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Sotra Bouaké : 1 mois après, pourquoi la population « boude » les bus ?

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Des élèves descendent et montent dans le bus Sotra de Bouaké/Ph B.S

Le Premier ministre, Patrick Jérôme Achi, a procédé au lancement des activités de la Société des transports abidjanais (Sotra), à Bouaké, vendredi 24 septembre 2021. En mettant ces autobus en service, il s’agissait pour, le gouvernement, d’améliorer la mobilité urbaine de la population de Bouaké, avec 60 bus pour desservir 4 lignes. Un mois après, la Sotra de Bouaké peine à donner satisfaction aux populations, des bus souvent vides circulent dans la ville ?

Lundi 18 octobre 2021. Sous un soleil de plomb, nous sillonnons les différents quartiers de la capitale de la paix de Bouaké, centre du pays, où les bus desservent les quartiers. L’arrivée des autobus de la Sotra dans la ville de Bouaké a été un véritable soulagement et un engouement perçu par la population. Les deux jours de gratuité offerte par le Premier ministre ont été une occasion mise à profit par celle-ci. On voyait des populations heureuses, ébahies, déambulées, quelquefois les regards perdus dans le lointain, à travers les vitres, empruntées ces bus et faire le tour de la grande ville. Toute une journée entière. Mais, depuis presqu’un mois que la Sotra est en service, les bus, pour la plupart transportent quelques passagers ou retournent dans les quartiers (presque) bredouilles. En lieu et place des bus, qui offrent un confort agréable, sécurisé et moins de risques. Alors que les Bouakois préfèrent les moto taxis ou taxis communaux.

Le réseau des bus de la Sotra a démarré avec 4 lignes dessertes, dont une flotte de 60 engins. La ligne 301 qui part de la Base Cie du quartier Air France à Tchèlèkro ; la ligne 303 de l’aéroport à Houphouët-ville. Quant à la ligne 304 d’Ahougnanssou au quartier Kennedy et enfin la ligne 305 de Olam à Kennedy au Rond-point Habitat. Tels sont les quatre lignes de la Société des transports abidjanais (Sotra) qui desservent Bouaké. Ces bus dont les horaires commencent de 6h45 à 19h30 tous les jours, avec une poignée d’élèves, étudiants et particuliers, qui empruntent les bus pour se rendent dans les écoles, universités et autres lieux.

Des lignes 304, 301…désertes !

Nous empruntons la ligne du bus 304 d’Ahougnanssou au quartier Kennedy. Sur cette ligne, presque desserte de passagers. A peine 4 usagers dans ce bus. Le chauffeur conduit sans passagers jusqu’à destination. Cette façon de rouler sans usagers, toute la journée, est devenue récurrente depuis leur mise en service à Bouaké. Quelquefois pris de remords, mais, disent-ils (machinistes), dans un murmure coupable, c’est le travail. Alors qu’à cette heure de la journée, normalement, l’affluence devrait être de mise comme à Abidjan. Pourtant, il est 9h et 10h. Mais rien. Aucun passager. Des arrêts de bus vivent de leur propre ombre. Sans personne.  Quelques temps après, nous mettons le cap sur une autre ligne 301 pour se rendre à Tchèlèkro. Le décor est plus que similaire, avec des passagers flottant dans ces gros engins, dont l’air de midi leur fait du grand bien.

Bouaké est une ville confrontée au phénomène des motos-taxis, après l’avènement de la crise postélectorale 2010, qui a secoué durement les populations, sans oublier les taxis communaux qui relient des quartiers. En dehors de ces engins utilisés en grande pompe par la population, certains Gbaka ou appelés communément minicars relient des quartiers en raison de la modique somme de 100 Fcfa.  Andrée Yohou, commerçante au quartier Commerce de Bouaké n’est pas une habituée des bus. Ce temps qu’elle devrait passer dans un voyage de bus, elle le voit en termes de gain.  « Je ne suis pas une habituée des bus. Je me réveille tôt, dès 6h et je quitte la maison pour le quartier Commerce. Avec seulement 100 Fcfa, je suis au Commerce en empruntant un gbaka. Donc vous voyez ça me fait gagner en temps et en argent », a fait savoir dame Yohou.

