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Côte d’Ivoire, Père Yomi aux communautés et fraternités : « Vos expressions, thématiques, styles, vocabulaires laissent bien souvent apparaître l’influence des églises de réveil »

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Père Serge Faustin Yomi, prêtre ivoirien aux études en Allemagne/Ph DR

Serge-Faustin Kabapeu Yomi est prêtre du diocèse de Grand-Bassam et étudiant en Doctorat de Théologie dogmatique à l’Université Eberhard Karls de Tübingen (Allemagne). Dans cette réflexion systématique sur l’actualité des Communautés, fraternités nouvelles et groupes de prière, il fustige le comportement des modérateurs et bergers qui laisse à désirer, et pire l’annonce de la Parole de Dieu mettant gravement en mal le charisme tant attendu d’eux par l’Eglise catholique.  (2. Fin).

Mais à quoi sert finalement d’être catholique et de chercher à préserver et à défendre cette identité ?

Dans toute unité, l’on célèbre la rencontre. Or, il ne peut avoir de rencontre vraie que s’il y a échange réciproque, que si on a quelque chose de nous-mêmes à partager avec l’autre et quelque chose de l’autre à accueillir.  Être Catholique c’est ce qui nous distingue des autres. Être chrétien c’est ce qui doit nous unir, mais pas au point de se perdre. Car l’unité n’est pas une simple uniformité, mais la capacité de bâtir l’unité à partir des différences, des points de connexions possibles.

Alors comment m’ouvrir à l’autre et même prendre chez lui ce qui pourrait m’aider à mieux enrichir mon identité ?

C’est ici que se trouve tout l’enjeu et même la peur que peuvent parfois engendrer les groupes issus du renouveau charismatique. Car leurs formes d’expressions, leurs thématiques abordés, leurs styles, leurs vocabulaires laissent bien souvent apparaître l’influence des églises de réveil. Un certain nombre de chrétiens quelque peu sceptiques se demandent quelquefois, face à certaines communautés et fraternités nouvelles, si elles sont bel et bien encore catholiques. Ils n’ont certainement pas tort de se poser la question et même de s’offusquer. En effet, il y a des manières de faire à ces assemblées qui donnent à réfléchir. Qu’est-ce qui se passe en réalité ? 

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On assiste, à certains rassemblements, à des ‘‘one man show’’ de certains responsables de Communautés nouvelles, Fraternités, Services d’évangélisation et Groupes de prière à la manière des évangéliques. Ils sont comme portés par la recherche de l’hystérie. Ils préfèrent des assemblées surchauffées à bloc à celles plus calmes et recueillies dans la prière. Certains opèrent, pendant la prière d’intercession, comme s’ils avaient une main mise sur le Saint Esprit. Ce sont eux qui ordonnent et commandent à l’Esprit Saint d’opérer maintenant.  Ils donnent parfois l’impression, dans la manière de se présenter et dans ce qu’ils disent d’eux-mêmes, que l’agir de Dieu dépend d’eux. Cette tentation avant-gardiste de se présenter prend le pas sur l’annonce de la Parole de Dieu et l’exercice humble des charismes.

Alors que dans un passé récent et même encore aujourd’hui, nous avons vu et voyons comment les pères feu Emilien Tardif, Pierre-Marie Soubeyrand, feu

 Raymond Halter, Norbert Eric Abékan, Peter Aman Cobbina et feu Jean Pliya pour ne citer que ceux-là, ont exercé et exercent encore avec humilité les charismes. D’ailleurs, « les charismes sont reconnus comme une manifestation de la « grâce multiforme de Dieu » (1P 4,10). Il ne s’agit donc pas de simples capacités humaines. »[1]

Alors d’où vient ce souci, lors des rassemblements, de faire croire que l’agir de Dieu était intrinsèquement lié à sa personne ? Le porteur d’une grâce charismatique n’est qu’un simple instrument dans les mains de Celui de qui proviennent ces grâces. Il doit plutôt chercher à vivre tout cela dans la charité et l’humilité quand on sait que « l’exercice des charismes spectaculaires (prophéties, exorcismes, miracles) peut malheureusement coexister avec l’absence d’une relation authentique avec le Sauveur »[2]. C’est bien ce que le Seigneur Jésus exprime en ces termes : « Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? En ton nom que nous avons chassé les démons ? En ton nom que nous avons fait bien des miracles ? Alors je leur dirai en face : Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité » (Mt 7, 22-23).

