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Côte d’Ivoire, Paul Ehounou (ancien sorcier) : « Si on vous dit que le sorcier est là pour tuer, c’est faux »

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Paul Gomez Ehounou, ex sorcier, aujourd'hui converti à Christ/Ph Credo

Paul-Gomez Ehounou était un ancien sorcier, il y a plus de 12 ans. Dans le domaine de la sorcellerie, il avait pour rôle de gérer les « entrepôts », c’est-à-dire les lieux où étaient stockés les bras, les pieds, l’œil etc des personnes qui devaient être sacrifiées. Aujourd’hui, il est responsable du ministère catholique Sainte Famille de Dabou (50 km d’Abidjan).  Il a abordé, récemment, la problématique et le processus de libération de la sorcellerie en Afrique.  C’était à l’occasion du VIIIè Colloque international de l’Institut catholique missionnaire d’Abidjan (Icma) à Abobo (Abidjan).

Comment êtes-vous entré dans la sorcellerie à l’âge de 12 ans ?

C’est une longue histoire. J’ai commencé à être conscient du fait que j’étais dans la sorcellerie à l’âge de 12 ans. J’ai senti la présence de certains êtres pendant une nuit, ceux-ci étaient au nombre de 5. Ils avaient pour habitude de venir chaque mardi et jeudi nuit pour jouer avec moi. Je précise qu’au début, c’était seulement des jeux. Après, ils ont commencé à me demander de faire des choses que mes parents n’apprécieront pas. C’est-à-dire gâter des choses, frapper mes sœurs etc. J’ai commencé à être méchant. C’est à partir de cet instant est venue l’initiation. Parce qu’en sorcellerie, tu ne peux être sorcier si tu n’es pas méchant.

Quelle était la réaction de vos parents ?

Eux, ils ne comprenaient pas. Pour eux, j’étais têtu, bandit etc. Ils me frappaient pour ces comportements que j’avais. Ce qui me confortait dans la pratique, j’ai compris que mes parents ne m’aimaient pas. J’ai ainsi commencé à aimer ses amis qui venaient me voir.

Etant dans cette confrérie, que faisiez-vous concrètement et le rôle qui vous était attribué ?

Il faut comprendre que dans la sorcellerie, il y a beaucoup de domaines. J’ai évolué petit à petit mais comme je dis dans mon livre ; « de la sorcellerie à la lumière de Jésus Christ », il y a 3 niveaux de sorcellerie : le clan, la secte et la confrérie. Tout sorcier commence dans un clan et au niveau du clan, vous n’êtes pas trop actif. Mais ce que je peux dire, étant dans la sorcellerie, j’avais la gestion des entrepôts ou informaticien dans la sorcellerie.

La gestion des entrepôts, qu’est-ce que c’est exactement ?

Ce sont des magasins que je gérais. Dans ces magasins, il y avait des pieds d’homme, bras, œil, etc. Les féticheurs et marabouts, avec lesquels nous travaillions, venaient chercher ces choses-là avec nous pour les donner aux gens…

Ce sont des magasins que je gérais. Dans ces magasins, il y avait des pieds d’homme, bras, œil, etc. Les féticheurs et marabouts, avec lesquels nous travaillions, venaient chercher ces choses-là avec nous pour les donner aux gens. Par exemple, lorsque vous partez chez une personne et que vous lui dites que vous êtes malade, il vous dit qu’il vous guérit. Il peut retirer des pointes de votre pied et il vous dit que votre pied est remplacé. En réalité, c’est le pied de quelqu’un qu’on vient vous donner pour un certain temps. Celui-là vient, il prend…Il y a aussi le délai que je supervise étant informaticien dans ce domaine.

Vous gériez à cette époque combien de magasins ?

Il y avait une dizaine de magasins à gérer. Qui sont étendus un peu dans le monde entier. Pas seulement en Côte d’Ivoire, car, la base se trouvait au Nigéria. En Côte d’Ivoire, il y avait des magasins dans la forêt du Banco d’Abidjan et bien d’autres endroits.

Vous étiez dans la sorcellerie, dites-nous combien de personnes avez-vous tué et mangé ?

C’est mieux de demander est-ce que vous avez déjà tué ou mangé. Oui, mais ce n’est pas le nombre. Parce qu’en réalité, les gens pensent que le sorcier est là pour manger. Un sorcier qui tue est un petit sorcier. C’est lorsque vous apprenez que vous tuez. Le but du sorcier est de rendre l’homme misérable. Donc, si les gens ne font pas attention, ils penseront que le sorcier est là pour tuer. Tuer l’homme en sorcellerie, est un petit détail. Mais le rendre misérable, tu vis et vous ne servez plus à rien, c’est le but de la sorcellerie.

