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Commémoration des fidèles défunts : Un prêtre ivoirien s’interroge sur la sainteté des Ancêtres africains ? (1è partie)

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Le cimetière de Koumassi /Ph Credo

« Les ancêtres africains ne pourraient-ils pas être aussi des saints ? ». Une problématique théologique que le père Serge-Faustin Yomi, prêtre ivoirien du diocèse de Grand-Bassam, vivant en Allemagne, et docteur en Théologie dogmatique à l’université Eberhard Karls de Tübingen (Allemagne), essaie de répondre par des recherches scientifiques et théologiques sur la sainteté des ancêtres africains. Par ailleurs, il est membre ordinaire de la société de psychologie pastorale en Allemagne. Dans cette contribution, nous vous présenterons la première partie de ses recherches, puis la fin, pour demain(vendredi).

Aujourd’hui l’Eglise célèbre la fête de la Toussaint. À travers cette célébration, Elle honore tous les saints, ces amis(es) de Dieu connus(es) et inconnus(es) de nous. L’Eglise rend ainsi grâce à Dieu pour leur vie et le témoignage d’une vie totalement ouverte à Dieu. Elle sensibilise aussi ses filles et fils à faire autant et, par là-même, les invite à répondre généreusement à leur vocation à la sainteté.

Dans la même perspective, le pape François, dans son Exhortation Apostolique Gaudete et Exsultate (Soyez dans la joie et l’allégresse) qui est une Exhortation à la sainteté dans le monde actuel, rappelle que la sainteté est un appel lancé à tous[1] et qu’elle est à la portée de tous[2]. La sainteté pourrait alors être perçue comme l’appel à mettre en lumière le meilleur de soi-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel[3], de beau, de grand, de sublime et de lumineux en chaque homme dans le silence de sa présence et la grandeur de son amour.

Pour le pape François, l’on devient saint en vivant avec joie son engagement, quel que soit l’état de vie[4]. Dès lors, devenir saint c’est chercher à mener une vie ouverte à Dieu et constamment orientée vers Lui ; c’est choisir Dieu chaque jour[5] quelles que soient les difficultés et les faiblesses. À ce propos, souligne le pape François : « Chaque saint est une mission; il est un projet du Père pour refléter et incarner, à un moment déterminé de l’histoire, un aspect de l’Évangile »[6].

La sainteté, bien qu’elle ne soit rien d’autre que la charité pleinement vécue[7], est tout de même faite de petits gestes au quotidien[8].

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Un tel regard aussi lucide et ouvert sur la notion de la sainteté ne saurait nous laisser indifférent. Il est même un motif essentiel qui nous amène à ré-ouvrir un vieux débat sur la possibilité ou non de la sainteté des Ancêtres africains : Les Ancêtres africains sont-ils des saints ? Peuvent-ils être considérés comme tels ? Ou du moins certains peuvent-ils être inclus dans la communion des saints ?

Ces questions méritent d’être posées quand nous savons l’importance des Ancêtres en Afrique et la relation privilégiée que l’Africain vit avec ceux-ci. L’Africain vit en effet une communion avec ses Ancêtres à travers la célébration du mémorial ancestral — piété filiale et familiale par excellence — qui lui sert de moyen de vénération et de cadre pour honorer ceux-ci pour ce qu’ils ont été, sont et représentent pour la famille.

L’importance d’une telle relation nous amène encore à nous interroger :

L’Africain, pour accueillir Jésus-Christ et son Évangile, doit-il renoncer à la relation de vie qu’il entretient avec ses Ancêtres ? Ou bien, sa communion avec ses Ancêtres a-t-elle une place dans la vie en Jésus-Christ mort et ressuscité ? Dans quelle mesure la communion avec les Ancêtres et celle avec les saints peuvent-elle se rapprocher profondément en Jésus-Christ, l’unique Médiateur ?

Ces questions, dans leur ensemble, méritent attention particulière et réponses claires. A cet effet, sans avoir la prétention de donner des réponses exhaustives à celles-ci, nous tenterons tout de même d’y répondre.  Notre réflexion se fera autour de trois points.

D’abord, nous chercherons à comprendre la notion d’ancestralité en Afrique. Autrement dit, qui est l’Ancêtre pour l’Africain ? Ensuite, nous saisirons la nature profonde de la relation de l’Africain à ses Ancêtres. Enfin, nous montrerons que certains Ancêtres africains sont déjà inclus dans la communion des saints.

  1. L’Ancêtre en Afrique

L’Africain croit que la participation au groupe dépasse la naissance et la mort et s’étend à la société des Ancêtres. Les Ancêtres sont, en effet, des hommes et des femmes qui ont généralement bien vécu dans la justice, contribué à la cohésion sociale à travers les coutumes et les traditions[9], et particulièrement ont été généreux, miséricordieux, et facteur de communion[10]. Ils sont aussi des parents vivants d’une façon invisible, comme des vivants d’un autre genre avec qui il faut compter et composer et avec qui on s’efforce d’avoir des relations de bon voisinage comme avec les autres membres de la famille[11]. Les Ancêtres sont les gardiens des traditions et de l’histoire tribale[12].

Mais qui peut être appelé Ancêtre ?

Les morts considérés comme Ancêtres, et dont le souvenir est vénéré par les vivants, ont été des hommes d’une expérience éprouvée et dont la sagesse a été bénéfique à la société. Ordinairement, tous les hommes qui ont eu des responsabilités dans la société et qui ont laissé une descendance en âge de perpétuer leur souvenir sont vénérés. L’Ancêtre doit appartenir réellement à la famille, c’est-à-dire en être un membre organique. Il doit être mort dans l’intégrité physique et morale, c’est-à-dire dans le respect des coutumes et des intérêts de la famille.

