Ex migrante, depuis août 2015, Alida Diane G, 32 ans, décide de quitter la Côte d’Ivoire à la recherche de l’Eldorado. Finalement, elle se retrouve en Tunisie pour quelques petits travaux de ménage. Son voyage pour l’Europe a été interrompu par les forces italiennes, en patrouille, sur la Méditerranée. Revenue en Côte d’Ivoire, le 20 novembre 2017, elle a pu s’installer à son propre compte grâce à l’Organisation internationale pour la migration (Oim). Ces conseils à ses concitoyens sur les péripéties d’un voyage rocambolesque.
En 2015, vous effectuez un voyage pour la Tunisie, en vue de vous rendre plus tard dans un pays européen. Finalement, vous décidez de rester pendant quelques temps dans ce pays maghrébin. Expliquez-nous votre histoire ?
Etant en Côte d’Ivoire, je faisais de petits métiers qui ne me rapportait pas grand-chose. Par le biais des amis étant dans ces pays du Nord (Tunisie), qui m’ont informé que les conditions de travail étaient encore meilleures qu’ici en Côte d’Ivoire. Là-bas, c’est mieux payé, avec un salaire de 120 000 Fcfa par mois. Ce que je faisais ici, le salaire maximum avoisinait 30 000 Fcfa le mois.
Que faisiez-vous à Abidjan, comme activités ?
Je m’occupais de la gestion des magasins, de cybercafés etc. C’est ainsi que j’ai décidé d’aller refaire ma vie dans un autre pays.
Une fois en Tunisie, quel boulot faisiez-vous là-bas ?
L’activité ménagère n’est pas du tout facile dans ce pays qu’est la Tunisie. Etant dans cette maison, je n’avais pas de liberté. C’est-à-dire quand eux ils sortent, c’est en ce moment que tu peux sortir de la maison. Ce n’est pas facile et la maison dans laquelle je travaillais est très grande et n’a rien avoir avec les maisons d’Abidjan. Je tiens à préciser que je suis arrivée dans ce pays sur un contrat proposé par un jeune. Dès que je suis arrivée, aussitôt, je suis mise dans une maison pour travailler, afin de rembourser l’argent de celui qui m’a fait venir, en payant mon billet d’avion.
Comment avez-vous rompu le contrat qui vous liait au monsieur ?
A la fin du contrat, vous avez le choix de continuer de travailler avec la famille ou aller dans une autre famille. Le contrat vous contraint à travailler et donc vous ne pouvez faire autre chose.
Est-ce que cette famille pour laquelle vous travaillez, vous payait régulièrement ?
Lorsque vous quittez la Côte d’Ivoire pour la Tunisie, il y a des gens qui paient votre billet d’avion pour le voyage. Ce billet d’avion vous devez le rembourser sur un certain nombre de mois pendant que vous travaillez chez une personne ou une famille.
Comme, je le disais, c’est un contrat de remboursement. Donc, la famille ne me payait pas directement. Lorsque vous quittez la Côte d’Ivoire pour la Tunisie, il y a des gens qui paient votre billet d’avion pour le voyage. Ce billet d’avion vous devez le rembourser sur un certain nombre de mois pendant que vous travaillez chez une personne ou une famille. Me concernant, je devrais rembourser pendant 5 mois comme le stipule le contrat. Moi, je devrais rembourser la somme de 600 000 Fcfa. Lorsque je suis malade et autres, c’est la famille qui s’en charge.
Comment était le comportement de cette famille pour laquelle vous travaillez ?
Je ne peux dire que cette famille était à la fois gentille et méchante. C’était de nouvelles personnes pour moi. Du coup, je me sentais seule et ils se retrouvaient entre eux pour causer. J’étais toujours isolée et manquais de liberté. Je ne manquais de rien lorsque j’étais dans cette famille. Souvent, elle avait des comportements bizarres envers moi. Avec le monsieur, il n’y avait pas trop de problèmes mais c’est la femme avec qui je rencontrai des problèmes. Je ne comprenais rien et, ce sont des gens, qui de nature sont nerveux. Le monsieur faisait son effort pour ne pas que je quitte la maison. Il me donnait l’autorité de ce que je voulais mais son épouse m’interdisait, ce qui créait des problèmes entre lui et son épouse. Souvent, le monsieur se rendait chez ses parents pour me chercher la nourriture, mais son épouse voyait cela d’un mauvais œil.
Après les 5 mois passés auprès de cette famille, qu’avez-vous fait ?
