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Enseignement privé : 100 ans après, un prêtre spécialiste décortique et donne les contours de ce décret

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Ecole catholique Marie Dominique Koumassi/Abidjan

Pierre Ablé Dago est un prêtre du diocèse de Gagnoa. Pendant de longues années, il fut professeur en Histoire ecclésiastique en Côte d’ivoire. Il a servi le grand séminaire d’Anyama et l’Ucao d’Abidjan, avant de diriger l’Ucao de Cotonou (Bénin). Depuis 2018, il a pris sa retraite et s’occupe de la réhabilitions du Centre des catéchistes de son diocèse. Dans cette contribution sur l’école, il évoque le décret autorisant l’enseignement privé par les colonies en Côte d’Ivoire, en février 1922, et comment il a été appliqué…

Le 14 février 1922 paraissait le décret autorisant l’enseignement privé dans les colonies de l’A.O.F. Signé du président français Millerand, ce décret fixait les règles relatives à l’exercice de l’enseignement privé. Passerons-nous sous silence le centenaire d’un évènement d’une telle importance pour les colonies ?

La fonction de rappel que nous entreprenons ici se basera sur l’histoire de l’enseignement catholique que nous connaissons un peu mieux.

L’enseignement, on le sait, est l’activité par laquelle les premiers missionnaires catholiques avaient commencé leur mission en Côte d’Ivoire en 1895. Appelés par le gouverneur Binger, ils avaient la charge d’assurer l’instruction publique dans la colonie. Signature de convention, fixation des responsabilités : tout avait été mis en place pour une bonne collaboration. Les choses se passaient bien entre Binger, son successeur immédiat et les missionnaires.

C’est avec le gouverneur anti-clérical Clozel que les relations prirent une autre tournure. En application des lois de laïcisation de 1901 et 1904, Clozel dénonça les accords signés et entreprit, à partir de 1906, suite au rapport de l’inspecteur Mairot, la fermeture des établissements tenus par les missionnaires. C’est que ceux-ci avaient continué à tenir des établissements, à titre privé, depuis 1904. En 1916, il ne restait plus qu’une école tenue par les religieuses : l’orphelinat de Moossou qui comptait de nombreuses métisses…

Cependant, des évènements graves allaient porter le colonisateur à reconsidérer sa position par rapport aux missions catholiques

Cependant, des évènements graves allaient porter le colonisateur à reconsidérer sa position par rapport aux missions catholiques. Il s’agit des remous sociaux qui survinrent autour de la première guerre mondiale, notamment : le recrutement de tirailleurs, les activités du prophète Harris venu du Libéria voisin ; après un temps de tolérance, le prophète, anglophone, apparut comme un agent anglais. Son expulsion en 1915 ne freina pas son activité religieuse, reprise par ses disciples. Certains d’entre eux s’affichaient ouvertement anti français. Un autre culte ancestral né dans le cercle de Sassandra en 1919, voulait lui aussi, obtenir le départ des Français.

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En tout cas, ces rapports répétés sur la détérioration de la situation dans la colonie de la Côte d’Ivoire finirent par préoccuper le Gouvernement Général. C’est ainsi qu’au mois de janvier 1921, le Gouverneur Général Merlin proposa à ses supérieurs d’employer des missionnaires « de mentalité et d’inspiration françaises » pour venir à bout des troubles à caractère religieux, en neutralisant la concurrence étrangère, anglaise notamment. La Gold Coast était particulièrement visée car ce pays voisin, par ses traitants et ses missionnaires, répandait l’influence anglaise, accueillait les Fanti et les Agni qui voulaient échapper à l’impôt. Le premier août 1921 parut un décret réglementant le séjour des étrangers en Afrique de l’Ouest. On peut le considérer comme une étape préparatoire à celui du 14 février 1922 sur l’enseignement privé.

Le décret contient deux grands titres : le premier fixe les règles de l’enseignement privé, et le second porte sur les établissements confessionnels. Après avoir énoncé la nécessité d’une autorisation pour toute ouverture d’établissement privé, le texte énumère les conditions : destination et caractère de l’établissement, plan des bâtiments ; on peut aussi noter : la qualification des enseignants et l’obligation d’appliquer les programmes de l’enseignement officiel, la langue à utiliser étant le français, exclusivement.

Dans le texte, « établissements confessionnels » s’entend des lieux de culte et des œuvres religieuses caritatives ne comportant pas d’école : tous sont soumis à une stricte réglementation, aves des peines prévues pour non application des directives. Le 16 mars 1922, soit un mois après la parution du décret, le Gouverneur Général Merlin publiait un arrêté pour en donner les modalités d’application.

Tel est, résumé, le cadre qui était offert à qui voulait faire de l’enseignement privé. Ainsi, après plusieurs années d’un enseignement unique consécutif à la fermeture de l’enseignement missionnaire, la concurrence était à nouveau ouverte, et mènerait à la formation d’une élite africaine.

En permettant l’exercice d’un enseignement privé, les autorités coloniales se dotaient d’un autre moyen pour la diffusion de la langue et de la culture françaises. Par la même occasion, elles récupéraient le besoin d’espace scolaire qui animait toujours les missionnaires, ainsi que leur sentiment patriotique. Pour eux, le décret du 14 février 1922 était donc celui de la renaissance de leur enseignement. Etaient aussi concernées les Eglises protestantes, qui avaient des centres d’alphabétisation et de formation de catéchistes.

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En permettant l’exercice d’un enseignement privé, les autorités coloniales se dotaient d’un autre moyen pour la diffusion de la langue et de la culture françaises

Cent ans après, le contenu du décret du 22 février 1922 est resté sensiblement le même en ce qui concerne les dossiers relatifs à l’ouverture d’un établissement scolaire, et le privé, confessionnel ou non, continue de répondre à l’appel de l’Etat de Côte d’Ivoire à donner satisfaction au besoin d’instruction toujours aussi fort. La création officielle au sein du Ministère de l’Education Nationale d’une Sous-Direction de l’Enseignement Privé (SDEP) en 1984 manifeste la volonté de collaboration des autorités dans un domaine dont elles gardent le contrôle. Cela méritait d’être rappelé.

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