Pire, certains Modérateurs, Bergers et Responsables de groupes de prière se font escorter lors de ces multiples rencontres de prière, font porter leur Bible, leur tablette Smartphone par de tierces personnes comme pour se donner de l’importance ; ils ont des gardes de corps qui se tiennent derrière eux, quand ils prêchent ou font leur “show’’ et se font éponger le visage par eux, comme s’ils ne pouvaient pas le faire eux-mêmes. Tout cela n’a rien de catholique et ne saurait de surcroit édifier, comme l’Apôtre Paul en 1Co 14, 26 le recommande en ces termes : « Que tout se passe de manière à édifier ».

Alors questions :

Devons-nous nous perdre, en copiant sans discernement, au nom d’une unité travestie et d’un œcuménisme mal compris ce que fait l’autre à côté parce que cela ferait du bien aux fidèles ?

Est-ce que tout ce qui fait du bien émotionnellement porte nécessairement le sceau de la vérité et de l’approbation de Dieu ?

Nous sommes pour la sauvegarde de notre identité. Nous croyons qu’il y a une manière catholique d’exercer les charismes. Et cette manière catholique, il faut impérativement la cultiver et la rechercher. Une dame évangélique devenue catholique nous faisait remarquer à juste titre qu’elle n’est pas devenue catholique pour continuer à vivre les mêmes choses pour lesquelles elle s’était résolue à devenir catholique. Car disait-elle : « l’Eglise catholique est remplie d’évangéliques et de pentecôtistes à peine déguisés ».

Alors il faut vite retrouver cette identité catholique.

  1. La nécessité de l’Eglise et des sacrements  

En se faisant homme, le Christ a vécu en tout comme les hommes de son temps. Il a vécu particulièrement comme le « oui » de l’humanité au Père. Par sa vie, son enseignement, ses miracles, par sa mort et sa résurrection, il rejoint l’homme au carrefour de ses aspirations. Jésus-Christ, pour avoir ainsi vécu dans notre monde, avant de retourner au Père, a laissé des traces. Ces traces sont l’Eglise et les sacrements.

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L’Eglise particulièrement poursuit son œuvre de salut sur la terre au milieu des hommes. Elle rend présent et accessible dans le temps et dans l’espace le salut accompli une fois pour toutes par le Christ. Elle offre la possibilité de rencontrer le Christ dans un contact personnel et de lier avec lui une relation profonde. Ainsi l’Eglise est désormais le lieu privilégié du salut, signe et voie de l’unité finale de tous les hommes en Jésus-Christ. On y est introduit comme membre par le baptême. Elle est une communauté formée par des baptisés qui se savent sauvés par le Christ. Et comme tels, ils vivent en fonction de ce salut et dans la liberté. Ainsi « être chrétien, écrit Jean SINSIN BAYO, c’est être membre d’une famille sérieuse, solidaire où l’on prend soin les uns des autres, c’est être membre d’une famille où en devenant fils et filles de Dieu, l’on devient aussi dans les faits frères et sœurs, parents les uns des autres toujours prêts à s’entraider pour vivre heureux ensemble, devenir saints, les uns grâce aux autres, parvenir au bonheur, à la gloire éternelle du ciel »[3].

Quant aux sacrements, ils sont les signes et les moyens de l’union de l’homme avec Dieu. Ils confèrent à l’homme qui les reçoit la vie divine qui transforme en enfant de Dieu (Cf. Jn1, 12). C’est pourquoi « la grâce acquise par le Christ dans le mystère pascal rejoint les hommes dans les sacrements ».[4] Institués par le Christ et reconnus par l’Eglise, les sacrements sont ordonnés au salut de ceux qui les reçoivent et en vivent. Ils confèrent en effet la grâce qu’ils signifient et sont efficaces en eux-mêmes pour porter l’homme à la communion avec Dieu dans le Christ par l’Esprit Saint.

C’est d’ailleurs, pour ce fait que l’Eglise affirme que : « pour les croyants, les sacrements de la Nouvelle Alliance sont nécessaires au salut »[5]. Les sacrements sont donc le gage, la promesse et la garantie de la protection divine et du salut donné par Jésus-Christ. En effet, l’acte céleste de salut qui nous est en principe invisible devient visible dans les sacrements. A ce titre « la fréquentation et la réception des sacrements, écrit A. Cécé KOLIE, sont selon l’expression du Père Jean Sinsin Bayo ‘‘les doigts invisibles de Dieu par lesquels il tient, conduit, protège et sanctifie les chrétiens. Ils sont de puissants porteurs de grâce et de salut’’ »[6].

