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Tabac : La chicha, le plaisir mortel des jeunes à Abidjan

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Des jeunes fument la chicha à cœur joie.../Ph DR

Cet autre type de tabac appelé chicha gagne du terrain dans le district d’Abidjan, en particulier dans la commune de Koumassi. Dans les bars et maquis, les jeunes en raffolent la chicha, avec des arômes aux meilleurs parfums.

Mardi 8 août 2023. 18h45. Des jeunes en pleine discussion éclatent de leurs bouches des fumées noircissantes qui s’échappent de ce bar. Jeunes filles et hommes s’adonnent avec plaisir à ce type de tabac appelé chicha. De part et d’autres du bar, des fumées s’échappent et envahissent le lieu. Aïcha 18 ans, une cliente du bar, attend son copain. Deux heures du temps s’écoulent, point de son ombre. Pendant qu’elle est là, passe des commandes de bières et fume sa chicha, en défrichant du regard des invités assis.

« J’ai commandé une chicha, aux arômes de coco noir et pomme. J’aime bien consommer ce type de parfum, qui ne laisse pas indifférent. D’ailleurs, il est très bon. Vraiment, à chaque fois que je viens dans ce bar, j’en prend à sa siesté », détaille Aicha.

Dans ce bar C.P de Koumassi, la musique à gogo bat son plein. Des chansons importées de la sous-région, tels le Congo Kinshasa, le Benin et la Côte d’Ivoire sont en vogue. Des morceaux cultes des artistes Fally Ipupa, Dj Kerozène, Yodé et Siro etc excitent les jeunes. Puis, ils interprètent ces morceaux avec eux, dans un brouhaha. A quelques mètres d’Aïcha, des jeunes filles aussi fument la chicha, avec joie. De grosses fumées sortent de leurs bouches, avec des paroles odieuses et empreintes de railleries. « Nous, ici on s’en fout. Personne ne viendra nous importuner ou refaire nos mœurs », disent-elles, en riant.

 « La chicha, je l’ai connue, il y a de cela 2 ans maintenant, raconte Danielle, la plus âgée du groupe, avec 22 ans. Pour moi, pas de graves risques, en consommant cette cigarette. Je me sens d’ailleurs très bien ». Pendant qu’elle lâche la fumée s’échapper, deux autres écoutent et se mettent à éclater de rires. A peine, elle finit de parler, elles se donnent volontiers à s’exprimer sur le sujet. Pour elles, la consommation de la chicha n’est plus un secret pour elles. Depuis plus de 4 ans, elles consomment avec joie cette cigarette, qui apparemment, n’affecte pas les organes.

Dans un autre bar L.B.R de Remblais Koumassi, des jeunes gens font la queue pour y entrer. Sur cette voie très animée, on ne peut que voir des jeunes gens, à cette heure de la nuit. Dans la discipline, le vigile organise leur entrée, de façon méthodique. Le silence prend le dessus. Les paroles restent de marbre. A tout de rôle, chacun y entre et se met à consommer la bière, la chicha. Cette dernière est beaucoup prisée dans la zone, depuis que le bar est ouvert par les propriétaires.

« C’est la tradition dans ce bar. Depuis que je le fréquente, c’est comme ça les choses se passent. Je préfère cette discipline. Nous sommes nombreux à venir, si ce n’est pas le cas, on va se bousculer. C’est mieux ainsi…Là tous, nous entrons sans problème », explique un jeune de 23 ans, Ahmed H.

Les conséquences de ce « poison silencieux »

Si consommer la chicha, peut avoir des risques de santé humaine, cette assertion semble être difficile chez certains sujets. Pourtant, c’est vrai. Depuis presque deux ans, Nadège L, ne se rend plus dans ces bars avec ses copines pour en consommer. Aujourd’hui, elle a un réel souvenir désastreux de ce passé.

La chicha…

« Il y a aujourd’hui, deux ans, que je ne consomme plus la chicha. Malade, je suis allée à l’hôpital, et les médecins m’ont détecté un début de cancer de foi. J’ai été meurtrie dans ma chair. C’était suffoquant d’apprendre cette terrible nouvelle », conte-t-elle, avec dépit. Passant ses journées à la maison, entre lectures et causeries, elle préfère donner des conseils sages à celles qui viennent la voir.

Je vais au bar ou maquis, mais je ne consomme plus cette substance nocive.

Alain H, lui aussi, se méfie de cette substance nocive. Atteint d’un problème de respiration, il y a maintenant 3 ans. « Je vais au bar ou maquis, mais je ne consomme plus cette substance nocive. Quand j’en parle à mes amis, certains y croient d’autres non », peste Alain. A dire vrai, je pense que cette substance est à la base de ma maladie, aujourd’hui.

Dr Nestor Koffi, chargé des études au Programme national de lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie et toute autre d’addiction (Pnlta), indique que la chicha n’était pas connue par le passé. « C’est un produit Orientale, il y a de cela plus de 20 ans. Aujourd’hui, la chicha est présente partout en Côte d’Ivoire. Cela dénote l’ampleur du problème. Il faudrait que les gens sachent que c’est un produit du tabac et dangereux pour la santé ».

Dr Nestor Koffi, chargé des études au Pnlta à Abidjan, parle de la chicha/Ph Credo

Pour les données concernant cette chicha, Dr Koffi Nestor a souligné qu’il n’y a pas de données disponibles mais des études plutôt empiriques. On voit des jeunes s’adonner à la chicha partout, il y a des boutiques qui en vendent. Je pense que tout le monde est conscient du problème. C’est en cela que l’Etat ivoirien, à travers le ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, a fait prendre une Loi anti-tabac, en 2019, qui circonscrit tous ces produits. Cela fait partie du corpus juridique ivoirien.