Quant à Anselme A. Kouadio, étudiant à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, se désole que les autorités de la Sotra n’aient pas prévu d’arrêt de bus à Broukro. Ce quartier si populaire regorge aussi d’importants étudiants et élèves, qui voudraient emprunter les bus pour se rendre au cours. Cet état de fait handicape les étudiants et élèves de ce quartier, qui ont souhaité vivement l’arrivée des bus à Bouaké. « J’étais heureux de savoir que la Sotra allait étendre ses activités à Bouaké, afin de nous permettre de rallier notre quartier au campus. Cela nous permettrait d’économiser avec les cartes de bus que nous payons mais nous avons été oubliés », regrette l’étudiant. Toutefois, il indique que « c’est une action louable ! On va s’y adapter espérant avoir une ligne les mois à venir. »

La population se questionne encore

La Sotra roule à perte dans la capitale de la paix parce que les passagers se font ardemment désirer. Certains sont des éternels habitués aux moto-taxis ou taxis communaux pour se déplacer dans la ville. La Sotra, qui a fait ses preuves dans la métropole abidjanaise n’a plus rien à prouver. Dans la sous-région, elle est pris comme un archétype de transport en Afrique de l’Ouest. Joël Boua est conducteur dans l’administration publique. Selon lui, la Sotra devrait faire une étude de faisabilité du projet urbain, avant de s’installer à Bouaké.

Lire aussi: Patrick Achi lance les activités du démarrage de la Sotra à Bouaké

 « On n’est pas habitué. Les arrêts de bus sont très éloignés. Abidjan, c’est une agglomération et il y’a du monde.  Bouaké est encore en voie de développement et les gens ont politisés la chose. La Sotra est venue au mauvais moment. C’est bientôt la Coupe d’Afrique des nations (Can), est-ce qu’après la Can, les bus retourneront ? Non, donc la Sotra a fait une mauvaise étude de terrain parce qu’actuellement la Sotra roule à perte. Je me demande est-ce qu’ils peuvent faire une recette de 200.000f par jour avec ces 4 lignes ? Je ne pense pas parce qu’il y’ait pas d’engouement comme Abidjan », soutient Joël Boua. Un autre habitant, qui souhaite emprunter le bus évoque quelques préoccupations. Le prix, l’itinéraire et la voirie. Yao Donald est commercial dans une agence de la place, il fait remarquer quelques difficultés, s’il doit emprunter le bus. « Si je dois m’arrêter à l’arrêt pour attendre le bus qui coûte 200 FCfa et que selon son l’itinéraire, il ne va pas au lieu où je vais, je préfère emprunter un taxi. Avec le taxi, je gagne en temps et fais rapidement mes courses. Je note que Bouaké n’a pas de bonnes voies », confie-t-il, à la descente du bus. Selon un machiniste de la Sotra qui a gardé l’anonymat. « D’abord, je demande à nos responsables d’être patients, parce que la population n’est pas encore habituée et ne maîtrise pas les numéros des bus et les itinéraires. C’est nouveau pour la population Bouakoise. Il arrive des fois de rouler sans passagers ».

Un autre machiniste de la Sotra, qui lui aussi, a insisté en gardant l’anonymat. Pour lui, avec l’avènement des bus à Bouaké, qui est un énorme soulagement pour la population mais cache de réelles difficultés. « Pour le moment, tout se passe bien mais ce sont les mototaxis qui constituent une véritable difficulté dans la circulation. La population ne maitrise pas encore les numéros de bus parce que c’est encore nouveau pour elle », déplore le machiniste.