J’avais le choix de continuer ou de quitter le cercle familial. Vu le comportement du monsieur, j’ai décidé de continuer le contrat. Etant là-bas, je n’avais pas trop d’informations. Dès que je suis arrivée, on m’a introduit dans une famille. J’ignorais le mécanisme de système pratiqué dans ce pays. Lors de nos sorties, on rencontrait d’autres filles noires comme moi. De bouche à oreille, ces filles me disaient que pour t’en sortir, il faut traverser la Méditerranée pour aller en Europe.
Moi, je ne suis jamais sortie depuis mon arrivée dans ce pays. Je ne sais pas comment ça se passe et je ne connais pas le pays. Elles m’ont dit de prendre la mer pour rejoindre l’Europe, là-bas, l’argent est beaucoup plus consistant.
Combien on vous payait dans cette famille, après avoir résilié le contrat ?
Dans cette famille, on me payait 120 000 Fcfa. Malgré cela, mon argent ne me suffisait pas. Lorsque j’ai été informée qu’il fallait disposer de 1500 euros pour prendre la Méditerranée. Alors que je me retrouvais à 650 euros par mois. Cette somme était insuffisante. C’est ainsi que j’ai contacté ma famille pour qu’elle m’envoie de l’argent. A vrai dire, je ne leur pas dis la vérité mais plutôt prendre un avion pour me rendre dans un autre pays. Ma mère (paix à son âme) a pris des prêts pour m’envoyer cet argent.
Une fois l’argent à votre disposition, comment avez-vous contacté les agents pour la traversée ?
Lorsque j’ai eu l’argent, j’ai été mis en contact avec des personnes, qui sont dans le réseau pour faire la traversée. Je devrais partir en Italie. On devrait passer par le désert, la Tunisie et marcher jusqu’en Lybie. Une fois en Lybie, on devait traverser la Méditerranée pour atteindre l’Italie. Une nuit, nous avons été mis dans un car pour nous emmener dans un village. Dans ce car, nous étions très nombreux. Dans le village, ils sont venus nous chercher pour ensuite nous conduire dans une maison insalubre et isolée. Nous sommes restés là pendant une semaine avant de prendre la route. Dans cette maison, on nous donnait du pain et du fromage à consommer.
Une nuit, ils nous ont pris dans une fourgonnette pour nous déposer dans un autre lieu. On a marché de la Tunisie en Lybie. La traversée n’était guère facile. Il y avait des épines dans le désert, nous étions essoufflés. C’était compliqué avec des chiens qui nous pourchassaient. Au cours de la traversée, le nombre de personnes diminuait au fur et à mesure que nous atteignions la Lybie. Dans ce pays, nous étions également dans une maison, qui n’avait pas de fenêtres et autres. Nous avons été enfermés pendant une semaine sans manger ni d’eau dans les toilettes. Deux jours après, ils passaient pour nous donner un peu d’eau à boire. On urinait sur nous, on déféquait comme on pouvait dans cette maison close. Parmi nous, il y avait plusieurs nationalités : maliens, guinéens, nigériens, burkinabè, ivoiriens etc.
Vous étiez en quelque sorte dans une prison. Quel était le comportement de ceux qui vous surveillaient ?
Nous qui sommes les femmes, ce n’était pas facile. Lorsqu’ils veulent satisfaire leur libido, ils nous prennent et font l’amour avec nous. Ils le faisaient avec force et sans votre accord.
Est-ce que vous avez vécu cette situation particulièrement ?
Ce qui m’a sauvée, j’avais ce jour-là eu mes menstrues. Pour eux, des gens avaient déjà fait l’amour avec moi, en voyant le sang sur moi. Ils sont venus nous prendre encore et nous mettre dans des coffres de voiture. Nous étions 3 à 4 personnes dans ces coffres de voitures. Ils nous ont jeté dans un endroit. J’avoue que nous étions assez de personnes. Ensuite, ils nous ont laissé dans un désert, tous étaient très assoiffés. Les matins, il fait chaud et la nuit également une forte fraicheur nous agaçait. C’était difficile. Quand nous sommes arrivés au Campo (lieu où on dépose un nombre impressionnant de Noirs, Ndlr). Etant dans ce lieu, on exige que chacun appelle ses parents.
Avez-vous traversé la Méditerranée ?
Nous n’avons pas pu traverser, puisque nous avions été interceptés sur la mer. Nous étions dans les zodiacs. Pendant que nous étions sur la mer, nous avons entendu des tirs d’armes partout. Ils nous ont enfin récupéré pour nous mettre en prison.