Comment expliquez-vous que dans les villages, les sorciers tuent ou mangent des cadres et des personnes pour des raisons que nous connaissons plus ou moins ?

C’est ce que je disais à l’instant. Ce sont de petits sorciers. Le vrai sorcier ne tue pas. Si on vous dit que le sorcier est là pour tuer, c’est faux. Le sorcier, il rend misérable l’homme. La mort, tout le monde va mourir. Même le sorcier, il meurt. Mais il peut avoir le pouvoir sur quelqu’un, lui ôter la vie, c’est imagé. Il prend un coq, il le tue…la personne est morte. La finalité de sorcellerie, ce n’est pas ça.

Donc ceux qui sont dans les villages ne sont-ils pas de vrais sorciers ?

Non. Ils n’ont pas de pouvoir. Ils ne sont pas forts. Les vrais sorciers rendent toujours les gens misérables. J’ai commencé, peut-être, dans le clan où on tuait les gens. Mais là, c’est un apprentissage. En prenant un balaie, tu peux tuer l’homme en sorcellerie. Mais le but n’est pas ça.

Comment s’est faite votre conversion à la vie chrétienne, douze ans, après avoir quitté cette confrérie ?

J’ai échoué à une mission. On m’a envoyé pour détruire mon oncle, qui est prêtre catholique…

J’ai échoué à une mission. On m’a envoyé pour détruire mon oncle, qui est prêtre catholique et qui vit aujourd’hui. Dieu merci, ça ne s’est pas passé. A travers mon oncle, Dieu va me montrer son chemin de vie et de salut. La personne que je devais tuer va finalement me conduire à connaitre Dieu. C’est encore lui qui va me donner mon premier permis de conduire, de travailler jusqu’à ce que je découvre que c’est l’amour de Dieu. C’est comme ça que petit à petit, les écailles ont commencé à tomber. Je voulais être prêtre à un moment donné de ma vie. Je me suis dit qu’il fallait être prêtre comme lui pour être protégé. Je me suis rendu compte qu’il faillait être engagé auprès du Christ en 1999.

Donc votre conversion au christianisme a débuté en 1999…

C’est depuis cette année, j’ai donné ma vie à Christ. J’ai fait deux ans d’accompagnement, de délivrance et de libération. J’ai eu le prêtre Francis Ahonzi qui m’accompagne encore. Le frère Assiélou Michel, qui lui, me suit aussi et un ensemble de prêtres à qui je me confie, qui m’orientent et me donnent des conseils.

Vous ne faites plus partie de ce clan de sorciers, il y a plus de douze ans. Ne craignez-vous pas une attaque de leur part ?

Les sorciers tentent tous les jours de me tuer. Mais, je suis là.

Peut-on dire que les sorciers sont-ils forcément au village ?

Non. La sorcellerie est partout. Elle n’est pas limitée au village. C’est un ensemble de personnes qui disaient que ce monsieur ne peut pas réussir etc.

Berger d’un ministère catholique Sainte Famille de Dabou, lorsque dans votre communauté, il y a des personnes qui se trouveraient être des sorciers. Que faites-vous ?

En ce qui concerne des personnes qui ont des soucis comme la sorcellerie, nous les accompagnons spirituellement. La Bible le dit dans 2 Timotée 2 : « Que ce que tu as reçu, tu dois le partager ».  Nous avons eu cette grâce de nous convertir, Dieu nous a permis de nous former et de connaitre certaines choses. C’est pourquoi, nous nous orientons vers les familles ; nous prions pour et avec les familles, nous les accompagnons pour que les gens comprennent que c’est dans la famille que Dieu veut se réaliser.

Est-ce qu’il y a des cas de sorcellerie au sein de votre ministère catholique ?

Récemment, j’ai fait une retraite avec 8 petits sorciers…

Effectivement, j’en ai reçu. Récemment, j’ai fait une retraite avec 8 petits sorciers. On les accompagne. Je vis et prie avec eux, je les accompagne. Je leur dis que vous avez une histoire où vous vivez la sorcellerie, c’est possible d’en sortir et de vivre bien. Le problème de la sorcellerie est que les gens pensent qu’une fois que vous êtes dedans, vous ne pouvez pas en sortir. C’est cela mon témoignage. On peut pratiquer la sorcellerie, si Dieu nous délivre, on est capable de faire du bien.

Réalisée par Magloire Madjessou 

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