Conscients de la grande richesse des sacrements et soucieux de pouvoir redécouvrir personnellement la réalité et la vérité des grâces offertes et présentes en eux, des étudiants catholiques ont voulu en 1967, deux ans après la clôture du saint Concile Vatican II, faire l’expérience de la pentecôte telle que décrite dans les quatre premiers chapitres du livre des Actes des Apôtres. Ils avaient surtout soif de redécouvrir et de revivre les grâces de leur baptême et de leur confirmation. Patti nous donne un résumé de cette effusion à l’initiative du Saint Esprit :

« (…). Les enseignements portaient sur les quatre premiers chapitres du livre des Actes des Apôtres. Ils avaient lieu dans le Parloir du Soleil au rez-de-chaussée du centre de retraites. Vendredi soir, après un enseignement d’introduction, une célébration pénitentielle eut lieu à la chapelle. Samedi matin, Paul Gray parla du premier chapitre des Actes ; puis il eut la messe, après laquelle Marybeth Mutmansky (Greene) et Karin Sefcik (Treiber) donnèrent des méditations sur les femmes dans la Bible. Ensuite vint l’enseignement sur le chapitre 2 des Actes, suivi de partage en petits groupes. (…) Les professeurs de la faculté avaient invité la femme épiscopalienne remplie de l’Esprit Saint qu’ils avaient rencontré à Chapel Hill, afin qu’elle donne un enseignement. Elle parla de la Seigneurie de Jésus-Christ et du baptême dans l’Esprit. Elle n’a peut-être pas employé exactement cette terminologie, mais c’était ce sujet-là. Au cours des discussions qui ont suivi son exposé, David Mangan proposa aux participants de renouveler leur sacrement de confirmation au cours de la cérémonie de clôture de la retraite. ( …) Plus tard dans la soirée, au moment où il était prévu de fêter l’anniversaire de plusieurs étudiants, le Saint Esprit se mit à agir de sa propre initiative. Un par un, environ la moitié des jeunes (pas tous) se sentirent attirés dans la chapelle où ils firent une expérience manifeste du baptême dans l’Esprit Saint. »[7]

L’un des professeurs à ce week-end donne à son tour les fruits de cette belle expérience du baptême dans l’Esprit Saint ou de l’effusion de l’Esprit Saint : « (…) Notre foi est devenue vivante ; ce que nous croyons est devenu en quelque sorte ce que nous savons. Tout à coup, le surnaturel est devenu réel que le naturel. Bref, Jésus-Christ est devenu une personne réelle pour nous, une personne vivante et réelle qui est notre Seigneur et qui agit dans nos vies : en ouvrant le Nouveau Testament, nous le lisions comme s’il était littéralement vrai, dans chaque mot, dans chaque ligne. La prière et les sacrements sont vraiment devenus notre pain quotidien, et non plus des pratiques que nous considérons comme ‘‘bonnes pour nous’’. Dans nos vies sont entrés un amour de l’Ecriture, un amour de l’Eglise que je n’aurais jamais cru possible, une transformation de nos relations avec les autres, un besoin et une faculté de témoigner au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer. (…) »[8] .

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A la suite de ce témoignage sur les fruits de l’effusion, ce professeur poursuit en établissant d’une part, la différence qui existe entre protestants et catholiques, au niveau du mode de réception du baptême dans l’Esprit Saint, et d’autre part, le classement du baptême dans l’Esprit Saint dans l’Eglise catholique parmi les sacramentaux. « Résumons : un petit groupe de protestants nous a montré ce que c’était vraiment que d’être catholique. Mieux encore : l’Esprit de Dieu est puissamment à l’œuvre ! Si tu te procurais les livres dont je t’ai parlé – tu devrais pouvoir facilement trouver dans une librairie protestante – tu noteras que le baptême dans l’Esprit Saint est souvent conféré par l’imposition des mains.  En ce qui concerne les catholiques, je ne considère pas cela comme un substitut du sacrement de confirmation. Je pense que c’est juste un sacramental qui réactive la confirmation… tout comme n’importe quel sacramental doit être une véritable activation de ce qui est déjà présent. »[9]

De tout ce qui précède, nous devons comprendre que les charismes et tout ce qui leur sont liés sont des grâces qui doivent conduire inéluctablement à la rencontre du Christ dans l’Eglise et les sacrements. Jean Paul II le rappelait déjà en ces termes : « les vrais charismes ne peuvent que tendre à la rencontre avec le Christ dans les sacrements »[10]. Le contraire pose problème. C’est pourquoi nous voulons ici et maintenant nous poser quelques questions.