Nous n’avons pu traverser puisque nous avions été interceptés sur la mer. Nous étions dans les zodiacs. Pendant que nous étions sur la mer, nous avons entendu des tirs d’armes partout. Ils nous ont enfin récupéré pour nous mettre en prison. J’ai fait 3 mois dans cette prison avant mon retour en Côte d’Ivoire. Bien avant, nous étions dans des endroits de prisons, et on appelait nos parents.
La Croix-Rouge international venait-elle vous voir étant dans cette prison ?
La prison dans laquelle j’étais avant de venir en Côte d’Ivoire, les membres de la Croix-Rouge international n’avaient pas accès. Par contre, il y a des prisons ou la Croix rouge et l’Organisation internationale des migrants (Oim) visitaient les prisonniers.
Quelles assistances morales et matérielles qu’apportaient la Croix-Rouge et l’Oim à ces prisonniers ?
Nous voyons seulement des signes mais on ne sait pas ce qu’ils se disaient entre eux. La langue parlée était l’Arabe. Parmi nous, certains comprenaient l’Arabe et interprétaient ce qu’ils étaient en train de dire ou expliquer. Des journalistes arabes étaient là.
Pendant ton séjour dans ce pays libyen, étiez-vous en contact permanent avec vos parents ?
Ma mère s’inquiétait beaucoup pour moi. Je n’étais pas en contact avec eux. Puisque je leur dis que je partais par avion. J’ai passé des mois dans ces pays, et elle se disait que j’étais morte.
De leur côté, est-ce qu’ils essaient de rentrer en contact avec vous ?
Je dirai oui. Mais pas du tout facile. Mais avant de partir, ils nous arrachaient tout : passeport, portable, argent etc. Lorsqu’ils veulent de l’argent, c’est en ce moment, ils mettent des portables à notre disposition. Mes parents essayaient de me joindre, mais ils n’avaient pas mon numéro.
L’ambassade de Côte d’Ivoire en Tunisie a été saisie de cette affaire. Pouvez-vous nous expliquer comment s’est fait le processus d’enrôlement et de rapatriement des Ivoiriens ?
Dans cette campo à Zabrata (en Libye), il y a eu des tirs d’armes, des bombardements partout. Nous avons quitté la ville, où étions pour aller chercher du refuge. En marchant pour se rendre dans une autre ville, la police d’immigration nous a interpellés sur la route. Il y a avait aussi des bandits sur cette voie, qui ont arrêté parmi nous d’autres prisonniers, afin de les vendre. Dieu nous a fait grâce en rencontrant cette police d’immigration, qui par la suite, nous a conduits en prison, à Zouara, en Libye. Bien vrai que les organisations des droits de l’Homme venaient, mais elles n’avaient pas accès aux prisons.
Les contraintes de la guerre dans ce pays les interdisaient de venir nous rendre visite dans ces prisons. C’était aussi difficile pour nous de manger et de boire de l’eau. Une fois, l’Oim de la Libye est arrivée et appris langue avec les prisonniers. Ils ont échangé avec ceux, qui parmi nous comprenaient l’Arabe. Donc, nous avons été informés par la suite que nous devrons rentrer dans nos pays respectifs. Ils nous ont ensuite dit que c’est difficile pour elles d’avoir accès à Zouara, et même pour y arriver, c’était avec beaucoup de peines. Nos ambassades également ne peuvent pas se déplacer et venir nous rencontrer dans les prisons. Il y a l’insécurité partout dans le pays. Elles nous ont mis en contact avec nos ambassades pour procéder au processus de recensement pour que chacun rentre dans son pays.
Peut-on avoir un nombre exact des Ivoiriens qui étaient dans ces prisons de Zouara ?
Les Ivoiriens dans ces prisons avoisinaient plus de 600 personnes. Je souligne qu’il y a eu plusieurs charters. Dans un avion, on peut estimer au moins 300 voire 400 personnes. Ce n’était pas seulement dans la prison de Zouara mais il y avait d’autres prisons à travers le pays. Donc nous avons été recensés par nos ambassades. Chaque migrant a été pris en compte par son ambassade.
Le recensement a été fait par quel organisme ?
Il faut dire que les ambassades ne peuvent pas se déplacer vu que le pays n’est pas stable au plan sécuritaire.
C’est l’Oim mais ils nous ont mis en contact avec nos ambassades. C’est elle qui a fait les démarches auprès des différentes ambassades. Il faut dire que les ambassades ne peuvent pas se déplacer vu que le pays n’est pas stable au plan sécuritaire.
Vous êtes arrivés avec d’autres Ivoiriens dans plusieurs charters. Les autorités de Côte d’Ivoire vous ont-elles promis quelque chose une fois à Abidjan ?