Mais à quoi servent les Ancêtres ?

Une fois que l’ancestralité est réussie, on n’en fait des piliers du pouvoir : leurs chaises[13] sont aspergées de sang d’animaux ou de boissons. Ils donnent les enfants, envoient les réussites comme les échecs, les bonheurs comme les malheurs. Ils sont présents à tous les moments de la vie de l’homme et aucun travail des champs, aucune cérémonie traditionnelle ne peut avoir lieu sans qu’on ne se mette en rapport avec eux. En fait, non seulement, ils continuent de faire partie de la famille, mais également on peut même dire qu’ils en constituent l’élément principal[14].

Les Ancêtres s’intéressent aux bonnes relations des vivants. Tout bien dans la famille les réjouit et les honore. En revanche, toute faute les irrite et peut attirer des conséquences graves sur le coupable. Au moment des grandes décisions, ils sont toujours pris à témoins et après les réconciliations, on leur offre un sacrifice pour marquer que l’harmonie est rétablie tant au niveau des vivants visibles, qu’ au niveau de ceux qui sont là et que l’on ne voit pas[15].

Ils sont devenus la réponse aux désirs des hommes, la sécurité dans la famille. Ils sont certifiés être là et on recourt donc à eux. L’enjeu c’est qu’ils s’intéressent aux vivants et leur veulent du bien.

Malgré toute la vénération dont on les entoure, malgré la puissance qu’on leur reconnaît, les Ancêtres n’apparaissent jamais chez les Africains comme des divinités, mais comme des parents que l’on rejoindra un jour ou l’autre. C’est de Dieu seul qu’ils détiennent leur pouvoir et leur capacité de venir en aide aux vivants qui entretiennent une relation de vie avec eux.

  1. Une relation de vie avec les Ancêtres

L’importance que les Ancêtres connaissent en Afrique est surtout liée à leur qualité de vie menée et aux actions bénéfiques qu’ils ont posées en faveur de la communauté qui leur reconnaît la qualité d’Ancêtre.

Pour cela, les Ancêtres sont surtout des sages qui ont saisi l’action de Dieu en chaque homme et dans le monde, peut-être de manière imparfaite, à partir de leur expérience. Ils se sont ensuite laissés conduire par cette expérience. De sorte que, grâce à celle-ci, ils ont pu trouver pour leur peuple la manière salutaire de vivre leur humanité, de l’assumer, de l’exprimer et de répondre aux problèmes liés à celle-ci. Ainsi sont-ils devenus des piliers, des modèles et des alliés pour les vivants de la terre.

C’est pourquoi, l’Africain entretient avec ses Ancêtres une relation qualifiée de manifestation de la vie ou de relation de vie : communication et circulation de vie. D’où leur vénération et le désir des hommes de rester en communication avec eux[16]. À ce propos, François KABASELE-LUMBALA souligne que : « La vie trouve son sens dans cette communion avec l’au-delà, dans cette solidarité entre les vivants terrestres et les vivants

[1] Cf. François, Gaudete et Exsultate, 19 mars 2018, n°10, consulté le 18/07/2021 sur www. vatican.va.

[2] Cf. Ibid, n°14.

[3] Cf. Ibid, n°11.

[4] Cf. Ibid, n°14.

[5] Cf. Ibid, n°15.

[6] Ibid, n°19.

[7] Cf. Ibid, n°21.

[8] Cf. Ibid, n°16.

[9] Cf. Paul-Émile ADIAFI KOUASSI, Humanisme religieux Agni et foi chrétienne, Thèse de doctorat en théologie dogmatique, Tome 2, Université Pontificale Urbaniana, Rome, 1978, p. 49.

[10] Cf. François KABASELE-LUMBALA, Renouer avec ses racines. Chemins d’inculturation, Karthala, Paris, 2005,  p167.

[11]Cf. Paul-Émile ADIAFI KOUASSI, Humanisme religieux Agni et Foi chrétienne, Thèse de doctorat en Théologie dogmatique tome 1, Université Pontificale Urbaniana, Rome 1978, p.144.

[12] Cf. G. Parrinder, La religion en Afrique occidentale, Payot, Paris, 1950, p.139.

[13] Autour de ces chaises est organisé un culte aux ancêtres. Le culte qui leur est rendu est basé sur une conception de la vie et consiste essentiellement dans la communion et la commémoration. Dans ce culte « on adore les Ancêtres comme héros du passé, mais on ressent leur présence continuelle ; on est persuadé qu’ils veillent sur la maison, qu’ils sont directement intéressés à toutes les affaires de la famille et à ses propriétés qu’ils procurent d’abondantes récoltes et assurent la fécondité ». Cf. G. Parrinder op, cit, p.139.

Le culte des Ancêtres se situe à deux niveaux : le culte privé et familial et le culte public attaché spécialement à tous ceux qui ont hérité de la chaise tribale.

[14]Cf. Paul-Émile ADIAFI KOUASSI, Humanisme religieux Agni et Foi chrétienne, Thèse de doctorat en Théologie dogmatique, tome 1, Université Pontificale Urbaniana, Rome 1978, p. 143-144.

[15]Cf. Ibid, p.136-137.

[16] Cf. Jean-Paul II, Exhortation Apostolique post-synodal, Ecclesia in Africa, 14 septembre 1995, n°43, consulté le 18/01/2018 sur www.vatican.va.

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