L’attitude et le comportement de certaines communautés, fraternités nouvelles, certains Apostolats et groupes de prière qui consistent à maintenir les gens rattachés à eux en créant des organisations encore en leur sein qui finissent par couper certains fidèles de la vie paroissiale ne sont –elles pas un gros et grand danger pour le devenir de nos paroisses ?

La tenue les dimanches après-midi de certaines rencontres de ces « réalités récentes » n’est-elle pas une voie ouverte pour trouver un prétexte pour ne plus se rendre aux messes dominicales ?

Réussir à rassembler des fidèles autour de soi donne-t-il le mandat de se définir et de s’autoproclamer comme ayant une charge d’âmes ?

Ces questions méritent attention particulière et réponses précises.

  1. Mise au point
  2. La nouveauté avec l’Esprit Saint

Nous sommes convaincus que l’Esprit Saint est donné aux fils et filles de l’Eglise pour qu’ils soient à même d’inventer, de créer, et non de plagier le voisin.

 L’Esprit Saint est l’Esprit créateur qui est répandu sur nous pour que nous soyons capables d’être nous-mêmes, de découvrir « ce nous-mêmes » en nous et au fond du fond de nous. Car il veut nous conduire à quelque chose d’original ou à la redécouverte du riche patrimoine de notre mère Eglise. Recevoir l’Esprit et son onction, c’est être capable du neuf à partir de soi, avec le concours de l’Eglise et en tenant compte du temps et du milieu. De grâce épargnons nous le « réchauffé » des autres et inventons à partir de chez nous. 

  1. Comment interpréter la présence d’un évêque aux activités organisées par les bergers et modérateurs

La présence d’un évêque doit être comprise comme un signe d’accueil, d’encouragement et surtout comme un message implicite de ce que l’Eglise suit de près tout ce qui s’y fait. Ce n’est pas encore une approbation directe. Parce que l’évêque, comme c’est d’ailleurs la pratique dans l’Eglise, prend le temps, se donne du temps et donne du temps aux réalités avant de se prononcer partiellement ou définitivement.

  1. Les dons hiérarchiques et charismatiques sont coessentiels

La redécouverte des charismes par l’Eglise est ce qui permet aujourd’hui aux fidèles laïcs de contribuer à la vie de l’Eglise, non plus seulement avec leurs dons et offrandes, mais aussi d’assumer dans l’Eglise des charges et d’accomplir des services selon leurs charismes propres. Car « les dons charismatiques sont distribués librement par l’Esprit Saint, afin que la grâce sacramentelle porte du fruit dans la vie chrétienne de façon diversifiée et à tous ses niveaux. Ces charismes « étant avant tout ajustés aux nécessités de l’Eglise et destinés à y répondre » »[11]

Les fidèles du Christ (ministres ordonnés et Laïcs) ont besoin ensemble, dans le respect des états de vie, de bâtir l’Eglise et de sauvegarder son identité.

[1] Cf. Ibid, N°4

[2] Cf. Ibid, N°5

[3] Jean SINSIN BAYO, l’inculturation de la foi chrétienne en Afrique : Pourquoi et comment faire ? Cellule de communication du Mont Thabor, Abidjan 2004, p.15

[4] Jerzy SEDZIK, Le concept Bantou du salut et son impact sur les pratiques chrétiennes, Macacos, Douala, 2004, p. 184

[5] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1129

[6] A. Cécé KOLIE, « Avec quelles armes vaincre les sorciers et les forces du mal ?» : In Compagnon de Prière (78) juin 2006, pp. 11-12

[7] Patti Gallagher Mansfield, Op. Cit, p. 73-74

[8] Ibid, p. 74-75

[9] Ibid, p. 76

[10] Cité par la Congrégation pour la doctrine de la foi, op. cit, N°12

[11] Ibid, N° 15

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