Certains pensent que les senteurs ne sont pas toxiques, malheureusement, c’est toxique. Ce sont les mêmes toxicités que la fumée, qui est la cigarette.

Pour Dr Eudoxie Djegbeton, Assistante chef clinique en pneumologie au Chu de Cocody Abidjan, le produit telle que la chicha sont d’autres formes de tabagisme, qui sont utilisés comme la cigarette, depuis lors, avec l’apparition de la chicha. « Certains pensent que les senteurs ne sont pas toxiques, malheureusement, c’est toxique. Ce sont les mêmes toxicités que la fumée, qui est la cigarette. On n’arrive pas à quantifier la quantité de tabac qui est inhalée, mais ce sont les bouffées que la personne inhale », déclare Dr Djegbeton Eudoxie. Ajoutant que certains serveurs de bars ou maquis font du mélange du goudron, du charbon et cela est « toxique également ».

La plupart des jeunes, interrogés, évoquent des satisfactions qui les amènent à la consommation de ce produit, qu’est la chicha. « En fait, le produit utilisé est toxique, qui est en train de vous tuer vous-même. Généralement, c’est par curiosité, snobisme ou imitation, des soucis ou effet de mode. Ce sont des arguments qui ne tiennent pas. Parce que consommer un produit qui est toxique, qui va vous rendre malade, quel est donc l’intérêt. La chicha, au départ par son mode de consommation pose problème. Les embours, les jeunes se le partagent, alors que la personne peut avoir une tuberculose, infection Vih…vous vous mettez en danger », s’inquiète Dr Koffi Nestor.

Des bars et maquis, accusés ?

Effet de mode ? Difficile de le dire sous nos tropiques. Ces dernières années, les bars et maquis qui s’ouvrent à Abidjan, ces propriétaires des lieux investissent fort dans ces chichas. Dans la plupart des bars ou maquis dans lesquels nous y sommes allés, des gérants de ces chichas attendant avec impatience leurs clients.

Dès qu’ils arrivent, des minutes après, la commande est passée. Ce dernier s’affaire à lui donner le parfum qu’il faut. D’abord, il procède à l’allumage du feu, ajoute le parfum souhaité, dans le feu de la machine, quelques fumées s’échappent avec satisfaction, avant de le confier au client…Le tour est désormais joué.

« Une fois que le client arrive dans le bar, il passe sa commande. Il dit le parfum qu’il veut. Chaque parfum a son prix. Le prix varie de 2500 FCfa à 5.000 FCfa. Il dit le parfum, je fais le mélange et je lui apporte, sans problème », explique Vincent, le gérant du bar.

Quelques secondes ou minutes suffisent, pour laisser échapper de grosses fumées dans le ciel. Et c’est avec plaisir que ces jeunes filles et hommes le font.

Ces propriétaires de maquis ou bars sont aussi responsables de ces produits vendus et consommés à souhait par ces jeunes gens. Faisant leur business, peu importe la dangerosité que cela peut entrainer au niveau de la santé de la personne. Pourvu que son argent rentre. C’est ce dilemme auquel nous sommes, malheureusement, confrontés, dans de pareilles circonstances.

Et la mesure de l’Etat ivoirien…

En Côte d’Ivoire, le décret N°2012-980 du 10 décembre 2012, portant interdiction de fumer dans les lieux publics ou transports en commun. Pourtant, nombreux sont ceux qui foulent aux pieds ces mesures prises par l’Etat ivoirien. A n’importe quel endroit du quartier ou des communes, la pratique de la cigarette est devenue un luxe.

Ceux qui en consomment s’en fichent éperdument de ces risques que cela peut occasionner aux non-fumeurs. Pourtant, le décret existe bel et bien dans le pays, mais comme dirait l’autre ivoirien, personne ne viendra nous intimer l’ordre de ne pas fumer. On connait cette maxime dans ce pays, hors-la loi. « Il prenne les lois ou décrets, sans les appliquer à la lettre. Quelle peine affligeante ! », se désole un client fumeur de la chicha.

De 15 mille francs Cfa à 100 mille francs Cfa, tout contrevenant à l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou transports en commun.

Kouyo A, un parent dont son fils est accroc à cette forme de cigarette venue des pays de l’Orient, n’hésite pas à critiquer vertement cette mesure de l’Etat. « Il est bon de prendre des mesures pour contrer cette fumée dans les lieux publics ou ouvert. Mais qu’est-ce que l’Etat fait pour éviter que ces jeunes s’adonnent inconsciemment à ça ? Rien. Hélas, nous sommes nous-mêmes, avec nos enfants, qui fument avec élégance la chicha partout. Pourtant, depuis le bas âge, nous leur avons enseigné les bonnes pratiques de la vie en société…Mais, ils n’écoutent personne, à part le dehors ! », s’inquiète le retraité Kouyo.

Comme cité plus haut, le décret de 2012 a des effets pécuniaires et non pénaux. Pour les personnes qui en consomment, payent, selon la Loi et se référant aux articles 9 et 10 précisant les montants suivants. De 15 mille francs Cfa à 100 mille francs Cfa tout contrevenant à l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou transports en commun. Concernant les propriétaires de bars ou autres, ils débourseront la somme de de 50 mille francs FCfa à deux cent cinquante mille francs Cfa.

Magloire Madjessou

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