Nous avons été accueillis par nos autorités à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Port-Bouët. Après, nous avons été informés que ce sont nos autorités qui ont fait les démarches pour que nous puissions rentrer en Côte d’Ivoire. Je crois qu’elles ont fait beaucoup pour nous. Parce que nous étions dans une zone à risque, dans ce pays, qu’est la Libye.
A votre arrivée à l’aéroport d’Abidjan, avez-vous reçu de la part d’elles quelque chose pour vous permettre de vous prendre en charge ?
Quand nous sommes arrivés à Abidjan, nous avons eu chacun des enveloppes puisque nous avons tous laissé là-bas. Nous avons reçu des enveloppes pour nous réconforter de ces souffrances endurées. Nous sommes nombreux. Elles nous ont remis quelque chose pour nous permettre de subvenir à nos besoins primaires.
Les autorités ivoiriennes ont-elles abordé avec vous, votre insertion sociale et économique, une fois au pays ?
Je ne sais pas trop. A partir du moment, où elles m’ont fait revenir en Côte d’Ivoire, pour moi, c’est beaucoup. C’est à nous maintenant de nous prendre en charge.
Vous êtes arrivée en Côte d’Ivoire, en 2017. Est-ce que vous êtes insérée dans le tissu social aujourd’hui ?
J’ai été chanceuse. Lorsque je suis arrivée à Abidjan, l’Organisation internationale des migrants m’a inséré dans le commerce de pagnes. Ce n’est pas grande chose, je viens d’arriver et je me sers de cette activité. J’ai commencé à diversifier un tant soit peu les produits : sacs à main, les accessoires de femmes etc.
Vous n’avez pas atteint vos objectifs en allant pour l’Eldorado dans un pays européen. Aujourd’hui, n’avez-vous pas le sentiment d’avoir des regrets pour un voyage qui a foiré ?
Dans les débuts, oui. Lorsque je suis arrivée en 2017, j’ai eu grand pincement au cœur de n’avoir pas atteint mon but. A partir du moment, où j’ai été insérée, j’ai pris gout à la vie. J’ai vu qu’étant en Côte d’Ivoire, on peut réaliser et s’en sortir. Si un jour, j’ai envie d’aller en Europe, ce ne serai pas la voie normale.
Si jamais vous étiez allée en Europe, quel métier feriez-vous dans ce pays ?
J’avais cette volonté d’assister des personnes en difficulté. Des enfants ou des personnes âgées. Je n’ai pas de formation dans ce domaine, mais je me suis dit qu’arrivée là-bas, j’allais faire cette formation. J’ai un Bac A.
Certes, vous êtes arrivée en Côte d’Ivoire, en 2017. Vous avez connu et vécu l’aventure périlleuse en Libye. Quels conseils à vos sœurs et frères, qui souhaitent partir un jour à l’aventure ?
C’est un manque d’informations qui m’a poussée à prendre le chemin de l’aventure pour la Tunisie et la Libye.
L’aventure est, certes, une bonne chose. Mais, il important de se renseigner du lieu où on va. Comment ça se passe et qu’est-ce qui faut faire ? Depuis mon retour, au début, j’étais un peu crispée. J’ai voyagé, je suis revenue et ma mentalité a changé. Je suis désormais une fille dégourdie. Je n’attends plus qu’on me tende la main pour pouvoir faire quoi que ce soit. Je me bats pour avoir mon pain. L’aventure m’a également formé, bien vrai qu’il y a eu des points négatifs mais ça permis d’être une personne, qui n’a pas peur d’affronter les réalités de la vie.
Je peux dire à mes sœurs et frères, que dans votre pays, si vous voyez que vous vous en sortez, l’activité que vous faisiez vous rapporte, il est souhaitable que vous restiez chez vous. Je suis partie à l’aventure, je ne suis pas allée étudier, mais être ménagère. Ce ménage-là, je pouvais bien le faire en Côte d’Ivoire et m’en sortir parce qu’il y a des gens qui font le ménage et gagnent leur pain. Ce que nous ne faisons pas, ici, malheureusement quand on va à l’aventure, c’est ce que nous faisons.
Si un jour, on veut aller à l’aventure, on peut aller dans la légalité. C’est un manque d’informations qui m’a poussée à prendre le chemin de l’aventure pour la Tunisie et la Libye. Des amis qui sont en Europe et qui me disent que la vie n’est pas facile. Ils disent que la vie en Europe est vraiment difficile. Dans notre pays, la situation est dure et difficile, mais on s’en sort toujours. Le conseil que je peux leur donner, l’aventure est certes, une bonne chose, mais on est mieux chez soi.
Réalisée par Magloire Madjessou