Pour peaufiner les quelques difficultés rencontrées lors de notre reportage, à savoir le nombre de passagers transportés par semaine ; la politique d’engouement mis en place par la Sotra ; les recettes ; des quartiers pas desservis, problème de voiries, le nombre de bus mis en service etc. Nous avons échangé avec la direction de la Sotra, qui a promis nous revenir, des jours après. Nous avons à nouveau essayé de les écrire, mais rien. Vendredi dernier, nous avons relancé encore M. Koné Siaka. « Bonsoir monsieur, nous vous ferons un retour demain. Désolé pour le silence », écrit-il, par Sms, Koné de la Direction de communication et marketing de la Sotra, le dimanche 24.

A terme, à l’horizon 2023, le réseau Sotra sera constitué de 400 autobus opérant sur 10 lignes pour contribuer à l’amélioration de la mobilité urbaine, faciliter le ralliement des centres névralgiques de la ville (écoles, universités, hôpitaux, marchés, etc.), amélioration de la compétitivité économique de la ville de Bouaké, créations d’emplois directs, facilitation du déplacement des populations de Bouaké dans de meilleures conditions de sécurité.  

Eliezer Kokrenou, Correspondant régional

Encadré

Une opération de charme

Bienvenue la Sotra à Bouaké ! C’était la bonne idée ou stratégie de faire venir la Sotra dans une ville comme Bouaké, quand on sait que beaucoup de choses restent à parfaire après la crise de septembre 2002. Le vendredi 24 septembre, tout le monde a applaudi des deux mains la mise en service des autobus dans cette ville. D’autres ont évoqué une mobilité urbaine de la population, certains ont affirmé que pour Bouaké, vu sa grande taille et capitale du centre, il fallait ce transport en commun. Et l’amplifier à d’autres grandes villes du pays plus tard. Bref. La Sotra est là.

Aujourd’hui, cela fait un mois. Mais au fond, des difficultés plombent inéluctablement ce transport en commun de l’Etat. Les problèmes de voiries, de dos d’ânes à certains endroits du bitume, des quartiers reculés où n’existent pas de bitumes, la méconnaissance des numéros ou l’itinéraire de bus… Bouaké est, certes, grande, mais elle souffre de voiries et d’autres commodités. Le ministre des Transports, Amadou Koné, en évoquant l’exploitation des bus dans cette ville au cours d’un Conseil des ministres, a-t-il pris le temps d’étudier tous ces paramètres, et voir ensemble des stratégies de solutions, au cas où les bus ne fonctionneraient pas des mois après, avant d’engager la responsabilité de l’Etat ? Apparemment non. Lui-même, fils de la région, a voulu coûte que coûte que la Sotra soit à Bouaké. Il a fait. Elle est désormais là, une fierté dans cette ville. Mais que font ces populations pour qui les bus y sont ? Elles n’empruntent pas ces engins, elles préfèrent d’autres moyens comme les motos-taxis et taxis communaux.

Heureusement que les élèves et quelques étudiants y empruntent. Pourtant, le plus important et significatif est cette population : commerçants, ménagères, enseignants, corps médical…qui ont leurs engins pour se déplacer. Ils n’empruntent pas ces bus. Certains estiment que c’est une perte de temps. Ou les arrêts de bus sont loin de leurs domiciles etc. Des problématiques auxquelles le ministre et ses collaborateurs devraient étudier de près, et si possible, trouver une solution, sinon à quoi servent ces bus, sachant que chaque jour, en parcourant des kilomètres dans la ville, c’est le carburant qui est consommé inutilement au frais de l’Etat. Evidemment, le ministre Koné, en envoyant ces bus de la Sotra dans cette grande ville du pays, avait, certes, une idée : une opération de charme. Cela a marché. Quitte à l’Etat de prendre des mesures pour que la population s’habitue et emprunte ces bus, sans problème. Lui, en tant que cadre, il a fait sa part…Telle est son opération de charme à Bouaké.

Magloire Madjessou

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