses habits. Une fois arrivée chez elle, elle m’a fait acheter un caillou, du parfum etc pour faire le médicament. Puis, elle m’a lavé. Dans le parfum, elle a introduit le médicament. A chaque fois que je me lave, je mets le parfum sur moi jusqu’à ce que le parfum finisse », raconte Ursule Koffi, la veuve.

Pour elle, son veuvage a duré 6 mois. « Tout dépend de la personne, qui fait le veuvage. Tant que vous n’avez pas digéré la douleur de la perte de votre être aimé, vous pouvez aller au-delà », affirme-t-elle.

Je lui ai ensuite remis le pagne, sans montant parce que c’était une parente à moi. Une fois le veuvage achevé, « je ne sentais plus la présence de mon mari autour de moi. Je dormais tranquillement les nuits. Il faut forcément passer par là parce que cela libère et chasse l’esprit de mort, et ça t’ouvre les portes, c’est à dire d’autres personnes de voient, te draguent etc », conclut-elle.

Ouattara D, habite le Plateau depuis quelques années. Il y a des années, il a perdu son épouse dans des circonstances dramatiques. Avec le décès de cette dernière, malgré l’interdit de sa tradition Tagbana, il appliquait cette règle comme principe de vie. Constatant les soucis quotidiens qui l’assaillent, il se confie à une amie pour savoir en quoi consiste ce bain.

« Pendant longtemps et vu ce que me dit ma tradition, j’ai décidé de ne point faire de rituel. Des mois voire années, j’ai senti des réminiscences. Je sentais la présence de mon épouse, et une certaine peur m’habitait part moments. C’est ainsi que j’en ai parlé à une amie, qui m‘a mis en contact avec une dame laveuse », confie Ouattara.

Finalement, Ouattara D. décide de faire ce bain rituel avec la dame laveuse Baoulé. « Un jour, elle est venue à la maison. Après les échanges, elle m’a révélé que mon ex-épouse était mécontente. J’ai reconnu les faits qu’elle disait. Elle était mécontente de sa fille aînée, qui la jalousait souvent. Mais après, elle a commencé à me faire le rituel. Cela s’est bien passé. J’ai après décidé de changer le matelas, le lit de la chambre conjugale et autres sur lesquels nous dormions. Plus tard, nous avons déménagé du quartier pour aller habiter ailleurs », informe-t-il.

Magloire Madjessou

Encadré 1

La conversation avec les morts

Au moment de la cérémonie de lavage de la veuf(ve), il y a des choses mystérieuses qui se passent dans la douche mais aussi au niveau de l’au-delà. Les personnes chargées de les laver sont en contact permanent avec les morts. Avant que la laveuse ne fasse le rituel, il y a des paroles prononcées, et seul, le mort entend.

Vous pouvez demander pardon au défunt, au cas où celui-ci est mécontent, avant son décès. Autant de fois pour qu’il comprenne la nécessité pour vous de laver sa femme, afin qu’elle puisse vivre une nouvelle vie, après son départ vers le Père. C’est aussi un impératif que nous tenons à faire, avant de faire ce rituel africain. Les parents, d’avant l’époque, ont vécu des choses encore plus graves que ce que nous vivons maintenant, nous raconte une dame laveuse professionnelle.

Pour elle, notre époque a changé. A cause de la chrétienté, la foi a pris le dessus sur nos manières, comportements ou des cas de tolérances sont parfois observées/ acceptées par des familles, aujourd’hui. Les époques ont vraiment changé de situation et autres. Sinon, avant que la personne ne vous lave, les parents sont là pour vous assister, et souvent vous êtes accusés à tort ou à raison d’avoir tué votre mari ou femme.

Cette pratique, dans l’ancien temps, était très récurrente et faisait l’objet de discussions âpres, d’actes de violences entre les deux familles. Cette nécessité de parler avec le ou les morts ne saurait être une comédie africaine. C’est une réalité palpable et parfois visible que seule, la laveuse communique, converse, en présence de la femme à laver ou le mari, avec le mort. D’ailleurs, cela est admis depuis des siècles dans des familles, où il y a mort.

Madjessou

Encadré 2

Eviter ses beaux-parents…

Une fois qu’il y a deuil dans la famille soit du monsieur ou de la femme décédé(e), les deux familles sont amenées à organiser les obsèques du défunt. Très souvent, cela se passe bien. Mais bien avant, on voit parfois un œil accusateur de la famille de monsieur ou de la femme. On est obligé de s’accuser mutuellement jusqu’à ce que les funérailles prennent fin.

Le hic, dans cette histoire, lors du bain de la femme. La plupart des laveuses avouent de façon unanimes que la femme éplorée doit éviter de se faire laver par ses beaux-parents, car ceux-ci, souvent sont animés par de mauvais esprits tendant à faire du mal à cette dernière. Pour elles, il faut éviter scrupuleusement cette tendance de se faire laver par ses beaux-parents, lorsqu’on perd un être cher, soit le mari ou la femme.

Les beaux parents peuvent souvent, dans le bain, faire des mélanges de feuilles, avec empoisonnement, envoûtement de la maladie. Il est préférable que cette dernière utilise d’autres moyens pour se faire lavée elle-même, par une autre laveuse professionnelle, qui n’est pas de sa famille. Des exemples en la matière sont légions. Des femmes, qui après avoir perdu leur mari, se sont lavées par cette belle-famille. Au finish, elles ont eu des soucis de maladies graves ou ne sont plus retrouvées physiquement.

MM

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